Dans la recherche aussi, le Covid aggrave les inégalités
Vous vous intéressez depuis longtemps aux biais de genre dans la production scientifique. Quel a été l’impact de la pandémie?
Pre Angèle Ageron-Gayet: Dès 2018, le projet ATHENA, fondé sur une collaboration internationale entre l’Université de Genève, les HUG et plusieurs pays, est né, soutenu par un fonds national. Il vise à évaluer si les chances de publication – un marqueur important de la promotion académique – diffèrent entre les hommes et les femmes. Le prestigieux British Medical Journal et plusieurs autres revues scientifiques m’ont fourni un accès à leurs données pour les analyser. Lorsque le Covid est arrivé, nous avons trouvé intéressant de faire une comparaison entre ce qui était soumis avant et après la pandémie et d’analyser les places phares occupées par les femmes auteures, en particulier dans les études traitant du Covid-19 et donc réalisées en pleine pandémie.
Nous nous sommes penchées sur trois places en particulier: celle de premier ou première auteure (c’est-à-dire la personne qui en général a contribué le plus au papier), celle de dernier ou dernière auteure (occupée par celui ou celle qui chapeaute l’ensemble de la recherche) et, enfin, celle d’auteur ou auteure de correspondance (occupée par la personne qui peut répondre à toutes les questions sur l’étude).
Les résultats obtenus font état d’une diminution de près de 20% de femmes premières auteures lors de cette période. Que s’est-il passé?
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Lorsque la dernière auteure (poste de supervision générale de la recherche) est une femme, il y a deux fois plus de chances que la première auteure en soit une également.
À la base, il y a déjà une différence de visibilité flagrante entre les hommes et les femmes dans la production scientifique. En 2018, les chiffres montraient à peu près 40% de femmes premières auteures et environ 20% de dernières auteures, qui est la place la plus «senior». Durant la crise, une baisse générale de la participation des femmes dans la production scientifique a été observée, toutes places confondues. Cette perte de visibilité était surtout très marquée durant les premiers mois de la pandémie, qui correspondaient à une période de confinement à travers le monde et aussi à une surcharge de travail dans le milieu des soins. Les femmes auraient porté le plus lourd tribut de l’organisation familiale et celles qui étaient impliquées à la fois sur des activités de recherche et de soins ont dû délaisser leurs travaux de recherche pour se concentrer en priorité sur la clinique et la réorganisation des enseignements. Ces constats faits par d’autres chercheurs pourraient expliquer en partie nos résultats.
Quelles pistes proposez-vous pour réduire ces inégalités?
Il y a un énorme travail à mettre en œuvre pour aller vers plus d’égalité, à commencer par l’éducation de nos enfants. Ensuite, il faut adapter nos modes de fonctionnement familiaux et de travail, proposer une organisation plus flexible afin de ne pas bloquer les femmes dans leur désir de progression et leur donner le même accès que les hommes aux postes de direction. Plus concrètement, il y a aussi des incitatifs à mettre en place. Le système des quotas pour l’attribution de certains postes à responsabilités, par exemple, ou la shortlist de candidatures uniquement féminines utilisée en Angleterre dans certains partis politiques sont, selon moi, des modèles intéressants. La question des modes de leadership doit aussi être repensée avec l’application de nouveaux modèles de management. Enfin, le nouveau CV facultaire adopté par notre université donne moins de poids à des indicateurs de production scientifique, connus pour être discriminants, ce qui est un excellent moyen de diminuer les inégalités.
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Article repris du site pulsations.swiss