Savoir-être : du cockpit au bloc opératoire
Bio express
1955 Naissance à Cheseaux-sur-Lausanne.
1977 Brevet d’instituteur.
1982 Entrée à l’Ecole Suisse d’Aviation de Transport.
Dès 1984 Pilote chez Swissair.
1992 Devient formateur CRM.
2014 Prend sa retraite de pilote. Depuis, il donne des formations.
Planète Santé: Comment un ancien pilote peut-il venir en aide au personnel médical?
François Emery: Dans chaque métier, il y a tout un savoir-faire qui est enseigné, mais il est rarement question de communication, d’interaction au sein d’une équipe. Suite à un grave accident survenu aux États-Unis en 1978, l’aviation a mis en place une formation sur le savoir-être. J’ai moi-même dirigé un groupe de travail chez Swissair qui a établi des cours pour pilotes axés sur la gestion du stress et du conflit, le travail sur la critique, entre autres. C’est ce que j’enseigne au personnel médical.
Quelles sont les similitudes entre les métiers de pilote et de médecin?
Avant toute chose, ce sont des êtres humains qui doivent interagir entre eux. Une mauvaise communication peut mener à la catastrophe. Si le commandant de bord n’écoute pas l’hôtesse qui a constaté un problème en cabine, ou si le médecin ne prend pas en considération les informations de l’infirmière sur l’état du patient, cela peut avoir de graves conséquences.
Que peut-on faire pour éviter cela?
Il faut apprendre à écouter et à gérer les problèmes ensemble. Dans un grand nombre d’entreprises, on dépense une énergie incroyable en gestion de crise. En améliorant les rapports humains, on parvient à utiliser cette énergie pour faire le travail correctement et avancer. Par exemple, si un chirurgien fait des remarques sexistes dans la salle d’opération, comment voulez-vous que les soignantes parviennent à communiquer avec lui en cas de problème?
Que peut-on changer pour que les informations circulent mieux?
Il faut commencer par apprendre la «communication en boucle». Lorsque deux personnes se parlent, il y a un émetteur et un récepteur. L’information part de l’émetteur (la personne qui a la parole), passe à travers différents filtres sociétaux, et arrive à l’émetteur (celui qui écoute). Ce dernier doit ensuite être en mesure d’émettre à son tour le message reçu, de le reformuler. Cela nous arrive à tous de parler entre deux portes, de ne pas s’assurer que le message ait bien été entendu et compris. Dans la vie de tous les jours, ça ne prête pas forcément à conséquence, mais il en va autrement dans une salle d’opération ou dans un cockpit. Être capable d’écouter, d’entendre et de saisir les conséquences du message reçu peut sauver des vies. Certains accidents d’avion auraient certainement pu être évités si l’écoute avait été meilleure entre le commandant et l’équipage.
Que faire une fois que l’erreur a été commise?
Il faut l’utiliser pour éviter les suivantes. C’est ce qu’on appelle la culture de l’erreur.
De quoi s’agit-il?
Dans un premier temps, plutôt que de systématiquement punir les mauvais comportements, on commence par récompenser les bons. Ensuite, lorsqu’une erreur survient, on la partage avec l’équipe, on l’analyse et on regarde comment elle aurait pu être évitée. Ainsi, cette faute peut être profitable au reste du personnel. Une erreur dissimulée a bien des chances de se reproduire. Je ne parle évidemment pas de violation des règles ou de négligence, des comportements qui doivent être immédiatement sanctionnés.
Meilleure communication et culture de l’erreur suffisent à éviter les accidents?
En partie, mais il faut aussi penser à travailler dans «l’ici et le maintenant». Ne pas taper un SMS en conduisant, ne pas poser son dossier négligemment sur le plateau stérile destiné à la salle d’opération… Etre attentif à ce qu’on fait, ne pas laisser le stress ou la pression de l’entourage guider nos gestes.
«L’avance de l’aviation dans le domaine de la gestion des erreurs est profitable au monde médical»
La formation de CRM donnée à Espace Compétences s’inscrit dans le cursus de Management pour médecins cadres. Le Pr Bernard Vermeulen, directeur de l’Hôpital neuchâtelois, est à l’origine de cette formation. Il explique: «Les médecins connaissent tout ce qui est scientifique et clinique, mais n’ont pas les outils pour gérer les personnes. Grace à ces cours, ils apprennent à écouter et respecter leurs collaborateurs, à prendre conscience de leur façon de fonctionner, à mieux s’organiser et à atténuer ainsi l’angoisse liée à la gestion d’une équipe.»
Xavier Degallier, médecin adjoint à l’Hôpital intercantonal de la Broye, constate à quel point l’avance prise par l’aviation dans le domaine de la gestion des erreurs est profitable au monde médical. Il explique: «Dans ses cours, François Emery nous a rendus attentifs au fait que si trois petits éléments se sont mal déroules dans la journée, il faut être plus vigilants durant les heures qui suivent, puisque le risque d’erreur est alors augmenté. Ces détails doivent servir d’alerte pour nous permettre de réaliser que nous ne sommes peut-être pas concentrés ou dans le bon état d’esprit. La vigilance dans le détail est de mise à ce moment!»
______
Paru dans Planète Santé magazine N° 26 - Juin 2017