Suicide assisté: aussi pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie
En chiffres
1176 personnes, dont 677 femmes, ont bénéficié du suicide assisté en Suisse en 2018. Ce nombre est 17% plus élevé qu’en 2017 et il a triplé depuis 2010 (source: OFS, 2020).
1282 personnes ont fait appel à Exit en 2020 pour mettre fin à leurs jours, soit 68 de plus qu’en 2019. Parmi les membres de l’association, les femmes sont presque deux fois plus nombreuses que les hommes.
78,7 ans est l’âge moyen des personnes ayant eu recours à Exit en 2020.
Après plus de trois ans de discussions, l’ASSM et la FMH se sont mises d’accord sur des directives d’éthique médicale sur l’assistance au suicide. Les précédentes étant devenues obsolètes, car peu en adéquation avec ce qui se passe sur le terrain.
Pour rappel, l’Académie suisse des sciences médicales a pour mission de formuler des instructions pour la pratique médicale qui sont ensuite suivies par les membres de la FMH.
Ce qui change grâce à ce nouvel accord? Le suicide assisté ne sera plus accordé uniquement aux personnes en fin de vie mais à celles dont les souffrances sont extrêmes et cela indépendamment du fait que leur mort soit imminente ou pas. «Les précédentes directives dataient de 2004. Elles stipulaient que pour pouvoir bénéficier d’une assistance au suicide de la part d’un médecin, le patient devait souffrir d’une maladie permettant de considérer que la fin de sa vie était proche, être capable de discernement et ne pas pouvoir être aidé par d’autres alternatives que le suicide pour remédier à ses souffrances. Le problème, c’est que ces dernières années, les médecins avaient constaté une augmentation des demandes pour le suicide assisté de la part de personnes souffrant de maladies chroniques, parfois simultanées, mais qui n’étaient pas pour autant en fin de vie. Cette inadéquation entre la réalité du terrain et les directives créaient un malaise», explique Samia Hurst, membre du Sénat de l'ASSM (l’organe suprême de cette association) et Directrice de l'Institut Éthique Histoire Humanités à l'Université de Genève (UNIGE). Sans oublier que certains médecins ont passé outre cette notion de fin de vie pour aider des personnes à mourir, sans être pour autant inquiétés par la Fédération.
La souffrance, une notion subjective
Cette situation a poussé l’ASSM à revoir ses instructions, chose qu’elle a faite en 2018. Le hic, c’est que le texte soumis à la FMH il y a quatre ans n’a pas convaincu. Ainsi, entre 2018 et fin 2021, les deux instances n’étaient pas d’accord. «Les directives de 2018 abandonnaient déjà l’idée de la fin de vie, mais elles stipulaient que le patient devait se plaindre de souffrances insupportables et qu’un médecin, comprenant cela, pouvait accorder l’aide au suicide. Ainsi, ce dernier avait la charge de reconnaître ou pas une situation qui reste très subjective. Aucun médecin ne pourra jamais nier la souffrance de la personne qui le consulte!», explique Ralf Jox, co-directeur de la chaire de soins palliatifs gériatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois. Et Michel Matter, ancien vice-président de la FMH, de préciser: «En 2018, la Chambre médicale de la FMH (composée de 200 médecins) n’a pas voté pour ou contre l’assistance au suicide, mais elle s’est exprimée contre les nouvelles directives de l’ASSM autour de cette question de la souffrance insupportable. D’un point de vue juridique, cette notion ne correspond à rien et elle est très difficile à prouver.» Face à cette discordance, l’ASSM a mandaté un groupe de travail pour mettre au point un nouveau texte qui a mis tout le monde d’accord. Il reprend la notion de capacité de discernement de la personne qui fait appel à l’assistance au suicide, celle de volonté indépendante (le malade n’est soumis à aucune pression extérieure) et il fait le point sur la souffrance extrême en disant ceci: «Les symptômes ou les limitations fonctionnelles du patient ont atteint un degré extrême et ce ressenti doit être objectivé par un diagnostic ou un pronostic en ce sens. Ces éléments causent une souffrance que le patient juge insupportable (…). Étant donné qu’il n’est pas possible de déterminer objectivement si une souffrance est insupportable ou non, il n’est pas envisageable de demander au médecin de dresser un tel constat. En revanche, celui-ci doit documenter qu’il a fait preuve de toute la diligence nécessaire pour se familiariser avec la situation personnelle concrète du patient, ce qui l’a amené à comprendre le caractère insupportable de la souffrance.»
Par ailleurs, avant de rédiger l’ordonnance de barbiturique qui permettra au malade de quitter ce monde, le médecin a l’obligation de clarifier le désir de suicide lors d’au moins deux entretiens espacés de deux semaines. «Ce point est important, car il donne davantage d’importance au médecin, explique Jean-Jacques Bise, co-président d’Exit, Association pour le droit de mourir dans la dignité. Cela peut donner l’impression qu’on leur impose une contrainte supplémentaire, mais sur le terrain, les personnes qui demandent l’assistance au suicide sont suivies depuis très longtemps. Les nouvelles directives ne vont donc pas changer grand-chose pour une association comme la nôtre.»
Sécurité supplémentaire pour les médecins
Ralf Jox précise: «Il y a une phase de plusieurs semaines pendant laquelle les proches, les médecins et le malade parlent de la situation et discutent du choix du suicide assisté. Les nouvelles directives ne vont donc pas allonger le temps entre la prise de décision et le passage à l’acte. En revanche, elles clarifient les recommandations faites aux médecins et les aident à prendre une décision. Cela leur apporte un sentiment de sécurité.»
Bien que les instructions de l’ASSM n’aient qu’une valeur morale et non légale, y contrevenir peut porter à conséquence pour les praticiens. «Il est arrivé que les tribunaux se reposent sur ces directives pour évaluer le respect des règles de l’art. L’introduction par la FMH d’une directive dans le code de déontologie intègre explicitement son contenu dans la déontologie professionnelle», précise Samia Hurst.
FMH et ASSM étant à nouveau sur la même longueur d’onde, les médecins se sentent désormais soutenus par leurs pairs au moment de délivrer, ou non, l’ordonnance permettant à leur patient de passer l’arme à gauche.
À quand le suicide assisté pour tous?
L’ASSM est très claire, l’assistance au suicide ne peut être accordée qu’aux personnes malades physiquement. Les souffrances extrêmes qu’elles ressentent doivent être la conséquence de leur pathologie. «La déprime de la personne âgée, la souffrance liée à sa solitude ne rentrent pas dans les critères permettant le suicide assisté, explique Michel Matter, ancien vice-président de la FMH. Les maladies psychiatriques sont également exclues. En tant que médecin, on redoute toutes les situations qui ne sont pas claires.» Pour Ralf Jox, co-directeur de la chaire de soins palliatifs gériatriques du Centre hospitalier universitaire vaudois, l’élargissement des conditions permettant l’assistance au suicide se pose: «Actuellement, les personnes en bonne santé qui n’ont plus goût à la vie ne peuvent pas demander ce type d’aide. La souffrance liée à une situation sociale difficile n’est pas profondément différente de celle liée à une maladie. Je suis contre l’idée que plus aucune règle n’encadre le suicide assisté, mais il faudrait consulter le peuple pour avoir son avis et éventuellement élargir les conditions d’accès à ce type d’aide. En ce sens, une loi fédérale serait une bonne chose. Ce que le corps médical redoute, c’est que le suicide assisté devienne une façon normale de mettre fin à ses jours et que les personnes âgées subissent une pression sociale.» Et Michel Matter de conclure: «Les mentalités changent, la société évolue. Quelle place veut-elle donner aux personnes en fin de vie? Il est important d’avoir un débat sociétal sur ce thème.»
Ce que dit la loi
Depuis 1942, le suicide est dépénalisé en Suisse. L’article 115 du Code pénal stipule que: «Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.» A contrario, une personne qui aide autrui à mettre fin à ses jours sans motif égoïste n’est donc pas punissable légalement. «Il n’y a aucune loi en Suisse sur le suicide assisté, explique Jean-Jacques Bise, co-président d’Exit. Jusqu’en 2004, le cadre était fixé par des associations comme la nôtre. En 2011, après une large consultation, le Conseil fédéral a décidé de ne pas proposer de norme pénale spécifique sur l'assistance organisée au suicide. Il est vrai que l’article 115 pose un cadre clair et Exit ne voit pas la nécessité de légiférer en la matière.»
Dans ce contexte, une lourde responsabilité pesait toutefois sur les épaules des médecins. Que faire face à une demande d’un patient qui ne remplit pas précisément les règles en vigueur? «Le suicide assisté n’est pas une activité médicale, précise Samia Hurst, membre du Sénat de l’Académie suisse des sciences médicales (l’organe suprême de cette association) et directrice de l'Institut Éthique Histoire Humanités à l'Université de Genève (UNIGE). Jusqu’en 2004, chaque praticien devait agir en son âme et conscience. Cette situation n’était pas tenable pour les médecins, qui ne savaient pas vraiment ce qu’ils risquaient en transgressant les règles édictées par les associations.»
Le cas du médecin Pierre Beck, ancien co-président d’Exit, a fait grand bruit. En décembre 2021, sa condamnation pour violation de la loi sur les produits thérapeutiques pour avoir prescrit une substance létale à une octogénaire en bonne santé a été annulée par le Tribunal fédéral. Il devra être rejugé pour une éventuelle violation à la loi sur les stupéfiants.
Et Jean-Jacques Bise de conclure: «Si Pierre Beck devait être définitivement acquitté des charges qui pèsent encore sur lui, je présume que le législateur n’acceptera pas ce jugement. Il pourrait se ressaisir de ce dossier pour mettre sur pied une loi sur le suicide assisté. Ce ne sera pas nécessairement par l’adoption d’un nouvel article du Code pénal, mais plus probablement par celle d’une loi spécifique sur la fin de vie.»