La mécanique enrayée de l’injection mortelle
De quoi on parle?
Les faits
Le 29 avril dernier, l’Oklahoma exécutait un meurtrier de 38 ans au moyen d’une injection mortelle. Le cocktail de médicaments employé n’avait jamais été utilisé par cet Etat américain.
Le chiffre
43 minutes. C’est le temps qui s’est écoulé entre le début de l’exécution et la mort de Clayton Lockett. Celui-ci s’est débattu durant la procédure et a paru souffrir intensément. Selon le chef de l’administration pénitentiaire de l’Oklahoma, l’une de ses veines aurait même «explosé».
Le bilan
Ce fiasco relance le débat sur la peine de mort aux Etats-Unis et donne des munitions, notamment légales, aux abolitionnistes. Le Huitième amendement de la Constitution américaine interdit en effet les «peines cruelles ou inusitées». L’Oklahoma a décrété un arrêt des exécutions pour six mois.
En apparence, la technique est convaincante. Elle est aujourd’hui le moyen principal ou le seul moyen d’exécution dans les 20 Etats américains où la peine de mort est prévue et appliquée.
Le concept de l’injection létale a été développé en Oklahoma à la fin des années 1970 et utilisé pour la première fois au Texas en 1982. Il consiste à injecter au condamné trois produits successivement: du penthotal sodique, du pancuronium, puis du chlorure de potassium (voir infographie). «Le penthotal est un sédatif, il endort et peut être mortel à haute dose, explique le Pr Nicolas Schaad, pharmacien-chef de l’Hôpital de La Côte. Le pancuronium, dérivé du curare, empêche mécaniquement de respirer en bloquant la contraction musculaire.» En très grande quantité, «le potassium bouleverse le rythme cardiaque», complète le Pr Martin Tramèr, anesthésiste aux Hôpitaux universitaires de Genève. Le coeur bat anarchiquement et ne joue plus son rôle de pompe. Après quelques minutes, les cellules du cerveau commencent à mourir faute d’oxygène.»
En résumé, on endort profondément le condamné, on le paralyse et on crée chez lui une crise cardiaque. Cette progressivité est toutefois relative. «La dose de penthotal administrée est suffisante pour tuer», remarque le Pr Tramèr. Le paralysant musculaire assure par ailleurs que le condamné ne puisse se débattre durant son agonie.
Panne de produits
Plusieurs centaines d’exécutions ont suivi ce protocole jusqu’à ce que l’Union européenne interdise, en 2011, l’exportation du penthotal destiné aux exécutions. Les Etats américains le remplacent alors par du pentobarbital, un médicament de la même famille, celle des barbituriques. Mais rebelote, la firme danoise Lundbeck, principal fabricant de pentobarbital, refuse de fournir son médicament aux bourreaux. En quête de nouvelles méthodes, les Etats-Unis débutent une expérimentation sur l’être humain, sans l’accord des milieux concernés et sans le soutien du milieu médical.
C’est dans ce contexte que plusieurs Etats américains dont l’Oklahoma remplacent dans le cocktail létal les barbituriques par du midazolam (Dormicum), un médicament tranquillisant de la famille des benzodiazépines. L’automne dernier, la Floride emploie la première un protocole à trois produits composé d’injections de midazolam, de pancuronium et de chlorure de potassium.
«Les effets des benzodiazépines sont semblables à ceux des barbituriques, explique le Pr Schaad. A une différence près: les seconds sont beaucoup plus dangereux pour la vie à haute dose. On échange donc un produit toxique avec une substance qui n’est que sédative.»
Le midazolam a en effet très peu de chance de contribuer au décès. Celui-ci surviendra par l’effet du paralysant sur les muscles de la respiration ou par la fibrillation cardiaque causée par le potassium. Dans le cas de Clayton Lockett, le motif officiel du décès est une crise cardiaque.
Le choix des armes
Au niveau mondial, 58 pays appliquent la peine de mort. En 2013, Amnesty a répertorié 778 exécutions dans 21 pays.
La méthode la plus répandue dans le monde est la pendaison (Irak, Japon, Inde, notamment), suivie par les armes à feu (Taiwan, Autorité palestinienne, Somalie, entre autres). La lapidation est autorisée dans plusieurs pays mais seuls l’Iran et la Somalie la pratiquent officiellement. L’Arabie saoudite, enfin, décapite ses condamnés à mort. Aux Etats-Unis, plusieurs méthodes se sont succédé. La pendaison a longtemps été utilisée, de même que la chaise électrique (dès 1890), la chambre à gaz et le peloton d’exécution. Aujourd’hui encore, certains Etats laissent le choix au condamné entre l’injection et la chaise électrique ou l’injection et la chambre à gaz.
Un geste délicat
Néanmoins, les sept mises à mort qu’a réalisées la Floride semblent s’être déroulées sans incident, au contraire de l’exécution en Oklahoma qui employait une procédure similaire. Certes, la Floride emploie une dose supérieure de midazolam mais la différence entre les deux Etats réside sans doute dans les gestes «médicaux» effectués.
L’injection létale telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui requiert qu’un cathéter soit posé dans une veine de chaque bras du condamné. Il s’agit d’un tube qui permet d’injecter les produits requis. Avant l’exécution, quelqu’un doit le mettre en place. Mais il y a un hic: les associations médicale et infirmière des Etats-Unis interdisent à leurs membres de prendre part à l’exécution d’un condamné.
L’identité des bourreaux est protégée par les autorités mais il est probable qu’ils appartiennent au personnel pénitentiaire et ne bénéficient pas d’une expérience médicale. Dans ces conditions, le cathéter peut ne pas être placé correctement, ce qui compromet la «qualité» de l’injection. Le Pr Tramèr explique: «Poser une voie veineuse est difficile chez certains patients, par exemple les obèses, voire très difficile chez les toxicomanes ou ex-toxicomanes s’injectant des drogues. Qui plus est, si le patient bouge ou se débat, le cathéter peut se déplacer.»
Si le cathéter est mal placé, les produits se répandent dans les tissus autour de la veine. Ils pénètrent dans l’organisme mais leur effet est beaucoup plus lent. «Si l’on vous injecte 100 milligrammes de midazolam par une veine, vous fermez les yeux et êtes profondément inconscient en quelques minutes, détaille le Pr Tramèr. La même quantité injectée dans les tissus demandera cinq à dix minutes pour obtenir un résultat semblable.»
L’incompétence des bourreaux
Il est probable que, dans le cas de Clayton Lockett, un tel ratage se soit produit. Dans un premier temps, les bourreaux n’ont pas réussi à insérer les cathéters dans les veines de ses bras. A la place, ils en ont installé un dans la jambe (veine fémorale), ce qui pourtant requiert une technique beaucoup plus délicate. Et ils l’ont manifestement mal placé puisque le condamné ne s’est pas endormi immédiatement.
Ce que montre l’agonie de Clayton Lockett n’est pas que le cocktail utilisé est inefficace, mais que les autorités n’ont pas les moyens humains de l’appliquer correctement. La médicalisation de la peine de mort n’est qu’une façade.
Le Pr Tramèr rappelle que les produits pharmaceutiques utilisés sont prévus pour soigner et, contrairement à d’autres méthodes d’exécution, n’ont pas été développés dans le but de tuer. «Ces médicaments sont mis dans les mains de personnes qui ne savent pas les employer, résume-t-il. Les médecins ont bien ce savoir mais leur éthique leur interdit de collaborer. Ce cercle vicieux remet en cause cette méthode d’exécution et montre bien qu’une peine de mort sans violence et sans douleur est une illusion. En tant que médecin, je ne peux que m’opposer fermement à la peine capitale.»
Le Pr Schaad abonde dans son sens. «Le monde médical a clairement exprimé qu’il ne s’associerait pas à la démarche des autorités en matière d’injection mortelle. Celles-ci devraient prendre leur responsabilités et, peut-être, trouver d’autres méthodes.»