La difficile prise en charge des demandes d’aide au décès
C’est l’histoire de 39 patients dans un hôpital gériatrique quelque part en Suisse romande. Ils ont en moyenne 80 ans, ils sont malades, la plupart souffrent d’un cancer, de graves problèmes cardiaques, de la maladie de Parkinson ou de dépression sévère. Ils sont tous sur le point de mourir. Chacun a d’ailleurs formulé une demande d’aide au décès (DAD).
Des lois méconnues
L’acronyme, qui apparaît pourtant souvent dans les médias, reste mal compris de la population, des médecins et des principaux concernés. Les deux-tiers des 39 patients ont en effet demandé une euthanasie. Considérée en Suisse comme un homicide rapide et indolore d’une personne atteinte d’une maladie incurable, perpétré dans le but d’abréger ses souffrances, l’euthanasie y est néanmoins assimilée au meurtre et donc interdite. C’est l’assistance au suicide, un suicide accompli avec l’aide d’une tierce personne, qu’il fallait demander. Un citoyen ne sera pas puni s’il fournit une telle aide à autrui sans en tirer de profit personnel. Ni l’intervention d’un médecin ni la présence d’une maladie, de symptômes ou d’une souffrance particulière ne sont requises.
Les législations, les cultures et les sensibilités, diverses, ne facilitent pas la question. Au Pays-Bas, en Belgique et au Luxembourg, l’euthanasie est acceptée. La participation médicale est obligatoire et l’existence d’une souffrance doit être attestée pour que soient accomplis un geste d’euthanasie ou une assistance au suicide. Ailleurs en Europe, tant l’assistance que l’euthanasie sont interdites mais des demandes d’aide active au décès sont fréquemment formulées. Aux Etats-Unis, si l’euthanasie est interdite, l’assistance au suicide d’un patient en phase terminale d’une maladie inguérissable est autorisée dans certains Etats.
Des raisons psychologiques
Parmi les raisons principales qui ont poussé nos 39 patients à formuler une DAD figurent la douleur, physique et morale, mais surtout une souffrance existentielle à propos du sens de la vie, un degré de dépendance jugé inacceptable, l’attente de la mort, beaucoup trop longue, le souhait de protéger la famille ou les proches. Leur cas n’est pas isolé: selon d’autres études - car cette histoire est une étude -, les principaux facteurs favorisant de telles demandes sont, entre appréhension du futur, peur de devenir une charge, perte de l’autonomie, dépression et solitude, psychologiques. Bien plus que physiques. La proportion de DAD qui ne sont pas directement liées au domaine médical, de plus en plus importante, traduit un véritable mal-être.
Et un appel à l’aide. Car avec le temps, la plupart des patients qui ont fait une DAD changent d’avis. Encore une fois, les 39 ne font pas exception. Un mois après leur première requête, seuls trois d’entre eux persistaient dans leur demande. Cinq mois plus tard, 26 patients étaient décédés de mort naturelle. Parmi ceux qui vivaient encore, seuls deux n’avaient pas changé d’avis et, rentrés à leur domicile, étaient assistés dans leur geste suicidaire le jour même.
Ces deux cas représentent 5% des patients ayant formulé une DAD et 0,3% de ceux qui ont été admis dans l’établissement en douze mois. Les 39 sont les représentants d’une minorité. Sur les 718 patients qui ont été traités dans l’hôpital gériatrique en question durant la même période, 679 n’ont pas émis le désir de mourir. Les DAD n’en demeurent pas moins fréquentes et on peut s’attendre à ce qu’elles augmentent.
L’importance de la prise en charge
Face aux incohérences et à la méconnaissance, la prise en charge est essentielle. Les changements d’avis en effet sont souvent dus à une bonne communication avec le patient. Les réponses apportées par les soignants, ainsi que par les proches, peuvent maintenir le patient dans sa dignité, qualité inhérente de l’existence.
Il a été constaté que les DAD sont souvent formulées quand les symptômes de la maladie ne sont pas soulagés et lorsque la peur d’une perte de maîtrise se manifeste. La qualité du travail des médecins, qui chercheront à anticiper la survenue de tels symptômes, est cruciale. Si la requête est déjà formulée, ils doivent évaluer ses motifs (somatiques, psychiques, sociaux, spirituels), exercice qui aidera à trouver des alternatives thérapeutiques pour soulager les symptômes. Il faut aussi laisser du temps au patient afin qu’il puisse manifester ses craintes, ses doutes, ses espoirs et exprimer son ambivalence.
Peu d’études sont parvenues à prendre en compte les motivations des DAD, encore moins les prises en charge. L’exemple des 39 patients constitue un premier pas pour mieux comprendre les différentes souffrances à l’origine des DAD et améliorer la prise en charge afin d’y répondre de manière professionnelle et éthique.
Références
Adaptation de « Demandes d’aide au décès (assistance au suicide et euthanasie) en médecine palliative », Dr Karine Moynier-Vantieghem, équipe mobile de soins palliatifs de l’ARC CTR d’Aubonne, établissements hospitaliers de la Côte, Dr Yolanda Espolio Desbaillet, service de gériatrie, hôpitaux neuchâtelois, Dr Catherine Weber, service de soins continus, Dr Sophie Pautex, équipe mobile antalgie et soins palliatifs, Dr Gilbert Zulian, service de médecine palliative hôpital de Bellerive, in Revue médicale suisse 2010; 6: 261-5, en collaboration avec les auteurs.