Un réseau social pour malades du cancer
Lorsque l’on est malade, et a fortiori quand on a un cancer, on éprouve souvent l’envie d’échanger son expérience avec d’autres personnes souffrant du même mal. Partant de ce constat, deux Belges – un spécialiste en médecine nucléaire, Erard Le Beau de Hemricourt, et un bio-ingénieur, Mitchell Silva – ont créé en 2013 la plateforme Esperity. Inspirée des réseaux sociaux de type Facebook, elle est dédiée aux personnes atteintes d’un cancer, à celles qui s’en sont remises, ainsi qu’à leurs proches.
Des communautés virtuelles centrées sur le thème des tumeurs ont déjà été développées aux Etats-Unis où elles connaissent un certain succès. Mais elles sont réservées aux anglophones. L’originalité du réseau belge est d’être accessible en huit langues (en anglais, mais aussi en français, allemand, arabe, espagnol, portugais, polonais et néerlandais), les conversations étant automatiquement traduites par un logiciel approprié.
«Jumeau médical»
«Plus jamais seul face au cancer!», affiche le site d’Esperity (www.esperity.com). «Vous pouvez partager vos expériences, vos témoignages à propos de votre maladie, vos traitements ou d’autres éléments de votre vie». Chacun pourra d’ailleurs y trouver son «jumeau médical», quelqu’un souffrant du même type de tumeur que lui et avec qui il pourra dialoguer. Plateforme de discussions, le réseau se veut aussi un outil d’éducation et d’information pour les personnes concernées par la maladie.
Cette initiative «répond à une demande des patients qui ont besoin d’échanges, bien qu’elle soit souvent choisie par les personnes déjà actives sur les réseaux sociaux», commente Nicole Bulliard, chargée de communication à la Ligue suisse contre le cancer. «Cela part d’une bonne intention, car les patients doivent participer à leur traitement», remarque pour sa part Eric Raymond, chef du service d’oncologie médicale du Centre Hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Toutefois, il n’est pas certain que les informations transmises par ce biais soient réellement appropriées. «Il existe déjà de nombreux blogs sur la maladie, précise le médecin du CHUV. En les lisant, on s’aperçoit que les patients qui s’y expriment n’ont souvent qu’une idée superficielle de leur diagnostic». Difficile dans ces conditions d’être sûr que son «jumeau médical» a vraiment la même maladie que soi. D’autant que ce n’est pas parce que deux individus souffrent d’un même type de tumeur que leur situation est identique et qu’ils recevront les mêmes traitements. «Chaque patient est unique et doit faire l’objet d’une prise en charge individualisée», souligne Angela Pugliesi-Rinaldi, médecin-adjoint au service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). C’est pour cette raison que Nicole Bulliard estime qu’il «est indispensable de disposer de relais, en l’occurrence de professionnels de la santé qui peuvent traiter les informations et permettre à chacun de savoir celles qui sont pertinentes dans son cas». C’est d’ailleurs sur ce modèle que sont conçus les forums et les chats de la Ligue suisse contre le cancer.
Confidentialité des données
Si pour certaines personnes, l’échange direct avec un autre malade peut être un soutien et une source de réconfort, il peut aussi parfois être source d’inquiétude. Voire se révéler «dangereux, psychologiquement, selon Eric Raymond. Par exemple pour un patient en voie de rémission qui constaterait que la maladie de son “jumeau”, avec lequel il a créé des liens, évoluerait mal».
Sans oublier que derrière tout réseau social se cache la question de la confidentialité. Bien qu’Esperity se soit doté d’une «charte de vie privée» et que ses concepteurs affirment que «les données sont en sécurité sur le réseau», on sait que toute personne qui s’y exprime laisse des traces. Or, «de plus en plus de patients guérissent de leur cancer et il n’est pas certain qu’ils souhaitent laisser des empreintes électroniques de leur ancienne maladie», remarque la chargée de communication de la Ligue suisse contre le cancer.
Nouvel exemple de la montée en puissance des réseaux sociaux, cette plateforme compte déjà plus de 5000 adhérents et elle a de quoi séduire les adeptes de la communication en ligne. Toutefois, pour être sûr d’être correctement informé, mieux vaut compter sur les discussions directes, par l’intermédiaire de lignes téléphoniques comme InfoCancer de la Ligue suisse ou au sein des groupes de patients organisés par la plupart des hôpitaux et les ligues cantonales contre le cancer.
Une aide à la recherche médicale?
Esperity se veut aussi un outil pour faire avancer la recherche. La plateforme propose à ses membres de les informer des essais cliniques concernant leur tumeur et menés dans leur région. Il peut même au besoin servir d’intermédiaire entre les personnes intéressées et l’équipe médicale concernée. «De nombreux sites de ce type existent déjà pour les médecins traitants», constate Angela Pugliesi-Rinaldi, médecin-adjoint au service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Est-il souhaitable que les malades aient directement accès à cette information? «Cela n’est utile que si l’on dispose du dossier médical du patient», précise Eric Raymond, chef du service d’oncologie médicale du CHUV. Par ailleurs, chaque projet de recherche fait appel à des malades ayant une pathologie et un profil bien précis. Lorsque l’on souhaite participer à un essai et que l’on essuie un refus, «cela engendre de grandes déceptions», constate le médecin du CHUV. Il n’est donc pas certain qu’Esperity puisse vraiment faire avancer la recherche.
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