Timide progrès contre la forme génétique du cancer du pancréas
La nouvelle a été annoncée avec grand enthousiasme durant le 55e congrès américain du cancer ASCO début juin 2019: la prise en charge du cancer du pancréas progresse. Grâce à une molécule nommée olaparib, des chercheurs ont obtenu des résultats encourageants. Décrite dans l’étude POLO, parue dans le New England Journal of Medicine, cette avancée est importante parce qu’elle propose une nouvelle piste de traitement. Mais elle est toutefois à nuancer, car elle ne concerne que peu de patients et ne signifie pas un allongement de leur espérance de vie.
BRCA: prédisposition multi-cancers
Auparavant peu connues, les mutations des gènes BRCA1 et BRCA2 ont été visibilisées en 2013, lorsque l’actrice Angelina Jolie a témoigné être porteuse de cette anomalie génétique. Face à ce facteur de risque, la célèbre Américaine a pris la décision de subir une double mastectomie, puis une ablation des ovaires. Les gènes BRCA1 et BRCA2 sont impliqués dans la réparation de l’ADN. Chez une personne sur 500, ces gènes ont muté et ne tiennent plus leur rôle. Cette mutation représente un risque accru de développer des formes héréditaires de cancer du sein, des ovaires, de la prostate et du pancréas.
C’est sur une anomalie génétique que les scientifiques se sont penchés. Les participants à l’étude sont en effet tous porteurs de la mutation BRCA1 ou BRCA2 (lire encadré). «Seules 5 à 7% des personnes atteintes d’un cancer du pancréas possèdent cette prédisposition, souligne le Pr Nicolas Mach, médecin responsable de l’Unité de recherche clinique du Service d’oncologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Chez elles, le cancer se développe dans un terrain génétique particulier.» Les patients porteurs de cette mutation ont été traités durant seize semaines minimum avec une chimiothérapie à base de platine. Seuls ceux dont la maladie n’a pas évolué pendant le traitement ont pu participer à l’étude, soit 154 personnes. Deux tiers des participants ont reçu l’anticancéreux, alors que le reste n’a reçu qu’un placebo. Si les scientifiques se sont tournés vers l’olaparib, c’est parce que cette substance s’est montrée efficace pour ralentir la progression du cancer des ovaires chez les patients avec les mutations BRCA1 et 2. Ce médicament fait partie de la famille des inhibiteurs de PARP, qui empêchent la reconstruction des cellules cancéreuses (lire encadré).
Au terme de l’étude, les chercheurs ont observé une augmentation de la période sans progression de la maladie chez les patients traités avec l’olaparib. Pour ce groupe, la durée moyenne sans aggravation du cancer a été de 7,4 mois, contre 3,8 mois pour le groupe placebo. Le développement des métastases a ainsi été retardé. Malheureusement, cela ne signifie pas que les patients vivent plus longtemps. «Il est trop tôt pour déterminer s’il y aura un impact sur la survie globale car les données ne sont pas assez matures, argumente la Dre Anna Wagner, responsable de la consultation d’oncologie gastroentérologique au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Il faut également souligner que la qualité de vie des patients ne s’est pas améliorée et que le traitement a provoqué des effets secondaires néfastes chez 40% des patients.» L’olaparib ne serait donc intéressant qu’en tant que traitement de maintenance. Autrement dit, il permettrait de prolonger les bénéfices de la chimiothérapie après l’arrêt de celle-ci.
Cancer fulgurant
Les inhibiteurs de PARP
Les PARP sont des enzymes chargées de réparer l’ADN endommagé des cellules. Lorsque leur action est bloquée par des inhibiteurs, comme l’olaparib, les cellules normales peuvent utiliser un autre mécanisme de réparation. Par contre, les cellules cancéreuses porteuses de mutations gènes BRCA1 et 2 n’ont pas d’alternatives de réparation et sont donc fortement dépendantes des PARP. En l’absence de ces enzymes, leur ADN n’est pas réparé, ce qui conduit à leur mort. Les inhibiteurs de PARP représentent donc une piste oncologique intéressante pour les patients porteurs des mutations BRCA.
Si l’annonce des résultats a suscité autant d’agitation, c’est parce que les bonnes nouvelles autour du cancer du pancréas sont rares. Il compte parmi les cancers avec les plus mauvais pronostics. «Les patients avec un cancer non-opérable survivent généralement entre trois et trente mois à partir du diagnostic, explique la Dre Wagner. Ce temps dépend de l’état du patient, notamment de sa fatigue, du développement de métastases ou de la présence d’autres maladies ou symptômes.» Moins de 10% des patients sont encore en vie après cinq ans.
La fulgurance de cette pathologie s’explique par la difficulté de son diagnostic et le peu d’efficacité du traitement. A ce jour, il n’existe pas de protocole de dépistage et la cause du mal reste inconnue. Les facteurs de risque suspectés sont le tabac, l’alcool et l’obésité. Le paramètre génétique entre également en jeu (lire encadré). Les premiers symptômes, qui se manifestent sous forme de douleurs abdominales, sont fréquemment attribués à des troubles bénins. Lorsque des symptômes plus importants se font sentir, il est souvent trop tard. Chez 70% des patients, des métastases se sont déjà développées, parfois jusqu’aux organes voisins, ce qui rend inutile le retrait de la tumeur par chirurgie. Restent alors les autres traitements, dont les effets demeurent insuffisants. «Le cancer du pancréas réagit peu à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, illustre le Pr Mach. L’immunothérapie de première génération a également été testée, mais toutes les études à ce sujet ont des résultats négatifs.» Actuellement, les patients sont traités avec une ou plusieurs chimiothérapies combinées qui rallongent quelque peu l’espérance de vie, mais pas de manière importante.
Thérapie ciblée
Au cœur de ces sombres perspectives, la nouvelle d’une avancée, même minime, représente un progrès. L’étude POLO amène des résultats positifs sur le cancer du pancréas, fait rare depuis une vingtaine d’années. Elle est également la première à tester un traitement en fonction de la génétique de la tumeur. «Cette étude ouvre la piste des thérapies ciblées ou personnalisées en fonction de l’équipement de la tumeur ou du profil génétique du patient. Peut-être que dans quelques années, il sera possible de proposer des combinaisons d’olaparib avec d’autres médicaments ou d’autres stratégies médicales», conclut le Pr Mach.
Le faux espoir comme effet secondaire
«Nouveau traitement» et «espoir», tels sont les termes qui ont été utilisés pour médiatiser les résultats de l’étude POLO. «C’est une réaction naturelle car c’est la première fois depuis vingt ans qu’il y a une avancée à propos du cancer du pancréas, comprend le Pr Nicolas Mach, médecin responsable de l’Unité de recherche clinique du Service d’oncologie des HUG. Toutefois, il ne s’agit que d’une petite lueur dans un tableau bien sombre.» Malheureusement, les limitations de cette étude ne sont pas toujours claires pour le public. Certaines personnes souffrant d’un cancer du pancréas demanderont l’olaparib à leur médecin. «Or, ce traitement a une efficacité limitée et ne concerne qu’une quantité minime de patients. Moins de 10% possèdent la mutation génétique en question, souligne le Pr Mach. Ces grandes annonces engendrent alors de faux espoirs pour les patients qui ne correspondent pas à ce profil très particulier. L’oncologue a souvent le mauvais rôle de casser une illusion construite avec des arguments erronés, tout en maintenant un équilibre subtil entre soutien, espoir et vérité scientifique.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 25/08/2019.
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