Alimentation et cancer: une querelle d’assiette?
La prévention reste essentielle
Dans sa conférence (Conférence du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer le 18 novembre 2010) Pr Giacosa a introduit son sujet avec un rappel des enjeux épidémiologiques du cancer. Si les chiffres n’ont rien de réjouissant, il existe tout de même, pour certains types de tumeurs, une nette tendance à la diminution de la mortalité grâce aux avancées thérapeutiques. Cependant, sans minimiser celles-ci, le conférencier a précisé que les progrès les plus spectaculaires sont finalement obtenus par la prévention, c’est-à-dire par l’élimination progressive des facteurs de risque sur lesquels nous pouvons agir.
Le rôle reconnu de l’alimentation
Dans la hiérarchie des facteurs de risque, l’alimentation malsaine ou déréglée (souvent accompagnée de surpoids et de manque d’exercice physique) joue un rôle essentiel. Ce rôle, a fait remarquer l’orateur, est précisément mis en lumière par le cas de personnes passant d’une culture à l’autre. Ainsi, des enfants adoptés provenant de régions où certains cancers sont rares, voire inconnus développent les mêmes cancers (et dans les mêmes proportions) que les familles occidentales qui les accueillent. L’observation a, par exemple, été évidente chez les Japonais émigrés aux Etats-Unis: le cancer du côlon est rare au Japon, ce qui ne protège en rien les migrants ayant adopté l’«american way of food»: barbecues, pizzas, hamburgers et sucreries.
Il est même établi que ces changements d’habitudes alimentaires peuvent avoir une influence sur certains gènes comme le P53. Ce dernier diminue le risque de cancer, mais il mute si on privilégie une alimentation de type fast food avec un indice glycémique élevé. Cette mutation retire simplement au P53 sa fonction protectrice.
Cancer de l’intestin: un ennemi redoutable
Passant du général au particulier, Attilio Giacosa a ensuite examiné l’influence de l’hygiène de vie sur le cancer de l’intestin. Un adversaire redoutable: deuxième cancer le plus fréquent en Suisse, il touche une personne sur 20 chaque année et présente un taux de mortalité élevé (50%), explicable par son diagnostic souvent tardif. Il est démontré qu’une activité physique régulière, pendant toute la vie, diminue le risque de le voir apparaître cette forme de la maladie, d’autant que ladite activité physique aide à limiter le surpoids corporel, lui aussi important facteur d’incidence.
Une bonne hygiène alimentaire est également efficace. Le conférencier a donné l’exemple de l’augmentation significative de la consommation d’hydrates de carbone (pain, pâtes, desserts, etc.), qui conduit à une surcharge de glucose et à une augmentation de l’insuline dans l’organisme. Or, l’insuline est une substance qui, entre autres, favorise la croissance cellulaire, y compris la croissance anarchique caractérisant les tumeurs… Autre exemple d’habitude alimentaire néfaste: les grillades à feu vif. La graisse qui s’écoule de la viande brûle sur la flamme et se dépose sur la nourriture sous forme de substances cancérigènes.
Nos habitudes alimentaires ont radicalement changé en cinquante ans
Nos habitudes alimentaires ont-elles donc à ce point changé que l’on puisse les tenir pour responsables de l’augmentation de certains cancers ? Le Pr Giacosa a illustré ce changement par le cas des oméga-3 et des oméga-6. Les premiers sont positifs (en particulier par le rôle qu’ils jouent dans le mécanisme d’auto-destruction des cellules vieillies, déficientes ou anormales), les seconds négatifs. Nous devrions ainsi au moins maintenir un équilibre entre les deux dans notre alimentation, par exemple en mangeant du poisson, riche en oméga-3. Cet équilibre était réalisé au paléolithique, et il s’est maintenu pratiquement sans changement dans les régions méditerranéennes jusqu’au milieu du XXe siècle. Ensuite, tout bascule: l’Italie, par exemple, est passée en cinquante ans de la parité à un rapport de 13 oméga-6 pour 1 oméga-3. En Europe du Nord, aux Etats-Unis, on a dépassé 15 pour 1. Parmi les pays développés, seul le Japon, grand consommateur de produits de la mer, reste à un rapport relativement raisonnable de 4 oméga-6 pour 1 oméga-3.
Plaidoyer pour la cuisine méditerranéenne
L’alimentation joue donc un rôle clé dans la prévention de certains cancers. Comment la rééquilibrer ? Quelles recettes suivre ? Attilio Giacosa a répondu par un vibrant plaidoyer pour la cuisine méditerranéenne. D’abord, celle-ci fait un large usage des fruits et des légumes, dont il faudrait consommer au moins cinq portions par jour. Ce chiffre paraît inatteignable pour beaucoup d’entre nous (d’ailleurs, moins de 20% de la population se conforme vraiment à cette règle), pourtant le simple fait de remplacer les en-cas faits de biscuits ou de chocolats par des fruits (frais ou secs) fait déjà grimper le score !
Ensuite, il existe un véritable bienfaiteur abondamment utilisé dans la cuisine méditerranéenne: l’huile d’olive. Sous réserve de sa bonne extraction (qualité extra-vierge indispensable), cette huile joue un rôle protecteur grâce à ses antioxydants. La recherche l’a montré: la fonction anticancer de ces antioxydants est capitale. On retrouve ces mêmes vertus dans les aromates et les épices, ainsi que dans les flavonoïdes, cette gigantesque famille de substances qui donnent le goût et la couleur aux aliments. Les flavonoïdes sont, par exemple, très présents dans le raisin, les pommes, les poires, le thé, le cacao ou le vin rouge. Bonne nouvelle donc: l’alimentation la plus «protectrice» est aussi la plus colorée et la plus goûteuse.
Dans la même veine, le Pr Giacosa a relevé le rôle positif des caroténoïdes, abondants dans les fruits et légumes jaunes (tomates, carottes, oranges), mais également dans les épinards, les brocolis ou le céleri. Les scientifiques ont ainsi pu identifier leur action préventive contre le cancer du sein, même dans des situations où existe une prédisposition familiale.
La qualité compte aussi
Cependant, l’orateur n’a pas caché que lorsque l’on parle de «cuisine méditerranéenne», il s’agit de celle mangée dans les campagnes du sud de l’Italie dans les années 50 du siècle passé, et non celle qui se trouve aujourd’hui sur les rayons des supermarchés. Le consommateur doit aussi rechercher la qualité, privilégier les produits locaux et saisonniers, différencier les huiles comme on distingue un grand vin d’une piquette. Il doit apprendre, connaître, chercher, choisir. Il ne s’agit toutefois pas de se laisser gagner par une certaine paranoïa, notamment à propos des pesticides, a souligné le conférencier. Celui-ci a rassuré l’assistance en précisant qu’aucune enquête sérieuse n’a pu, à ce jour, établir le rôle négatif des pesticides sur la santé humaine, à part, a précisé Attilio Giacosa, sur celle des agriculteurs et des viticulteurs qui manipulent ces produits.
Dernière des Conférences du cinquantième de la Ligue vaudoise contre le cancer, celle d’Attilio Giacosa a été le bouquet final d’un jubilé célébré avec et pour la population. Une information subtilement vulgarisée, la chaleur du propos, le sourire et l’humour de l’orateur ont donné une couleur très latine au thème de l’alimentation, tout en démontrant que la prévention pouvait magnifiquement se marier avec le plaisir des yeux, celui du goût et celui de l’odorat. Avec le plaisir de vivre, tout simplement.
Directeur du Département de gastroentérologie et de nutrition de la Policlinique de Monza (Italie) et professeur de gastroentérologie à l’Université de Gênes (Italie), le Pr Giacosa est clinicien et chercheur depuis plus de trente ans, notamment auprès de l’European Cancer Prevention Organisation, dans le domaine de la prévention contre le cancer. Expert en endoscopie digestive et en épidémiologie, il est l’auteur de quelque 450 articles scientifiques et de nombreux ouvrages. |
Pour en savoir plus...
Cet article est extrait d'Entre Nous, no 27 paru en juin 2011, publication de la Ligue vaudoise contre le cancer. La vidéo de la conférence, accompagnée d’un enregistrement audio du débat avec le public, est disponible sur le site de la Ligue: www.lvc.ch
Article original: http://assets.krebsliga.ch/downloads/lvc_en_juin_2011_def.pdf