L'instinct parental, une histoire de neurones

Dernière mise à jour 08/03/21 | Article
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Lauréate du Breakthrough Prize 2021, la neurobiologiste Catherine Dulac a mis au jour les réseaux neuronaux qui contrôlent l’instinct parental chez la souris. Une organisation du cerveau présente à la fois chez les mâles et les femelles.

En septembre dernier, le Breakthrough Prize récompensait Catherine Dulac, professeure et chercheuse en neurobiologie à l’Université de Harvard et à l’institut médical Howard Hughes. Ce prix américain lui a été décerné pour sa découverte des neurones responsables de l’instinct parental chez la souris. Pour la première fois, elle a montré que le câblage des neurones était le même chez les mâles et les femelles, alors que leur comportement parental est différent.

L’instinct parental, c’est quoi?

Construire un nid, y amener ses petits, se blottir contre eux pour les réchauffer. Ce sont les tâches que vont réaliser spontanément les souris devenues mères. Des femelles vierges feront de même avec les petits d’une autre. «C’est l’instinct qui les guide, explique la Pre Catherine Dulac. Les informations qui indiquent la présence de nouveau-nés, comme les odeurs, la vue, les sons, vont déclencher une série de comportements parentaux.» Les mâles, de leur côté, auront tendance à attaquer les petits qui ne sont pas les leurs et à adopter un comportement dit «infanticide». Un rôle évolutif qui leur permet d’éliminer la progéniture des rivaux afin d’avoir leurs propres descendants. En revanche, quand ils deviennent pères, leur comportement change: ils deviennent parentaux au même titre que les femelles.

Un interrupteur de l’instinct parental

Comment expliquer cette différence de comportement mâle-femelle vis-à-vis des nouveau-nés? En étudiant le cerveau des souris, la chercheuse a découvert un groupe de neurones situés dans l’hypothalamus, appelés neurones à galanine, du nom de la protéine qu’ils produisent.

Ce sont eux qui contrôlent le comportement parental. À l’image d’un interrupteur, si ces neurones sont désactivés, la femelle n’est plus maternelle. À l’inverse, s’ils sont activés chez le mâle vierge, il devient paternel. Ces neurones codent pour l’instinct parental chez la souris, mâle et femelle. «Avant, on pensait que si les mâles et les femelles avaient des comportements différents, c’était parce qu’ils avaient des neurones différents. Mais les neurones sont les mêmes, c’est leur régulation qui est différente. C’est la première fois que l’on observe cela.» Un interrupteur similaire a été trouvé pour le groupe de neurones responsable du comportement infanticide. Quand on l’élimine du cerveau mâle, ce comportement disparaît. S’il est activé chez la femelle, elle commence à attaquer les petits. Il y a une raison physiologique pour laquelle ces neurones existent: si une femelle est confrontée à un stress important, comme le manque de nourriture ou des prédateurs trop nombreux, elle ne pourra pas assurer sa survie tout en s’occupant de sa progéniture. Il est préférable de les éliminer et d’attendre que les conditions soient meilleures. Le cerveau a donc plusieurs options à disposition, ce qui lui permet d’exprimer un comportement adapté à l’environnement et à l’état reproducteur (vierge ou parent).

Un circuit neuronal organisé

Après avoir identifié ces neurones, Catherine Dulac et son équipe se sont penchées sur les circuits neuronaux et les informations reçues du reste du cerveau. Des connexions avec les systèmes sensoriels, par exemple, permettent d’identifier la présence des petits ou des dangers. Les régions centrales du cerveau donnent quant à elles une indication de l’état physiologique de la souris. De plus, les neurones sont subdivisés en sous-populations, chacune exerçant un rôle particulier. Une d’entre elles est connectée aux régions motrices qui produisent le comportement lui-même, comme fabriquer un nid. Une autre est reliée à une région impliquée dans la motivation, ce qui conduirait les parents à aller vers les petits. Une troisième sous-population s’occupe de l’aspect hormonal. Cette division des tâches permet l’expression du comportement parental dans son entier.

De nouvelles voies contre la dépression post-partum

La recherche fondamentale sur les neurones du comportement parental pourrait ouvrir la voie à des études sur la dépression post-partum, qui touche entre 10 et 20 % des femmes venant d’accoucher. Cette maladie très handicapante empêche les mères, mais aussi les pères, de développer un lien émotionnel avec le nouveau-né. «Comprendre au niveau cellulaire et moléculaire comment fonctionnent les neurones à galanine dans le comportement parental pourrait donner des idées de médicaments pour le maintenir ou le renforcer dans le cas où il serait atteint.»

Si la recherche en est à ses débuts, on sait qu’un des facteurs de risque de la dépression post-partum est le stress. «Chez les animaux, il entrave le comportement parental. Investiguer le rôle du stress chronique sur la fonction des neurones à galanine ouvre donc un nouveau champ d’étude et donne aussi de l’espoir pour traiter cette maladie», conclut Catherine Dulac.

Des neurones similaires chez les humains?

Même si les neurones de l’instinct parental ont été découverts chez la souris, il y a de fortes chances pour qu’ils existent aussi chez les humains. En effet, le comportement parental a été identifié dans l’hypothalamus, une région du cerveau où les réseaux neuronaux ont été très conservés entre les espèces au cours de l’évolution. Il est d’ailleurs considéré comme le premier comportement altruiste apparu chez les animaux. De plus, la protéine galanine, identifiée dans les neurones de l’instinct parental, a été trouvée dans les neurones d’une espèce de poisson et de grenouille ayants cette faculté parentale. «Je suis prête à faire le pari que ces neurones existent aussi chez les humains, déclare la Pre Catherine Dulac, lauréate du Breakthrough Prize 2021 pour ses recherches sur le sujet. Leur fonctionnement et leurs connexions ne sont peut-être pas identiques aux souris, mais en tout cas similaires.» Cela reste encore à démontrer.

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 Paru dans Planète Santé magazine N° 40 – Mars 2021

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