Enfants: quand la tyrannie s’invite dans la famille
Qu’il s’agisse de leurs nombreuses exigences, des rituels qu’ils imposent, de leur opposition permanente, de leur intolérance à la frustration et des crises de colère excessives qui en découlent… les enfants à comportement tyrannique font vivre l’enfer à leurs parents et à leurs frères et sœurs. Ce phénomène, largement méconnu et tabou, serait en augmentation, d’après la Dre Nathalie Franc, pédopsychiatre au Centre hospitalier universitaire de Montpellier, spécialiste des troubles du comportement de l’enfant et auteure de nombreux ouvrages sur le sujet. Elle est à l’origine de la diffusion en France du programme REACT (lire plus loin et en encadré), qui accompagne les parents concernés par cette problématique.
Cette tyrannie qui s’exerce au sein de la famille ne correspond pas à un diagnostic médical. Les études montrent toutefois qu’elle est souvent associée à des troubles psychiatriques (troubles anxieux, du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), de la régulation émotionnelle, etc.). «Cette modalité de comportement se traduit par un renversement de la hiérarchie familiale. L’enfant prend le pouvoir à la maison. Les parents sont entravés dans leur éducation et leur fonction parentale. Ils vivent dans la peur des réactions de leur enfant et prennent toutes leurs décisions, que ce soit le choix du repas, du film, des sorties, etc., en fonction de lui», décrit la Dre Franc. «Les crises de colère font tenir cette hiérarchie inversée. Les parents ont tendance à s’hyperaccommoder afin de les éviter. Mais c’est un piège. Au fil du temps, les crises se multiplient et s’intensifient avec un risque d’aggravation de la violence», ajoute Caroline Eap, psychologue FSP à Morges et spécialiste de cette problématique. Ces crises peuvent entraîner la soumission des parents ou, pire, déboucher sur de la violence physique, verbale ou psychologique – jusqu’au harcèlement.
Des parents punching-ball
Ces situations ont ceci de particulier qu’elles se vivent le plus souvent à huis clos, ces enfants donnant le change à l’extérieur. «Dans des milieux très normés comme l’école, ils se suradaptent. Mais dès qu’ils se retrouvent dans le cadre sécurisant de la famille, ils déchargent leurs émotions pour retrouver leur équilibre», poursuit la Dre Franc. «Les parents servent ainsi de punching-ball», illustre Caroline Eap.
Le fait que ces comportements ne s’expriment que dans le cadre familial complexifie la prise en charge. «Les parents sont souvent incompris et remis en question, voire soupçonnés de faire n’importe quoi», déplore Nathalie Franc. Or, il ne s’agit ni d’un manque de cadre, ni de carence éducative. «Au contraire, ce sont des parents ultra-investis dans leur parentalité. D’un niveau d’instruction supérieur à la moyenne, ils sont très informés et à l’écoute des besoins de leur enfant», souligne Caroline Eap. Rien à voir donc avec l’enfant roi que l’on gâte et à qui on laisse tout faire.
Ce besoin excessif de contrôle qu’éprouve l’enfant à l’égard de son environnement et ses ouragans émotionnels mettent la famille à rude épreuve. Les parents, fragilisés, éprouvent honte et culpabilité et en viennent à s’isoler, par peur du regard des autres. Quant aux frères et sœurs, ils en paient généralement un lourd tribut.
Un nouvel ancrage parental
Pour aider les parents à sortir de cet engrenage destructeur, Haïm Omer, professeur de psychologie à l’Université de Tel Aviv, a mis au point le programme REACT (lire l’encadré) basé sur la résistance non violente, selon l’approche idéologique de Gandhi. Il a la particularité de se centrer sur la posture parentale. «Ces enfants ne s’engagent pas en thérapie car ils ne voient pas le problème. Comme les parents font le tampon, ils arrivent à garder un état émotionnel stable malgré leurs troubles», explique la Dre Franc. Il s’agit de mettre l’enfant dans un inconfort pour le motiver au changement. Ce programme est un levier, une étape préalable à la psychothérapie. «C’est un chemin qui nous manquait», poursuit-elle. La «nouvelle autorité» prônée dans le programme vise à augmenter la présence parentale et à condamner toute forme de violence. «Il n’est pas question de démissionner, mais de montrer à l’enfant que d’autres chemins sont possibles, relate Caroline Eap. C’est une manière d’exprimer son amour pour lui.» Cette résistance passe notamment par le silence, le contrôle de soi et le soutien d’un réseau que l’on met en place pour sortir du secret et de l’isolement et confronter l’enfant au regard social.
Cet apprentissage se fait par le biais de séances de groupe qui sont autant d’opportunités de trouver de l’écoute et de la solidarité. Une étude, conduite par la Dre Franc, évalue actuellement l’efficacité de la méthode. «Nous avons dix ans de recul avec des expériences cliniques qui montrent déjà de très bons résultats», conclut la pédopsychiatre.
Marie, mère de Nicolas, 11 ans: «On s’est retrouvés épuisés»
«Tout petit, Nicolas avait déjà un caractère bien affirmé. Il est plein de vie et prend beaucoup de place à la maison, par rapport à ses frères. Avec l’âge, il s’est affirmé. Quand il décide quelque chose, on ne peut pas le faire changer de direction et il est difficile d’obtenir sa coopération. Du moment qu’il n’est pas occupé, il cherche l’attention par le négatif et est toujours dans la provocation. À l’école, on a été régulièrement convoqués. Il prend tout l’espace, c’est toujours le même problème. Avec les copains, c’est en dents de scie.
Son père n’arrivait pas à en faire façon. Quant à moi, j’essayais d’arrondir les angles. Cette situation a amené beaucoup de tension dans le couple. Je me suis suradaptée pour éviter les crises, mais ce n’étaient que des bombes à retardement. On s’est retrouvés épuisés.
Avant REACT, j’ai essayé plein de choses qui visaient à changer Nicolas, mais cela ne tenait jamais longtemps. Il a senti cette fois qu’un changement s’opérait en moi. Le groupe rassure beaucoup, on se sent moins seul. J’ai appris que son comportement n’est pas dû à un défaut d’éducation, mais qu’il lui appartient. Cela a diminué ma culpabilité et m’a redonné confiance.»
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En savoir plus
L’Association française R.E.A.C.T., pour «Réagir face aux enfants et adolescents à comportement tyrannique», du nom du programme du CHU de Montpellier, offre la possibilité aux parents de se soutenir et d’échanger sur leurs expériences. Elle vise aussi à sensibiliser le monde médical et social sur les troubles de ces enfants. L’association compte, depuis sa création en 2018, plus de 1700 familles membres, dont une quinzaine en Suisse.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 08/09/2024