Ados, survivre à leur crise...et à la nôtre
Planète Santé: En quoi l’adolescence est une période charnière?
Nino Rizzo: L’adolescence est une période de changements profonds. Sur le plan biologique, l’enfant devient peu à peu un adulte, capable d’intégrer pleinement sa sexualité de jeune fille ou de jeune homme. Sur le plan social, entre 12 et 18 ans, l’individu change progressivement de perspective et est amené à faire des choix qui vont déterminer sa vie. En filigrane de cela se dessine pour lui une question majeure: «Quelle femme ou quel homme vais-je devenir?»
Quelle place prennent les parents dans tout ça?
Le jeune s’appuie de moins en moins sur ses parents. L’appartenance familiale s’éclipse au profit de l’appartenance aux pairs et groupes d’amis du même sexe. C’est aussi le temps des rencontres amoureuses.
Dans votre ouvrage, vous dites qu’au moment de la crise d’adolescence, des parents vivent eux-mêmes une crise. Qu'en est-il?
Oui, c’est souvent le cas. Les parents d’adolescents ont généralement entre 45 et 50 ans. Or, à cet âge-là, hommes et femmes sont aussi confrontés à de grands changements (biologiques, psychologiques, sociaux). C’est le mitan de la vie et tout l’équilibre est mis en branle. L’énergie de la jeunesse disparaît, la vieillesse s’approche, même si elle est encore loin. Les enfants s’éloignent, l’autorité des parents est remise en question, le narcissisme en prend alors un coup. Le noyau familial se desserre, les parents sont confrontés au couple qu’ils ont fondé, ce qui peut poser problème s’ils ne l’ont pas entretenu. Le couple doit se redéfinir. En plus de cela, certains accompagnent des parents vieillissants.
Qu’est-ce qui est difficile pour les parents d’aujourd’hui?
Les codes de la vie sociale (la liberté, la sexualité, les repères) changent très vite et les parents sont rapidement dépassés. Les ados sont partagés entre les valeurs familiales (respect, propriété, limites, etc.) et les promesses de la société de consommation et ses tentations de plaisir immédiat. Le rôle des parents est justement d’aider le jeune à canaliser cette soif de liberté et de plaisir, en respectant certaines limites afin d’éviter l’autodestruction. La sexualité, par exemple, est le moteur principal de la vie, mais peut être à l’origine de grandes souffrances. L’entrée dans ce monde-là est une promesse de grande joie. Les parents ont le devoir d’aider leur enfant à gérer ce passage, en le rendant attentif aux mesures de prévention et d’hygiène, aux sentiments, mais aussi à l’autre, pour que cette expérience ne se retourne pas contre lui.
Quelles difficultés les parents peuvent-ils rencontrer à cet égard?
Pour qu’un père ou une mère puisse dire «non» à son ado, il faut qu’il ait lui-même intégré cette différenciation entre la recherche de plaisir immédiat quel qu’il soit (sorties, télévision, écrans, etc.) et sa réalisation différée. Il arrive que le parent abandonne son rôle de capitaine pour jouer à l’adolescent en multipliant les sorties et les rencontres sexuelles. Cela peut arriver quand les parents n’ont pas vécu leur adolescence. On peut bien sûr vivre toutes sortes d’expériences, mais il est important de se souvenir qu’on n’a pas 15 ans! De même, on ne fera pas de son enfant son confi dent, et on acceptera que ce dernier ait des secrets. En résumé, il est important que chacun ait sa place et tienne son rôle. A l’inverse, on rencontre aussi des parents despotiques qui refusent catégoriquement cette recherche de plaisir, si typique chez l’adolescent. Or, l’adolescence est le temps de l’expérimentation. Cela peut aussi être problématique.
Il y a un effet de miroir entre l’adolescence des parents et celle de leur enfant?
Oui, tout à fait. Si le parent est entré dans l’adolescence avec fracas, en sortant beaucoup, en décrochant à l’école, en commençant à fumer, etc., il aura peur que son enfant reproduise les mêmes comportements. Il est utile d’en avoir conscience pour ne pas projeter des choses sur nos enfants alors qu’elles ne leur appartiennent pas. Un parent sage sera plutôt un parent à qui on a fait peur et qui n’a pas pu explorer ses limites dans la sexualité, la violence, etc. Il aura d’autant plus peur que son enfant s’y perde.
Comment aider au mieux son enfant à traverser cette période de mouvance?
En ayant une capacité d’écoute importante. Et en allant plus loin que les messages bruts et parfois violents dont les ados sont capables. Souvent les mots blessants traduisent leurs propres blessures. Être à l’écoute de cette souffrance et la prendre en compte est important. Leur faire sentir qu’on est capable de réfléchir et de se remettre en question. Mais sans pour autant renoncer à nos demandes et à nos exigences car il est important de maintenir le cadre dont on est par ailleurs responsable.
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