Douleurs somatiques chez l’enfant: quelles solutions?
Prétendre que les fœtus et les nouveau-nés ne ressentent rien est une idée révolue depuis une trentaine d’années. Odorat, ouïe, goût, toucher, vue: il est désormais admis que la perception et le développement sensoriels trouvent leur originein utero, dès la vingtième semaine de gestation selon les précisions des études les plus récentes. Par le biais de ses échanges avec sa mère notamment (caresse contre la paroi de l’utérus, etc.), le fœtus est réceptif à ce qui l’entoure et les images échographiques, entre autres, montrent qu’il s’y adapte. Expérience sensorielle par excellence, la douleur n’échappe pas à cette perception.
Psychisme précoce
La conscience de son environnement et la construction de ses capacités sensorielles propres témoignent de l’organisation précoce de la vie psychique du bébé alors qu’il est encore dans le ventre maternel. Elles préfigurent aussi la qualité de son insertion future dans l’univers social et des rapports qu’il entretiendra avec lui.
Dès la naissance et pendant les deux premières années de sa vie, l’enfant s’appuie sur sa sensorialité pour réguler son comportement, tant sur le plan physiologique (alimentation, température…) que psychologique (babillages, actions personnelles délibérées…). La démarche participe de la construction de son individualité propre, de la conscience et de l’affirmation de soi simultanément à son ouverture à l’autre. L’autre, justement, l’enfant l’observe puis le juge, il interagit avec lui, mais s’en dissocie volontairement pour s’émanciper.
Importance de la mémoire
Comment se construit alors le sentiment douloureux chez l’enfant? Que l’on parle de mémoire synchrone (caractéristique de l’encodage en temps réel des événements et des émotions par les très jeunes enfants jusqu’à l’âge de quatre ans) ou de celle qui nous permet par la suite de constituer une véritable frise chronologique, les traces mnésiques sont capitales. Conjuguées à une sensorialité précoce désormais avérée, elles fondent la relation entre la douleur ressentie dès les premiers temps de la vie et celle rencontrée par la suite.
Certaines expériences reconnues montrent que l’individu enregistre la douleur au tout début de son existence. Cette première expérience servira de base à l’interprétation des futures rencontres avec la douleur. Ainsi, soulager la douleur d’un bébé par anesthésie locale lors de sa circoncision conditionne l’intensité de sa réaction ultérieure aux piqûres vaccinales, tout comme le mode d’accouchement détermine l’ampleur de la réponse au stress du bébé dans les temps qui suivent.
Symptômes et enjeux
Douleur et stress sont donc intimement liés et participent à l’élaboration psychique complexe du bébé. Cette relation permet de comprendre que la souffrance psychique se traduit par des manifestations physiologiques chroniques. Due à une surcharge émotionnelle, cette somatisation prend des formes variées : constipation, maux de tête, douleurs abdominales, troubles dermatologiques... Dès lors, détecter les troubles, les prendre en considération et les traiter est essentiel pour éviter leur aggravation à l’adolescence (névroses, psychoses, inhibitions, difficultés langagières, peur de grandir ou de l’échec…), voire un retard plus préjudiciable, surtout chez les jeunes hypersensibles.
Traitement
Envisagé sur le court terme ou pendant plusieurs dizaines de séances si les troubles sont lourds et installés, un travail psychothérapeutique peut être proposé à l’enfant, parfois même avant son entrée à l’école. La thérapie, potentiellement pluridisciplinaire (thérapie du langage associée à la psychomotricité, etc.) lui permet de se recentrer sur ses propres émotions, de sortir de sa confusion et donner un sens à ce qu’il ressent. Elle mène l’enfant à l’introspection nécessaire à l’expression de ses sentiments et de ses angoisses pour mieux les désamorcer.
Les parents sont indispensables dans le cadre de ces thérapies, et se trouvent rapidement inclus lors des entretiens, faisant évoluer la thérapie infantile vers l’analyse des relations familiales dans leur ensemble. À la fois impatients de constater les performances de leurs enfants et soucieux de leur protection, les parents peuvent encourager malgré eux le malaise qu’exprime leur progéniture, rendue incapable d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés parce qu’elle n’en comprend pas les contradictions.
Les résultats des thérapies sont satisfaisants dans la plupart des cas: la diminution – voire la disparition – de la douleur somatique est souvent constatée grâce à un traitement psychothérapeutique familial réussi.
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Références
Adapté de «Douleur chez l’enfant, une complexité à explorer», Dr Dora Knauer, Psychiatre-psychothérapeute, Veyrier. In Revue Médicale Suisse 2014;10:1401-5, en collaboration avec l’auteur.