«L’obésité chez les adolescents et l’obésité sévère sont en hausse»

Dernière mise à jour 13/08/17 | Article
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Spécialisée en endocrinologie et en diabétologie au Centre hospitalier universitaire vaudois, le Pr Jardena J. Puder étudie les causes profondes de l’obésité, notamment chez l’enfant et l’adolescent.

En dates

1969 Naissance à Zurich.

1994 Diplôme de la Faculté de médecine de l’Université de Bâle.

1995-2000 Médecin assistante en médecine interne, puis en endocrinologie et diabétologie au Presbyterian Hospital/Columbia University Medical Center, à New York (Etats-Unis).

2011 Médecin adjointe au service d’endocrinologie, diabète et métabolisme du CHUV.

2015 Professeure associée à la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne.

Récompensée, notamment, par la Bourse Leenaards pour la Relève académique en médecine clinique et le Prix d’excellence en recherche clinique de l’Université de Lausanne, la Pre Jardena J. Puder milite pour la prévention et la prise en charge la plus précoce possible des personnes atteintes d’obésité. Elle dirige également une vaste étude sur la santé des enfants soutenue par le Fonds national suisse (informations sur www.splashy.ch).

Le nombre d’enfants en surpoids semble stagner en Suisse ces dernières années. Sommes-nous sur la bonne voie?

Il est encore trop tôt pour le dire, et les chiffres dont nous disposons sont malheureusement parcellaires. Mais plusieurs indicateurs vont en effet dans le sens d’une stabilisation, voire d’un léger recul du surpoids chez les enfants depuis 2010. En revanche, deux hausses persistent : celle de l’obésité chez les adolescents et celle de l’obésité sévère. Nous sommes face à un véritable problème de santé publique : le surpoids* concerne en Suisse près d’un tiers des adultes et l’obésité, une personne sur dix.

Vous prônez une intervention la plus précoce possible. Quels conseils donner aux parents pour être vigilants sans basculer dans l’obsession?

Le pédiatre est la personne la mieux placée pour conseiller les parents. Dès la naissance, le poids de l’enfant et son indice de masse corporelle (IMC) sont reportés sur une courbe de croissance qui sera le repère clé par la suite. Passé les premières années de vie, un suivi au moins une fois par an est préconisé. La vigilance doit ensuite redoubler à l’adolescence, où de nouvelles dynamiques bousculent les équilibres: baisse fréquente de l’activité sportive, temps de sommeil plus chaotique, repas pris hors du «contrôle parental», donc moins structurés et plus enclins à être plus gras et sucrés que sains et équilibrés.

Mais qui riment souvent avec les envies propres à l’adolescence…

Nous entrons dans le cœur du problème: il y a ce qui est préconisé dans un cabinet médical et la «vraie vie», influencée par le contexte familial, la société, l’industrie. À l’échelle individuelle comme à celle d’une société, l’obésité n’est souvent que la partie émergée de l’iceberg. De multiples facteurs sont impliqués et la médecine doit en tenir compte.

Comment cela doit-il se traduire dans les consultations?

Notamment en intégrant la famille de l’enfant ou de l’adolescent. Cela oblige les parents à prendre conscience de leurs propres comportements et de leurs contradictions. Comment un jeune peut limiter sa consommation de sodas si son père ne boit que cela, ne pas grignoter si sa mère le fait sous ses yeux ou se concentrer sur son repas si la télévision est toujours allumée? Certains changements relèvent du bon sens mais ne sont pas si simples à tenir sur la durée.

Qu’en est-il de la part génétique?

On pense qu’entre 60 et 80% du surpoids sont liés à l’hérédité, mais cela est plus complexe qu’il n’y paraît: les gènes découverts n’expliquent que 2% du problème. En revanche, beaucoup de gènes influenceraient un autre pilier du surpoids: nos habitudes. Ainsi notre façon de manger, de profiter d’un repas, et même d’être vulnérable aux tentations véhiculées par la publicité relève pour une large part de la génétique. Et puis il y a l’épigénétique, autrement dit la façon dont les gènes s’expriment selon l’environnement. La grossesse est l’un des moments clés de ce processus.

Le diabète gestationnel fait d’ailleurs partie de vos sujets de recherche. Le défi concerne-t-il la femme enceinte ou l’enfant à naître?

Les deux. La grossesse est un moment fascinant puisque la prise en charge du surpoids et du diabète gestationnel (taux de sucre élevé dans le sang durant la grossesse, ndlr) est à la fois un traitement pour la femme et un agent de prévention pour les générations futures. En effet, le poids et l’âge de la mère à la conception, son taux de sucre dans le sang, son alimentation, sa tension artérielle et sa prise de poids pendant la grossesse ont une incidence sur le poids de l’enfant et potentiellement de sa propre descendance. Ces effets ne sont pas inéluctables: la prise en charge de l’enfant et son contexte de vie vont faire la différence.

Que faire concrètement en cas de surpoids chez un enfant?

La première étape est d’en comprendre la cause. Les leviers d’action sont innombrables selon les cas. Ils vont associer des ajustements au niveau de l’alimentation et de l’hygiène de vie dans sa globalité. Il est crucial d’agir tôt: il est plus facile de rectifier un problème naissant que de revenir en arrière une fois que le surpoids est installé.

Quelles sont les clés pour l’éviter?

Bien sûr, il y a ce qui relève de l’alimentation elle-même, mais pas seulement. Les parents ont un grand rôle à jouer en posant un cadre, des règles d’hygiène de vie pour l’activité physique, le sommeil, le rythme de l’enfant, en le soutenant dans les épreuves de son quotidien, mais aussi en l’aidant à développer l’autorégulation face aux écrans, aux tentations diverses, au stress, autant de facteurs pouvant être à l’origine d’un surpoids. Et ce sont des règles qu’ils doivent pouvoir s’appliquer à eux-mêmes. Des études ont fait le lien entre la santé émotionnelle, physique et affective des parents et l’obésité des enfants. Et surtout, il ne faut pas hésiter à se faire aider lorsque l’on se sent perdu ou dans le doute.

L’obésité pédiatrique, un fléau aux conséquences multiples

En Suisse, entre 15 et 20% d’enfants sont en excès de poids et de 4 à 8% souffrent d’obésité. Si les recherches se multiplient pour comprendre les mécanismes en jeu, leur prise en charge constitue une urgence en raison des conséquences possibles, surtout à long terme: risque accru de maladies cardiovasculaires, de certains cancers et de diabète, apnée du sommeil, arthrose, entrave au bon développement psychique. Plus l’obésité est traitée tôt, moins elle a de chances de s’installer: 25% des enfants de moins de 6 ans souffrant d’obésité conserveront le problème à l’âge adulte, mais le chiffre dépasse les 75% si l’obésité est présente à l’adolescence.

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* Un adulte est en surpoids quand son IMC est compris entre 25 et 30 ; il est obèse quand son IMC est supérieur à 30. Calcul de l’IMC : poids (en kg) divisé par taille (en mètre) au carré. À noter que les chiffres sont différents pour les enfants et les adolescents, car ils dépendent de l’âge et du sexe.

 

Paru dans Le Matin Dimanche du 13/08/2017.

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