Une faille a été découverte dans l’arsenal pathogène du virus du sida

On sait tout, aujourd’hui, de la structure moléculaire des différentes variantes du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Il n’en va pas de même des mécanismes que ce dernier met en œuvre pour infecter certaines cellules humaines (les «CD4»), s’y reproduire et induire de la sorte un processus physiopathologique bien particulier. Un processus qui, s’il n’est pas combattu par des molécules antivirales spécifiques, attaque le système immunitaire et évolue vers le sida.
L’une des zones d’ombre concerne le rôle exact joué par la protéine «Nef» (pour NEgative regulatory Factor). C’est (avec Gag, Pol, Env, Tat, Rev, Vif, Vrp et Vpu) l’une des neuf protéines indispensables à l’existence et à la réplicationin vivo de cette entité qu’est le VIH.
La protéine Nef apparaît être l’une des clefs de la destruction progressive des lymphocytes CD4 dans les organismes infectés par le VIH et non traités. De petite taille, elle a la capacité de se lier à de nombreuses protéines présentes dans ces cellules et d’amplifier la production de nouveaux virus à partir des éléments cellulaires. C’est aussi une protéine présente dans tous les virus de la grande famille du VIH retrouvés notamment chez les primates; un témoin indirect du rôle majeur qu’elle joue dans le pouvoir pathogène de ces virus.
Etape importante
Des expériences sur l’animal ont montré que des virus sans protéine Nef (ou dans lesquels elle a été rendue inactive) ne sont plus capables de provoquer la maladie. C'est là une des pistes suivies pour élaborer un vaccin protecteur ou de nouveaux médicaments contre le sida. C’est dire l’importance considérable que les chercheurs spécialisés accordent au décryptage moléculaire des mécanismes dans lesquels Nef peut intervenir. Des chercheurs des universités de Genève et de Trento viennent d’annoncer avoir franchi une étape importante dans ce domaine. Dirigés par Federico Andrea Santoni (bio-informaticien et biologiste computationnel, Département de médecine génétique, Université de Genève) et par Massimo Pizzato (virologiste spécialiste de l’étude du VIH, Centre de biologie intégrative, Université de Trento), ces chercheurs viennent de publier leurs résultats dans la revue internationale Nature1.
Ils expliquent avoir découvert une faille importante dans les mécanismes d’attaque du VIH: la protéine SERINC5, qui semble être la cible de la protéine Nef. «Quand le virus se réplique dans une cellule, il utilise Nef afin de neutraliser une protéine spécifique dont la fonction est de protéger cette cellule contre le VIH. Notre but était donc d’identifier cette protéine encore inconnue, située sur la cellule attaquée, et ainsi de comprendre pourquoi certaines cellules sont plus sensibles au VIH que d’autres», explique Federico Santoni.
A Genève et à Trento, les chercheurs ont dans un premier temps examiné des lignées cellulaires issues de différents organes, dans le but d’en identifier les plus et les moins susceptibles d’être infectées par le VIH. A cette fin, ils ont retiré la protéine Nef VIH (d’un virus manipulé dénommé «VIH-Nef») afin de déterminer quels sont les éléments microbiologiques qui (habituellement inhibés par Nef) pourraient expliquer cette sensibilité plus ou moins marquée à l’infection.
Mécanisme en deux temps
C’est ainsi que les auteurs de ce travail ont constaté que, dans les lignées cellulaires les moins réceptives au VIH-Nef, une protéine (nommée SERINC5) était fortement présente dans les membranes cellulaires. Au contraire, elle n’était pas –ou presque pas– présente dans les lignées cellulaires sensibles au virus.
Massimo Pizzato résume de quelle manière Nef parvient à inhiber cette protéine, et donc à favoriser l’infection des cellules par le VIH: «Ce mécanisme se passe en deux temps. Lorsque le VIH, dépouillé de la protéine Nef, pénètre dans une cellule pour l’infecter, il y parvient sans problème. Le virus se reproduit ensuite normalement. Mais lorsqu’il en sort pour poursuivre son travail de destruction dans une autre cellule, il "emporte" avec lui une partie de la membrane cellulaire infectée pour constituer sa propre membrane. Avec elle, il emporte également des protéines SERINC5 qui se trouvent sur la membrane de la cellule attaquée. Et quand le virus essaie d’infecter une nouvelle cellule, SERINC5 agit comme un signal d’alarme et prévient la cellule de l’arrivée de l’agent pathogène. Le virus n’est alors tout simplement plus capable d’y pénétrer.»
Inverser l’équilibre des forces
On peut le dire autrement: en inhibant SERINC5, la protéine Nef est une clef essentielle pour le VIH et le développement de son potentiel infectieux. Dans la grande majorité des cas, Nef parvient à neutraliser la protéine SERINC5. Toutefois, la publication deNaturedémontre que si cette protéine cellulaire est fortement exprimée dans une cellule, Nef n’arrive plus à la contrecarrer, ce qui réduit grandement la capacité d’infection du virus. Conséquence logique: l’objectif est désormais de renverser l’équilibre des forces pour favoriser SERINC5.
«SERINC5 n’est certes pas le premier facteur antirétroviral découvert. Pour autant, nous avons identifié un élément nouveau, et surtout un mécanisme qui fonctionne très différemment des autres. De plus, contrairement aux facteurs antirétroviraux découverts précédemment, SERINC5 est exprimée dans toutes les cellules de notre système immunitaire», précise Federico Santoni. Il s’agit maintenant de poursuivre les recherches autour de ce mécanisme défensif, afin d’évaluer comment exploiter cette faille du VIH dans de nouvelles stratégies thérapeutiques. Deux voies sont possibles: renforcer la présence de SERINC5 dans toutes les cellules, ou modifier sa structure pour lui permettre de mieux échapper au pouvoir d’inhibition de Nef. Dans les deux cas, une voie enthousiasmante s’ouvre désormais.
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1 «HIV-1 Nef promotes infection by excluding SERINC5 from virion incorporation», Annachiara Rosa, Ajit Chande, Serena Ziglio, Veronica De Sanctis, Roberto Bertorelli, Shih Lin Goh, Sean M. McCauley, Anetta Nowosielska, Stylianos E. Antonarakis, Jeremy Luban, Federico Andrea Santoni & Massimo Pizzato.Nature(2015) doi:10.1038/nature15399.

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VIH-Sida
Le sida est dû au VIH (virus de l'immunodéficience humaine). Il se transmet par contact direct avec du sang contaminé, lors de relations sexuelles ou directement de la mère à l'enfant.