Du nouveau pour contrer le VIH
Plus de 37 millions de personnes sont infectées par le VIH dans le monde, dont environ 16'600 en Suisse*. Si ces chiffres témoignent d’une baisse progressive des contaminations, beaucoup reste à faire dans la perspective énoncée par l’ONU-SIDA de mettre fin à l’épidémie de SIDA d’ici 2030. En tête des obstacles: une maladie qui reste incurable, liée à un virus extrêmement complexe se profilant sous une multitude de variants, mais également grevée d’une stigmatisation aussi tenace que délétère pour sa prise en charge. Alors les défis se multiplient autant avant l’éventuelle infection, que lorsqu’elle survient et dans son traitement au fil du temps. C’est dans ce contexte que le Conseil fédéral a annoncé fin 2023 le lancement du programme national NAPS «Stop au VIH, aux virus des hépatites B et C et aux infections sexuellement transmissibles».
Ellen, 56 ans, infirmière: «J’ai décidé de dévoiler ma séropositivité»
«Quand j’ai appris, il y a près de huit ans, que j’étais porteuse du VIH, mon premier réflexe a été de le cacher, par peur du jugement et de la stigmatisation. Cela a duré près de quatre ans, jusqu’au moment où la charge du secret est devenue trop lourde. J’ai aussi réalisé que ce silence dans lequel je m’enfermais, comme beaucoup de personnes qui vivent avec le VIH, ne faisait que renforcer le tabou autour de la maladie. Alors j’ai décidé de dévoiler ma séropositivité et de lutter contre les clichés sur les transmissions qui ne concerneraient que certaines personnes. Car nul n’est à l’abri. Pour ma part, je suis une femme, mère de trois filles, qui a rencontré des hommes après son divorce… J’ai toujours fait attention, mais il y a eu une faille, et je vis aujourd’hui avec le VIH. Mais je vis très bien! Grâce aux traitements, ma charge virale est aujourd’hui indétectable, je ne peux donc pas transmettre le virus. Mon principal message? Osons parler du VIH sans tabou pour que davantage de personnes se testent et se soignent.»
Remboursement de la PrEP
«Deux faits nouveaux sont à souligner dans ce plan: l’objectif clairement posé d’éliminer toute transmission du VIH d’ici 2030 mais également, à l’instar de la démarche de l’Organisation mondiale de la santé, de décloisonner l’infection par le VIH pour étendre les actions aussi aux autres infections sexuellement transmissibles (IST)», souligne la Pre Alexandra Calmy, responsable de l’Unité VIH/Sida aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Et le Pr Matthias Cavassini, médecin chef de la Consultation ambulatoire des maladies infectieuses du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de se réjouir d’une annonce inattendue: le remboursement de la PrEP à compter de juillet prochain. Pour rappel, la PrEP (pour «prophylaxie préexposition») est un traitement préconisé pour les personnes non infectées par le VIH mais à haut risque d’y être exposées.
L’ambition d’endiguer l’épidémie incombe aussi à l’avancée des traitements. «Un immense chemin a été parcouru depuis trente ans, d’abord avec l’arrivée des trithérapies en 1996, qui, bien qu’efficaces, contraignaient les personnes à des prises de médicaments particulièrement éprouvantes. Aujourd’hui, la plupart des patients peuvent recevoir un traitement reposant sur un unique comprimé quotidien et exposant à bien moins d’effets secondaires», souligne la Pre Calmy. Mais la recherche ne s’arrête pas là. Parmi les innovations les plus récentes: les thérapies injectables. Ainsi, depuis mars 2022, certains patients optent pour des injections intramusculaires tous les deux mois. «Cette alternative est soumise à plusieurs conditions, comme l’absence d’hépatite B, de surpoids et n’est efficace que pour certains variants du VIH, mais elle représente une alternative intéressante», précise le Pr Cavassini.
Charge virale indétectable
Un autre fait majeur est à signaler: l’arrivée il y a quelques années de la PEP (prophylaxie post-exposition), traitement «d’urgence» à utiliser dans les 48 heures suivant une possible exposition au VIH pour limiter le risque de contamination. «L’ensemble de ces nouvelles approches témoigne d’un continuum précieux pour freiner l’épidémie de VIH, souligne la Pre Calmy. La perspective est ainsi à la fois de multiplier les initiatives pour limiter le risque de nouvelles infections, mais également de proposer aux patients séropositifs les meilleurs traitements possibles pour contrôler la maladie et abaisser leur charge virale.» Car tout est là: «Aujourd’hui, on ne guérit pas du SIDA, mais on sait contrôler le virus au point de le rendre indétectable dans l’organisme et inapte à se transmettre à une autre personne», rappelle la spécialiste.
Sur le papier, la stratégie apparaît donc limpide. «En cas de doute, se faire tester, et en cas de séropositivité, se traiter rigoureusement pour soi-même et pour les autres. Si tous les moyens sont mis à l’échelle planétaire pour rendre possible cette équation, elle pourrait à elle seule permettre de casser l’épidémie de VIH, résume le Pr Cavassini. Mais au-delà des investissements que cela suppose, elle se heurte au domaine sur lequel nous avons le moins progresser: la stigmatisation. Le VIH reste une IST associée à des clichés mêlant mœurs, sexualité et toxicomanie. Même si les statistiques montrent aujourd’hui qu’ils sont erronés, ils nuisent à de nombreuses initiatives individuelles, sociétales et politiques pour contrer l’épidémie.»
Alors les défis perdurent, face aux tabous tenaces comme à ce virus s’inscrivant dans l’ADN des cellules qu’il infecte. Parmi les nouvelles pistes de recherches: les anticorps dits «hautement neutralisants» (ciblant les cellules infectées), la thérapie génique (éliminant les gènes infiltrés du virus), les cellules souches (sélectionnées pour leur profil hostile au VIH) ou encore celle d’un vaccin capable de s’attaquer à ce virus d’une complexité inouï.
Zoom sur une rémission exceptionnelle
Son histoire a récemment fait le tour des médias: Romuald, surnommé le «patient genevois», est l’une des six personnes dans le monde à avoir été déclarée «en rémission» du VIH. Le point commun de ces patients? Avoir subi une greffe de moelle osseuse dans le cadre d’un traitement pour un cancer du sang ayant permis de remplacer leurs cellules infectées par le VIH par des cellules saines, exemptes de virus. Mais une exception pour le cas de Romuald suscite des espoirs inédits. Et pour cause, si les cinq autres patients ont reçu des cellules de donneurs porteurs d’une mutation génétique empêchant l’infection par le VIH, cela n’a pas été le cas du patient genevois. «Nous pouvons formuler plusieurs hypothèses pour expliquer la rémission de Romuald, et certaines d’entre elles ouvrent la voie à des perspectives de recherche très prometteuses», se réjouit la Pre Alexandra Calmy, responsable de l’Unité VIH/Sida aux HUG. Et de préciser: «Le traitement intensif nécessaire pour traiter sa leucémie ne peut évidemment pas être proposé pour guérir le VIH à large échelle. Toutefois, des études sont en préparation pour mieux identifier le rôle de certaines molécules dites "immuno-modulatrices", reçues au cours de son suivi de greffe.»
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* Source: Office fédéral de la santé publique
Paru dans Le Matin Dimanche le 14/04/2024
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Le sida est dû au VIH (virus de l'immunodéficience humaine). Il se transmet par contact direct avec du sang contaminé, lors de relations sexuelles ou directement de la mère à l'enfant.