Sida: une guérison qui n’en était pas une
A quelques jours de l’ouverture de la conférence mondiale sur le sida à Melbourne, et dans un contexte d’actualités chargé, la nouvelle était passée presque inaperçue dans les médias. Le «Mississippi baby», cette fillette que des médecins américains avaient présentée comme guérie du sida, est finalement séropositive.
Rappel des faits. En mars 2013, une équipe de médecins menée par la virologue Deborah Persaud, du Centre hospitalier John Hopkins à Baltimore, avait annoncé la première guérison «fonctionnelle» d’un patient séropositif: une fillette née avec le virus (VIH) transmis par sa mère durant la grossesse. A peine 30 heures après sa naissance dans un hôpital du Mississippi, elle avait été traitée aux antirétroviraux (les molécules administrées dans le cadre des trithérapies), soit beaucoup plus tôt que ce qui est habituellement pratiqué. Après 18 mois de traitement, la mère a cessé ses visites à l’hôpital, mettant fin au traitement. Lorsqu’elle est revenue 10 mois plus tard, les médecins n’en croyaient pas leurs yeux: aucun test sanguin n’a pu déceler la présence du virus, si bien que la fillette semblait guérie.
Un traitement aussi précoce peut-il guérir du sida?
La nouvelle avait en tout cas suscité un immense espoir. «Normalement, la concentration sanguine du VIH remonte une à deux semaines après l’arrêt du traitement», confirme Matthias Cavassini, responsable des consultations maladies infectieuses au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) de Lausanne. Hélas, le 10 juillet, lors d’une visite de routine, un nouveau test a confirmé la présence du VIH dans ses échantillons sanguins.
Comment expliquer la soudaine réapparition du virus? C’est du côté des «réservoirs» qu’il faut regarder. Lorsque les premiers traitements antirétroviraux sont apparus en 1996, les médecins pensaient que leur mode d’action, qui consiste à bloquer le cycle de vie du virus, l’empêcherait de se multiplier, provoquant ainsi sa disparition complète de l’organisme en quelques années. Malheureusement, les choses se sont révélées plus complexes que prévu. Car dès qu’il pénètre dans le sang, le virus s’installe dans des réservoirs ou des sanctuaires, compartiments anatomiques inaccessibles aux médicaments.
«On sait par exemple que le VIH infecte certaines cellules nerveuses protégées par une barrière imperméable aux médicaments, explique Alexandre Deshiere, de l’Université Laval au Québec. Il est également stocké à l’état latent dans certains lymphocytes T mémoire, des cellules à très longue durée de vie. Dans cet état, il est également hors d’atteinte des traitements antirétroviraux»,ajoute ce chercheur spécialisé dans l'étude des sanctuaires du VIH. Dans le cas du Mississippi baby, le virus a donc très bien pu ressurgir de l’un de ces réservoirs et se multiplier à nouveau.
Les bénéfices d’un traitement précoce
Faut-il y voir un échec ? Non, répondent médecins et chercheurs. D’une part, le Mississippi baby est resté plus de deux ans sans traitement, ce qui est une première. En le traitant dès la trentième heure de vie, les médecins avaient cru empêcher le VIH de gagner ces différentes cachettes. Une idée d’autant plus justifiée que «chez les adultes, les traitements précoces donnent de très bons résultats, comme le prouvent certains patients (15%) de la cohorte Visconti qui ont pu par ailleurs cesser leurs thérapies sans voir réapparaître le virus dans le sang», déclare Matthias Cavassini. En effet, les 14 patients de cette étude française ont été immédiatement traités pendant trois ans, avant d’arrêter la prise de médicaments. Depuis, ils semblent toujours contrôler la réplication du virus.
Hélas, on ne sait pas exactement ce qui fait que dans un cas on contrôle le virus, et dans l’autre non. Il semblerait néanmoins que la différence entre les systèmes immunitaires de l’adulte et de l’enfant ait pu jouer un rôle sur les réservoirs de virus.
Alternatives thérapeutiques
Outre les antirétroviraux, d’autres voies thérapeutiques sont envisagées par les chercheurs. Même si elles ont déçu, les recherches sur le vaccin se poursuivent. Avec sa capacité à muter très facilement, la perspective d’un vaccin préventif s’éloigne un peu plus chaque année. En revanche, la perspective d’un vaccin thérapeutique semble plus à portée. Son but serait de retarder au maximum la mise sous trithérapie, pour des traitements plus courts, et moins d’effets secondaires à long terme.
Une autre voie possible repose sur la thérapie génique. A la surface des lymphocytes, le récepteur CCR5 est la «serrure» déverrouillée par le VIH afin de pénétrer dans la cellule. Le but de cette thérapie est alors de débarrasser le patient de ses récepteurs CCR5, en les remplaçant par une version mutée (nommée delta32-CCR5). Cette dernière est en effet incapable de reconnaître le VIH qui ne peut alors plus infecter les cellules. Mais les obstacles scientifiques, techniques et éthiques restent nombreux et nul ne sait si ces recherches aboutiront un jour.
La fin de la pandémie en 2030?
Malgré ce revers, le sida est en perte de vitesse. Réunis à Melbourne pour la Conférence mondiale sur le sida, les experts de la maladie estiment que la pandémie pourrait prendre fin en 2030.
Plusieurs raisons le laissent en effet espérer. En 2013, le nombre de décès liés au sida a reculé de 11,8%. Le nombre de nouvelles infections a légèrement marqué le pas lui aussi. Ensuite, les thérapies antirétrovirales ne cessent de s’améliorer. Réparties en quatre classes, elles bloquent le cycle de vie du VIH à différentes étapes. Si certaines, telles que le Rétrovir, sont peu à peu abandonnées, du fait de leurs effets secondaires, d’autres paraissent plus prometteuses. Ainsi les inhibiteurs d’intégrase empêchent le virus de pénétrer dans le noyau cellulaire et engendrent moins d’effets secondaires que les autres molécules.
«Les antirétroviraux permettent aujourd’hui à tout patient séropositif de vivre comme n’importe qui, ils ne peuvent plus infecter leur partenaire et peuvent avoir des enfants, à condition toutefois de bien suivre leur traitement», indique Matthias Cavassini. Fin 2006, l’étude internationale SMART a évalué l’impact des arrêts de traitement auprès de 5472 patients séropositifs. Les résultats ont été sans appel: ceux qui ont cessé la prise de médicaments ont été bien plus vulnérables aux maladies non opportunistes (infarctus, cancers…) que ceux qui ont continué à les prendre assidûment. Autrement dit, les bénéfices engendrés par les antirétroviraux demeurent largement supérieurs à leurs effets secondaires.
Un dépistage systématique
Pour arriver à l’objectif de 2030, il faudra donc des stratégies de santé publique adaptées, notamment en ce qui concerne le dépistage. Pour Matthias Cavassini, il faut davantage le systématiser, et pas seulement en Afrique ou en Asie, mais également en Suisse. «Nos campagnes de prévention sont axées uniquement sur le préservatif, alors que 30% des patients sont diagnostiqués à un stade trop tardif, assène le médecin. C’est d’autant plus dramatique que ces mêmes personnes consultent à l’hôpital lors des années précédentes. Il suffirait de les dépister systématiquement, mais il faut une réelle volonté politique et, pour le moment, elle n’y est pas», déplore-t-il.
Sciences, médecine, politique: il reste donc beaucoup de travail à fournir d’ici 2030.
Une bithérapie préventive
L’Organisation mondiale pour la santé (OMS) a émis de nouvelles recommandations au sujet des personnes vulnérables à l’infection par le VIH, notamment les hommes ayant des rapports homosexuels. Parmi celles-ci, le recours à la PrEP, pour «prophylaxie de pré-exposition» au VIH. Destinée aux séro-négatifs qui risquent une contamination, elle consiste en la prise quotidienne de deux molécules antirétrovirales. Bien entendu, la PrEP ne dispense pas d’utiliser le préservatif, mais elle ajoute une sécurité supplémentaire.
La mesure est-elle efficace? Les essais cliniques menés à ce sujet auprès de populations séronégatives ont montré des effets très variables, principalement expliqués par la motivation des personnes à bien suivre le traitement. Aujourd’hui, seuls les Etats-Unis remboursent cette thérapie préventive. Faut-il que la Suisse leur emboîte le pas? La stratégie ne convainc pas entièrement Matthias Cavassini. Effets secondaires, résistance des virus, coût élevé… le médecin estime que la Suisse devrait plutôt mettre l’accent sur le dépistage précoce, ainsi que le traitement des séropositifs, mesure de prévention reconnue plus efficace que la PrEP.
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VIH-Sida
Le sida est dû au VIH (virus de l'immunodéficience humaine). Il se transmet par contact direct avec du sang contaminé, lors de relations sexuelles ou directement de la mère à l'enfant.