Proches aidants: se déclarer pour se faire aider
En Suisse, ils seraient au moins 600 000 – soit un habitant sur treize – à venir en aide à un parent, un enfant, un frère ou une sœur, une voisine, un ami souffrant d’une maladie physique ou psychique, en situation de handicap ou simplement trop âgé pour vivre à domicile sans assistance. Ce sont des proches aidants. On nomme ainsi «toutes celles et ceux qui apportent une aide régulière, au moins une fois par semaine, bénévolement et de manière non professionnelle, à un proche», précise Véronique Petoud, déléguée cantonale aux personnes proches aidantes à la Direction générale de la santé de la République et Canton de Genève.
Depuis le début des années 2000, leur rôle est reconnu par les pouvoirs publics. Les cantons ont mis en place toute une série de dispositifs pour les soutenir et une nouvelle loi fédérale, entrée en vigueur en 2021, leur facilite la vie. Une journée annuelle leur est aussi consacrée – le 30 octobre en 2021 – afin d’inciter celles et ceux qui ne l’ont pas encore fait à reconnaître «qu’ils sont non seulement des proches, mais aussi des aidants», souligne Mercedes Pône, responsable du Programme cantonal de soutien aux proches aidant·e·s du Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud. Ces personnes ont en effet tout intérêt à se déclarer pour bénéficier des nombreux soutiens qui leur sont proposés.
Des congés rémunérés
Leurs tâches sont aussi multiples que variées. Ils doivent non seulement tenir compagnie à leur proche vulnérable, mais souvent aussi pratiquer des soins de base – les laver, les nourrir, faire leurs courses, etc. –, les accompagner lorsqu’ils se déplacent, organiser les aides, médicales et autres, proposées par de multiples associations et services publics ou privés, régler leurs problèmes administratifs et financiers. Entre autres choses.
Certes, cela apporte des satisfactions. «Toutefois, il ne faut pas banaliser leur situation, qui est difficile», précise Mercedes Pône. Elle l’est particulièrement pour les personnes qui doivent concilier assistance à leur proche et activité professionnelle. La nouvelle loi fédérale, adoptée en décembre 2019, vise à leur rendre la tâche plus aisée. Désormais, les proches aidants qui travaillent peuvent bénéficier de congés rémunérés de courte durée et ceux qui ont la charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé ou accidenté se voient accorder un congé de quatorze semaines sur dix-huit mois. En outre, ce texte étend la liste des bénéficiaires de la «bonification pour tâche d’assistance», qui leur sera versée par l’AVS lorsqu’ils prendront leur retraite. Il prolonge aussi l’allocation pour impotent de l’assurance invalidité (AI) lors de l’hospitalisation d’un enfant malade. «C’est un premier pas et une évolution politique», commente Véronique Petoud. «C’est une avancée, une reconnaissance des proches aidants et des personnes qu’ils aident, ajoute Mercedes Pône. Mais ces congés fédéraux ne sont pas adaptés à certaines situations: quand vous vous occupez d’une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer, avec dix jours de congé, vous ne vous en sortez pas.»
Une kyrielle de structures de soutien
Quoi qu’il en soit et même si leur expérience leur a permis d’acquérir diverses compétences, les personnes qui assistent leurs proches ne peuvent pas tout faire. Fort heureusement, elles peuvent avoir recours à différents services d’aide et de soins à domicile privés ou publics – tels ceux mis en place par les cantons, certaines communes, ainsi que de multiples associations et organisations comme Pro Senectute, Pro Infirmis, Caritas, la Croix Rouge, etc. Certaines prestations sont remboursées par les assurances, d’autres sont payantes.
Reste qu’il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans la kyrielle d’offres disponibles, ni de savoir à quelle porte frapper pour se faire aider. C’est pourquoi chaque canton romand a mis en place un numéro de téléphone destiné aux proches aidants. Au bout du fil, des professionnels de la santé et du social informent leurs interlocuteurs et les orientent vers les structures le mieux adaptées à leurs besoins.
L’offre varie selon les cantons, mais elle est substantielle. On y trouve des espaces d’écoute et de parole qui favorisent les échanges d’expériences entre pairs et même, dans le canton de Vaud, des consultations psychologiques gratuites. Les proches aidants peuvent aussi, dans la plupart des cantons romands, suivre une courte formation destinée «à les aider à développer de meilleures habilités, pour déplacer une personne par exemple, et à mieux gérer leur stress», détaille Mercedes Pône.
Car stress il y a et il faut veiller à «aider sans s’épuiser», souligne Véronique Petoud, en s’aménageant des espaces de liberté. Parfois, on n’a besoin que de quelques heures pour aller chez le médecin ou chez le coiffeur ou simplement pour souffler un peu. À cette fin, les cantons et/ou leurs associations partenaires ont organisé des services de relève à domicile assurés par des professionnels ou des bénévoles qui viennent prendre le relais. Ils ont d’autre part mis en place des centres d’accueil et des maisons de vacances pour seniors qui permettent au proche de prendre quelques jours de congé ou de partir en voyage professionnel.
Allocation financière: un choix de société
En revanche, excepté la bonification AVS prévue dans la loi fédérale, les proches aidants ne bénéficient d’aucun soutien financier direct – seul le canton de Fribourg leur accorde une indemnité forfaitaire journalière. Pourtant, ils «sont un pilier important de la société en général et du système de santé en particulier», selon un rapport sur le sujet publié par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La crise sanitaire actuelle a d’ailleurs largement montré à quel point ils sont indispensables. Selon l’Enquête suisse sur la population active, en 2016, les proches aidants de 15 ans et plus (qui étaient alors environ 300 000), «ont fourni bénévolement 80 millions d’heures d’assistance et de soins, ce qui représente une valeur totale de 3,7 milliards de francs». L’idée de leur allouer un soutien financier est dans l’air du temps, mais elle pose de nombreuses questions, selon Véronique Petoud: «Quels sont les critères d’octroi? À quel moment le donne-t-on, puis l’augmente-t-on? Quand doit-il cesser?» Ces interrogations sont pertinentes mais, reconnaît Mercedes Pône, «quand le proche aidant commence à être malade lui-même, qu’il tombe dans la précarité, voire la pauvreté, cela devient difficile. C’est un choix de société». Avec l’augmentation du nombre de personnes concernées, due en particulier au vieillissement de la population, ce débat ne pourra que prendre de l’ampleur.
La carte d’urgence
Il peut arriver qu’on ait un accident et l’on se retrouve à l’hôpital ou que l’on doive soudainement partir quelques jours en voyage professionnel. Pour la personne proche aidante, la situation devient alors angoissante. Que va devenir son père, sa fille ou son conjoint privé de son aide? La «carte d’urgence proche aidant», mise en place (avec des modalités différentes) dans les cantons de Genève et de Vaud, a été conçue pour remplacer le proche au pied levé.
Outre le nom du proche aidant et, à Genève, celui de la personne qu’il assiste, ce document au format carte de crédit contient le numéro de téléphone d’un ami ou du service de soins et d’aide à domicile susceptible d’intervenir rapidement pour pallier l’absence. Dans le canton de Vaud, les proches aidants ont un entretien préalable avec le Centre médico-social (CMS) de la région de la personne qu’ils assistent, au cours duquel ils pourront préciser les mesures à mettre en place en cas d’absence. Ce centre, dont le numéro figure sur la carte, sera ensuite directement joignable en cas d’urgence, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et il pourra alors prendre toutes les dispositions nécessaires.
Dans ses deux versions, genevoise ou vaudoise, cette carte a de quoi rassurer les proches aidants. En cas de besoin, la personne qu’ils assistent ne restera pas seule. La relève sera organisée.