Proches aidants: comment faire pour ne pas s’épuiser?
Faire leurs courses, les aider à se nourrir, à se laver ou à faire leurs démarches administratives, les conduire chez le médecin ou en promenade, ou bien, tout simplement, leur tenir compagnie. Les proches aidants passent de longues heures à assister bénévolement un membre de leur entourage que l’âge ou la maladie a rendu vulnérable. Cela peut être un parent, un ou une conjointe, une sœur ou un frère, un enfant, un voisin, etc.
On estime qu’en Suisse, au moins 600’000 personnes – dont 70% sont des femmes – jouent ce rôle qui est crucial, non seulement pour la personne aidée, mais aussi pour la société. Selon l’Enquête suisse sur la population active, en 2017, ces proches aidants ont fourni 80millions d’heures d’assistance et de soin, ce qui représente une valeur totale de 3,7milliards de francs. «Il ne faut donc pas sous-estimer leur contribution, ni au système sanitaire qui, sans eux, ne parviendrait pas à répondre aux besoins, ni même à l’économie du pays», souligne Céline Longchamp, directrice de la Fondation Pro-XY.
Prendre soin de soi
Les situations individuelles sont diverses, mais tous les proches aidants se retrouvent vite confrontés au même dilemme: «Il faut pouvoir aider sans s’épuiser», selon les termes de Véronique Petoud, déléguée cantonale aux personnes proches aidantes à la Direction générale de la santé (DGS) du canton de Genève. Au début, on tient le choc, mais «sur la durée, on se fatigue, on renonce petit à petit à ses relations sociales et on s’isole».
L’éreintement et la surcharge de travail, notamment pour celles et ceux qui poursuivent leur activité professionnelle, peuvent d’ailleurs avoir des répercussions sur la santé physique (fatigue chronique, maux de dos, troubles du sommeil, notamment) et mentale (troubles anxieux et/ou dépressifs). Il faut donc «prendre soin de soi, pour pouvoir prendre soin des autres, constate la déléguée cantonale genevoise. Dès le départ, il est nécessaire d’accepter de se faire aider, sans attendre que la situation se péjore».
Les possibilités d’appui sont multiples. Les cantons, certaines communes, des associations, des fondations et des sociétés privées ont mis en place divers services de soins et/ou d’aide à domicile, dont certains sont gratuits, d’autres payants. Les offres varient selon les régions. On y trouve notamment des consultations psychologiques gratuites, comme celles organisées dans le canton de Vaud et, dans la plupart des cantons romands, de courtes formations et des espaces d’écoute qui favorisent les échanges. Tirant parti de l’expérience vécue pendant la crise du Covid, la DGS genevoise est allée plus loin en mettant en place, en janvier dernier, un espace de parole virtuel, «Visio Proches», auquel les personnes intéressées «peuvent se connecter tout en restant chez elles», explique Véronique Petoud.
Assurer la relève
Les proches aidants qui ont besoin de s’absenter pour partir en voyage professionnel ou personnel, pour aller chez le médecin ou tout simplement souffler un peu, peuvent aussi confier pour de courtes périodes la personne aidée à des foyers de jour ou de nuit ou des centres d’accueil.
De Pro Senectute à Caritas, de nombreuses organisations proposent aussi des services de relève à domicile. «Une heure de relève, c’est une heure d’attention au proche aidé et une heure de répit pour le proche aidant. Lorsque tous les deux se retrouvent, cela permet de restaurer une relation dans laquelle la personne aidée accueille sa fille ou son mari non plus comme un proche aidant, mais comme un proche», souligne Céline Longchamp. La Fondation Pro-XY a ainsi mis en place – essentiellement dans les cantons de Vaud, de Fribourg et du Valais – un service de relève qui agit dans la durée. Après avoir pris connaissance des besoins de la personne vulnérable et de celle qui l’aide, elle envoie au domicile de la première des intervenants, «toujours les mêmes, qui ont reçu une formation ou qui ont de l’expérience», précise la directrice de la Fondation. La structure proposée par la Croix-Rouge genevoise mise, elle, sur la rapidité de réaction. Comme le précise le directeur des opérations, Julien Garda, «il nous suffit de quelques heures pour envoyer chez la personne aidée un ou une professionnelle formée à l’aide à domicile».
D’autres organisations prennent en charge des besoins spécifiques de la personne aidée, comme l’Association Alzheimer ou Pro-Infirmis pour les soins. À cela s’ajoutent des aides pécuniaires, en particulier l’allocation financière pour impotent, à laquelle «il ne faut pas hésiter à recourir», recommande Véronique Petoud.
Une offre éparpillée
L’offre est donc variée, «mais elle est éparpillée et de nombreux proches aidants nous disent qu’ils sont perdus», constate Julien Garda. Pour les aider à s’y retrouver, chaque canton romand a mis en place un numéro de téléphone qui leur est dédié. À Genève par exemple, les professionnels de la santé et du social qui répondent à la ligne Proch’info ne se bornent pas à leur donner des informations. «Ils contactent eux-mêmes la structure répondant le mieux aux besoins des personnes, ce qui est plus efficace et leur fait gagner du temps.»
Les «héros du quotidien», comme les nomme Céline Longchamp, demandent avant tout de l’aide concrète. Mais «ils ont aussi un énorme besoin de reconnaissance sur les plans symbolique, financier et institutionnel», remarque le directeur des opérations de la Croix-Rouge genevoise. Il se montre toutefois optimiste: «On sent une réelle volonté chez tous les acteurs, notamment les autorités politiques, d’aller de l’avant.» C’est heureux car, avec le vieillissement de la population, le nombre de proches aidants et l’ampleur de leurs besoins ne feront qu’augmenter.
Julie, 70 ans: «Quand je serai grande et que tu seras petite, c’est moi qui m’occuperai de toi»
«Je suis doublement proche aidante. Mon mari a des difficultés pour marcher et je dois donc l’aider dans certaines tâches quotidiennes. Ce n’est pas très prenant et, quand je dois m’absenter, il fait appel à un service d’aide et soins à domicile. En fait, c’est surtout ma mère qui me fait souci. À cent ans, elle est en bonne santé pour son âge et son cerveau fonctionne à cent à l’heure, mais elle ne voit quasiment plus rien, ce qui la rend dépendante. Et pour compliquer la situation, elle vit à 600 kilomètres de l’endroit où je réside. Il faut reconnaître qu’elle s’est très bien organisée. Elle vit toujours chez elle, uniquement assistée de sa femme de ménage qui vient la voir matin et soir, lui fait ses courses, prépare ses repas, etc. Ma mère est aussi entourée de nombreuses amies plus jeunes qu’elle.
Quand je vais la voir, je prends la relève. Elle compte alors sur moi dans de multiples domaines, en particulier pour la gestion de ses affaires privées. Heureusement, je ne vis pas avec elle et ne vais pas chez elle tous les jours, afin de me réserver des moments de détente. Malgré tout, je sors épuisée de ces séjours. Il ne s’agit pas de fatigue physique, mais émotionnelle. Il est éprouvant de voir ma mère, qui était une femme forte et indépendante sur laquelle je pouvais toujours compter, dépendre tant de moi. Il paraît que, quand j’étais enfant, je lui ai dit un jour qu’elle prenait particulièrement soin de moi: "Quand je serai grande et que tu seras petite, c’est moi qui m’occuperai de toi." On y est. Cela me désespère, mais c’est la vie. Tant que mon mari et ma mère ne sont pas malades en même temps, ce qui me poserait un sérieux problème de loyauté, j’assume sans trop de difficultés.»
________
Paru dans Générations, Hors-série «Comment rebondir… dans son corps, dans sa tête, dans son couple, dans sa famille, dans sa vie», Octobre 2022.