Le courant à haute fréquence, vrai espoir pour la psychiatrie
De quoi on parle?
La stimulation cérébrale profonde, qui consiste à activer des noyaux du cerveau avec un courant électrique, a révolutionné le traitement de certaines maladies neurologiques. Elle commence à être utilisée, à titre expérimental, en psychiatrie.
Le nombre de troubles qui pourraient bénéficier de cette technique ne cesse d’augmenter. Mais elle doit être bien encadrée, sur un plan médical mais aussi éthique.
Utiliser du courant électrique pour corriger certaines fonctions cérébrales, la pratique n’est pas nouvelle. Trois techniques (voir infographie) sont connues depuis de nombreuses années: la stimulation du nerf vague, la stimulation cérébrale transcrânienne et la stimulation cérébrale profonde. Ces pratiques ont toutefois connu un regain d’intérêt avec l’utilisation étendue de la stimulation cérébrale profonde qui, après avoir été employée en neurologie, pénètre peu à peu le champ de la psychiatrie.
Comme son nom l’indique, cette stimulation consiste à activer des régions profondes du cerveau à l’aide d’électrodes. Celles-ci sont reliées à un petit boîtier, analogue à un stimulateur cardiaque, qui est implanté sous la peau au niveau du thorax et envoie au cerveau des impulsions électriques de faible intensité, de façon programmée (voir infographie).
Dans son principe, cette technique est similaire aux électrochocs de sinistre mémoire. S’ils ont mauvaise réputation, c’est, selon Panteleimon Giannakopoulos, chef du service de psychiatrie générale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), «parce qu’ils ont été utilisés par certains régimes politiques et hors des indications auxquelles ils étaient destinés». Maniés à bon escient, ils sont d’ailleurs toujours employés dans la prise en charge de certaines formes graves de dépression. Mais le courant électrique est appliqué à l’extérieur du crâne, alors que dans la stimulation cérébrale profonde il l’est à l’intérieur. «Cette technique nécessite donc une intervention chirurgicale et elle est plus invasive, constate encore le psychiatre. Mais elle est beaucoup plus ciblée que les électrochocs.»
TOC et syndrome de la Tourette
La neurostimulation a d’abord été appliquée au traitement de formes graves de tremblements, de la maladie de Parkinson et de spasmes musculaires involontaires (lire encadré). Mais, depuis une dizaine d’années, elle commence à être utilisée en psychiatrie où elle est cependant toujours réservée à des troubles sévères, après l’échec des traitements conventionnels.
Elle est surtout employée dans la prise en charge de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et donne de bons résultats. Elle a aussi été testée dans le traitement des tics du syndrome de Gilles de la Tourette et pourrait avoir un potentiel pour soigner certaines addictions (notamment à la cocaïne) ou l’anorexie mentale, qui sont des problèmes de natures différentes, mais qui «s’accompagnent de comportements compulsifs».
A titre expérimental, la méthode est utilisée dans des cas de dépression qui ont résisté aux électrochocs, et on a même envisagé de la tester chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou chez des personnes obèses.
Toutefois, la neurostimulation ne peut être efficace que «si l’on a identifié les noyaux cérébraux impliqués dans la pathologie, tempère le Pr Giannakopoulos. Plus la maladie progresse en affectant un nombre important de structures cérébrales, plus cela devient difficile. Car pour changer la donne, il faut pouvoir implanter les électrodes à un endroit très précis. C’est la clé de la réussite.» Dans la prise en charge de la maladie d’Alzheimer, le psychiatre estime ainsi que «le bénéfice risque d’être trop mince par rapport aux effets secondaires du traitement».
L’intervention n’est en effet pas anodine. Outre les possibles effets secondaires de l’opération (hémorragies et infection liées à la pose d’électrodes), «elle peut avoir un impact psychologique». Cette technique lourde doit donc «être mise en œuvre dans des centres spécialisés, comme il en existe notamment à Genève et à Berne, qui disposent de plateaux techniques adéquats». Elle requiert en outre une étroite collaboration entre des neurologues, des neurochirurgiens et des psychiatres.
Considérations éthiques
S’il importe de bien encadrer cette technique, c’est aussi parce qu’elle pose des questions éthiques particulières. «En traitant des personnes souffrant de la maladie de Parkinson, nous avons réussi, à la demande, à provoquer chez eux des fous rires ou au contraire une grande tristesse», constate Pierre Pollak, médecin-chef du service de neurologie des HUG, qui est à l’origine de l’envol de la neurostimulation (lire encadré). En améliorant la technique, constate-t-il, «on pourrait bientôt réussir à contrôler les circuits du bonheur, de la jouissance et bien d’autres». On peut donc craindre des dérives.
On n’en est pas là et, aujourd’hui, en neurologie comme en psychiatrie, «la stimulation cérébrale profonde ouvre un grand champ de possibilités pour l’avenir», conclut Panteleimon Giannakopoulos. Mais aussi prometteuse soit-elle, elle ne sera réservée qu’à un nombre limité de patients.
Une «petite révolution» née à Grenoble dans les années 80
L’essor de la stimulation cérébrale profonde tient en partie du hasard. Tout a commencé au CHU de Grenoble, à la fin des années 80. Pour réduire les symptômes des personnes atteintes de tremblements sévères, il était alors d’usage de pratiquer une lésion dans l’une des structures cérébrales: le thalamus. Le protocole prévoyait aussi d’appliquer au cerveau un courant de basse fréquence, afin de vérifier que l’intervention n’endommageait pas de fonctions importantes.
Le neurochirurgien Alim-Louis Benabid et le neurologue Pierre Pollak, aujourd’hui médecin-chef du service de neurologie des Hôpitaux universitaires de Genève, ont alors eu l’idée de tester des courants de différentes fréquences. Bien leur en a pris. En utilisant un courant de plus haute fréquence (100 Hz au lieu de 50 Hz), ils ont constaté que les tremblements de leur patient avaient disparu.
C’était une grande avancée, car «au lieu de pratiquer des lésions irréversibles dans le cerveau comme on le faisait à l’époque, on disposait enfin d’une nouvelle approche thérapeutique réversible et modulable », explique Pierre Pollak.
Après avoir été testée et validée sur un certain nombre de patients, la méthode est aujourd’hui couramment utilisée dans tous les pays développés. Elle est autorisée dans trois indications: les tremblements sévères de tous types, la dystonie (spasmes musculaires involontaires) et la maladie de Parkinson. Dans ce dernier cas, outre le thalamus, on stimule aussi le noyau subthalamique, «ce qui permet de diminuer les tremblements, mais aussi les principales manifestations de la maladie que sont l’akinésie (lenteur des mouvements) et la rigidité du corps», précise le neurologue. On observe alors une «réduction des symptômes de 60% en moyenne, de façon durable».
La neurostimulation est toutefois réservée à un très petit nombre de patients. Seuls ceux dont l’état du cerveau le permet, généralement les jeunes, peuvent en bénéficier. Mais pour eux, estime Pierre Pollak, «cela constitue une petite révolution».
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