Burn-out: «C’est la société qui est malade»
Pression économique et cadence infernale: le monde du travail va trop vite, trop fort, trop loin. Faut-il changer le système pour éviter les épuisements à répétition? L’avis du psychiatre vaudois, auteur de «Vivre heureux avec les autres», chez Odile Jacob.
La plupart des spécialistes mettent en cause les caractéristiques comportementales d’une personne pour expliquer le burn-out. Pas vous?
Non. Lorsque l’on parle d’épuisement au travail, on a toujours tendance à mettre l’individu en cause. Comme s’il lui incombait de mettre en place des structures adéquates pour éviter de craquer.
Ce type d’explications était peut-être vrai il y a dix ou vingt ans. Mais plus aujourd’hui. Dans ma pratique quotidienne, je vois très rarement des gens en état d’épuisement parce qu’ils ont eux-mêmes décidé de se surcharger. Ils sont dépassés parce que des problèmes très concrets, comme des cahiers des charges pas clairs, des systèmes de management prônant la compétition et la performance à outrance ou encore des demandes trop élevées, perturbent leur environnement de travail.
Mais il ne faut pas non plus tomber dans le piège du méchant patron, c’est plus complexe que cela. Il s’agit de problèmes institutionnels et culturels. Finalement, c’est la société qui est malade !
Y a-t-il tout de même des gens plus susceptibles d’être victimes d’épuisement au travail que d’autres?
La littérature scientifique pointe du doigt les gens aimant trop le travail bien fait et ayant des attentes personnelles trop élevées par rapport à leur performance au travail. Autrement dit, des personnes consciencieuses qui attendent d’elles-mêmes l’impossible. Soit. Mais lorsque l’on demande à deux personnes de faire le travail de trois anciens collègues et que le nombre de factures à traiter par jour passe de 300 à 800, est-ce parce que les employés sont trop consciencieux qu’ils ne tiennent plus ? Parce qu’ils ne savent pas mettre en pratique la dernière technique de relaxation à la mode ? Non. Je crois effectivement que certaines personnes sont plus fragiles que d’autres et arrivent moins à prendre du recul. Mais ce sont simplement les premières à craquer. Les autres suivront car le problème à la source est la surcharge chronique de travail.
Alors, hormis peut-être ceux qui vraiment ne se soucient pas de leur travail –les «je-m’en-foutistes» si j’ose dire, qui sont effectivement immunisés contre le burn-out– les personnes normalement constituées ne tiennent plus. Au fond, le burn-out est un épiphénomène de la souffrance au travail qui prend une ampleur inouïe dans notre société actuelle. Il montre à quel point notre monde du travail est malade et engendre une souffrance considérable.
Peut-on comparer ces états d’épuisement au travail à une dépression?
A mon avis, non. Le burn-out au sens strict a majoritairement des effets cognitifs: la personne ne peut plus penser, elle ne peut plus réfléchir, elle ne peut plus mémoriser, elle ne peut plus se concentrer.
Certains parlent de «pré-Alzheimer»: la personne se retrouve devant le frigo et, tout à coup, elle se demande ce qu’elle fait là et pourquoi elle y est venue. Il y a une limitation fonctionnelle qui est au premier plan, tandis qu’on ne l’aura que secondairement dans une dépression, consécutive aux troubles du sommeil. Cela est également très clair au moment de la convalescence: une personne victime d’épuisement qui se sent mieux, va dire qu’elle peut retourner travailler. Mais après une demi-journée, elle est épuisée et rentre se coucher. Une personne dépressive qui s’en sort sera contente d’aller travailler et n’aura pas de gêne fonctionnelle particulière.
Cela dit, je ne crois pas que l’essentiel soit de se battre sur les critères de définition du mal-être et sur une affaire de classification. Plutôt que de se battre pour savoir s’il s’agit d’un burn-out, d’une dépression ou d’autre chose, il faut se concentrer sur les symptômes concrets de la souffrance au travail. Ce qui a été fait jusqu’à aujourd’hui à propos du burn-out, c’est une théorie mettant surtout en cause l’état d’esprit des victimes. Je trouve intéressant de se focaliser sur le tableau clinique, tout en considérant le contexte sociétal, qui joue un rôle à mon avis prépondérant.
Et justement, quels sont les signes qui doivent inquiéter?
Ils ne sont pas forcément spécifiques au burn-out, mais il y a toute une série de signes classiques qui doivent alerter. Si la personne se sent devenir irritable, qu’elle n’a plus aucun intérêt pour son travail, qu’elle n’arrive plus à se concentrer, qu’elle commence à commettre des fautes et des oublis inhabituels… une cote d’alerte est atteinte. Lorsqu’en plus la personne perd le sommeil, puis l’estime d’elle-même, un cercle vicieux s’enclenche. Il sera impossible de le rompre sans un arrêt de travail… Mieux vaut réagir avant. Si possible!
Comment traiter le burn-out?
Une chose est sûre: il n’y a rien au niveau médicamenteux. Les antidépresseurs ne fonctionnent pas parce que l’état dépressif n’est pas au premier plan, même s’il est souvent bien réel. La règle numéro un, c’est le repos et le ressourcement. Marcher dans la nature par exemple. Après un claquage, vous arrêtez la musculation. Et bien là, votre cerveau n’arrive plus à penser, il faut le mettre au repos. Une vraie coupure est nécessaire.
Dans un deuxième temps, il faut amener la personne à réaliser que la satisfaction et la réalisation personnelles peuvent se trouver hors du monde du travail. L’aider aussi à comprendre qu’un collègue n’est pas un ami, qu’il faut limiter l’investissement émotionnel et ne rien attendre de lui sur le plan affectif et humain —hélas!
Et au-delà, il faudrait prendre collectivement conscience du problème de surcharge chronique et se rassembler pour dire stop. Mais agir collectivement dans une société où la carrière personnelle est au centre des préoccupations n’est pas facile. On déshumanise les gens en mesurant sans cesse le nombre de leurs actes. Il faudrait remettre un peu d’humanité, de sens et de la mesure dans le travail.
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