Être polyglotte protège le cerveau du vieillissement

Dernière mise à jour 29/07/14 | Article
Être polyglotte protège le cerveau du vieillissement
Âgés, les bilingues ont de meilleures capacités cognitives que les monolingues.

De quoi on parle?

Les faits

Suppression des cours de français au primaire ou réduction de l’enseignement consacré aux langues au gymnase: les projets proposés récemment par certains cantons alémaniques vont à l’encontre d’un développement du plurilinguisme chez les jeunes Suisses. La portée de ces projets pourrait dépasser le seul cadre de l’éducation et concerner la santé publique. En effet, plusieurs études, dont une récemment menée en Ecosse, montrent qu’apprendre au moins une langue étrangère permet de retarder le déclin des capacités cérébrales et l’apparition d’une démence ou de la maladie d’Alzheimer.

Depuis deux décennies le bilinguisme suscite un regain d’intérêt de la part de nombreux scientifiques. Médecins, neuroscientifiques ou linguistes s’intéressent de près à ceux qui sont capables de communiquer dans deux langues ou plus. Les enfants bilingues notamment ont fait l’objet de diverses études, car les mécanismes précis qui permettent l’acquisition simultanée de plusieurs langages restent encore en partie obscurs. Mais, ces dernières années, l’attention s’est aussi portée sur les bénéfices du plurilinguisme à des âges avancés de la vie.

Ce sont les travaux de la Canadienne Ellen Bialystok qui ont ouvert la voie à ce type d’étude. En 2011, elle a montré que parmi des personnes souffrant de l’alzheimer, les bilingues étaient atteintes quatre ans plus tard que les monolingues. Des résultats confirmés il y a quelques mois par une étude indienne. «La principale limite méthodologique des études qui comparent monolingues et bilingues tient à la grande hétérogénéité des groupes considérés, relève toutefois Jean-Marie Annoni, neurologue et professeur à l’Université de Fribourg. Difficile de savoir si les bilingues vieillissent mieux grâce au seul bilinguisme ou pour tout un tas d’autres raisons, socio-économiques notamment.»

Une étude écossaise publiée en juin, dans la revue Annals of Neurology, apporte pour la première fois la preuve qu’avoir appris au moins une langue étrangère dans sa vie est un facteur indépendant de protection des fonctions cérébrales après 70 ans.

Les implications pour les patients âgés

«Il n’existe pas de bilingue «parfait», rappelle Jean-Marie Annoni, neurologue à l’Hôpital fribourgeois. Même chez les personnes exposées très tôt à deux langues, l’une est plus forte que l’autre. C’est souvent celle qui, en plus d’être parlée à la maison, est utilisée dans l’environnement quotidien, l’école ou le travail.» Dans une publication récente, le médecin a montré que les patients bilingues atteints de maladie dégénérative du cerveau ne perdent pas une langue plus vite que l’autre. Cependant la langue la plus faible sera la première à poser des problèmes de communication. «Cela a des implications pour la prise en charge des personnes âgées, surtout dans un pays multilingue comme le nôtre souligne Jean-Marie Annoni. Pour améliorer le confort de ces personnes il faudrait veiller à ce qu’elles puissent communiquer dans leur langue dominante.»

«Une mine d’or»

La force de l’étude publiée par l’équipe de Thomas Bak, médecin au département de psychologie de l’Université d’Edimbourg, provient des sujets étudiés. «Nous avons eu une chance incroyable en retrouvant des résultats de tests d’intelligence menés sur un large groupe d’enfants écossais âgés de 11 ans en 1947. Pour nous, épidémiologistes, c’est une véritable mine d’or», raconte le chercheur. L’avantage de ce groupe est d’être très homogène. Comme l’explique Thomas Bak, à cette époque en Ecosse, la population d’une même ville présentait très peu de diversité, les enfants avaient des origines et des environnements très similaires. Partant du principe que les capacités cognitives mesurées dans l’enfance sont un bon élément pour modéliser leur évolution au fil du temps, Thomas Bak s’est donc mis en quête, soixante ans plus tard, des 1091 personnes qui avaient pris part à cette évaluation psychocognitive de grande ampleur. Puis, en 2008, il leur a fait passer les mêmes tests qu’en 1947.

Le chercheur a alors constaté que les 262 personnes qui avaient appris au moins une langue dans leur vie présentaient des résultats meilleurs que ceux attendus. Leurs fonctions cognitives étaient également supérieures à celles des monolingues, même en tenant compte des capacités de chacun à 11 ans. Les effets positifs les plus importants se retrouvent sur les capacités de lecture, le langage et l’intelligence générale, la mémoire étant améliorée dans une moindre mesure.

Le bilinguisme ne nuit pas au développement des enfants

«Il y a beaucoup de questions, voire d’inquiétude, chez les couples de langues maternelles différentes qui deviennent parents, explique Barbara Abdelilah-Bauer, linguiste et psychosociologue, auteur du «Guide à l’usage des parents d’enfants bilingues» (Editions La Découverte). Ils veulent s’assurer qu’ils ne vont pas nuire au développement de leur enfant en lui transmettant leurs langues d’origine.»

Jusqu’au début des années 60, le bilinguisme était très décrié. Exposer les enfants à plusieurs langues était alors considéré comme une source de confusion et de retard d’apprentissage. Bien que, depuis cinquante ans, de nombreuses études ont montré des effets neutres ou positifs du bilinguisme sur le développement cognitif, la croyance du contraire a persisté. «Il est assez choquant d’entendre encore certains spécialistes de la petite enfance parler de «pollution» d’une langue par une autre», déplore Barbara Abdelilah-Bauer. Neuroscientifiques et linguistes sont formels: si certains effets bénéfiques restent débattus, il ne fait plus aucun doute aujourd’hui qu’apprendre plusieurs langues, et ce, même dès le plus jeune âge, n’est en aucun cas un handicap. «Il faut faire confiance à notre cerveau qui est tout à fait apte à gérer ces apprentissages, rappelle la linguiste. Plusieurs études suggèrent même que le cerveau serait de nature plurilingue et que finalement rester monolingue serait une sorte de sous-utilisation de ses capacités.»

Mieux vaut tard que jamais

«Il est très intéressant de voir que dans cette population, l’acquisition des langues étrangères s’est faite entre 11 et 18 ans, souligne Jean-Marie Annoni. Cela prouve que le bilinguisme est bénéfique même si l’on n’est pas né dans une famille bilingue. En quelque sorte, mieux vaut tard que jamais!» Les effets observés semblent dépendre des capacités cognitives de base des sujets et être plus importants si le nombre de langues apprises augmente. «Nous n’avons pas encore d’explication pour ce dernier point, qui nécessite des recherches ultérieures», précise Thomas Bak.

Les mécanismes biologiques responsables des effets positifs du bilinguisme ne sont pas encore précisément connus. «Manipuler plusieurs langues sollicite des régions frontales du cerveau également impliquées dans l’attention et la résolution de problèmes, rappelle Jean-Marie Annoni. Stimuler ces zones tout au long de la vie pourrait aider à lutter contre le vieillissement.»

Langues étrangères

En collaboration avec

Le Matin Dimanche

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