Faut-il déclarer la guerre au sucre?
Celle qui se surnomme elle-même «Glucose Goddess» (Déesse du sucre) sur Instagram, prodigue dans un ouvrage controversé[1] de nombreux conseils pour lisser notre courbe glycémique après chacun des aliments que nous avalons. Mais est-ce vraiment utile? Le point sur cinq de ses affirmations.
Zoom sur les glucides
Piliers de notre alimentation aux côtés des protéines et des lipides, les glucides fournissent l’énergie nécessaire au bon fonctionnement des organes, tels le cerveau et le cœur.
On distingue:
- Les sucres complexes ou lents, composés de longues chaînes moléculaires ramifiées qui nécessitent une digestion plus lente. Cette famille regroupe les féculents (céréales, riz, pâtes, pommes de terre…) et les légumineuses (haricots secs, pois chiches, lentilles…).
- Les sucres libres ou rapides (glucose, fructose, saccharose, lactose, etc.). Composés d’une ou deux molécules de sucre, ils sont absorbés plus rapidement par la muqueuse intestinale. On retrouve dans cette famille les fruits, les boissons lactées et tous les sucres ajoutés (sucre blanc, miel, sirops…).
Les recommandations[2] proposent de limiter la part des glucides dans l’alimentation à 45-60% de l’apport énergétique total. Les sucres ajoutés (sucre de table, jus, miel, etc.) ne devraient pas quant à eux dépasser 5% des apports, soit 25 grammes (6 cuillères à café) environ par jour[3].«Des pics de glycémie successifs peuvent générer maladies cardiaques, diabète de type 2, maladies de peau…»
Lorsque nous mangeons, la glycémie (taux de sucre dans le sang) augmente, c’est un fait biologique inévitable. Chez les personnes ne présentant pas de résistance à l’insuline ou de diabète, le corps régule seul ces pics de glucose. Aucune raison, donc, de mesurer quotidiennement sa glycémie à l’aide d’un capteur spécifique. «Ces variations sont d’ailleurs peu fiables, car d’autres facteurs non alimentaires (stress, activité sportive, etc.) interviennent aussi», complète le Pr François Jornayvaz, médecin-chef du Service d'endocrinologie, diabétologie, nutrition et éducation thérapeutique du patient des Hôpitaux universitaires de Genève.
Quant à l’impact des pics successifs de glycémie sur la santé, difficile, en l’état actuel des connaissances, d’être aussi affirmatif que l’autrice et instagrameuse. Certes, une alimentation trop grasse et trop sucrée, associée à la sédentarité, favorise l’accumulation de gras dans les cellules du foie. À terme, cela peut mener à la NASH, ou maladie du «foie gras». Une étude[4] a également mis en évidence le lien entre sucres artificiels (type aspartame) et certains cancers. «Pour ce qui est des maladies cardiovasculaires, l’excès de sucre n’est pas bon… et les graisses non plus. Attention donc à ne pas remplacer l’un par l’autre», souligne le Pr Jornayvaz.
En revanche, peu de données solides permettent d’associer des maladies de la peau avec la consommation de sucre. «Même la corrélation avec l’apparition d’un diabète est controversée, ajoute le spécialiste. Il semble que cette maladie aurait plutôt une origine plurifactorielle.»
«Il est important de respecter l’ordre fibres/protéines/graisses/glucides.»
Ce conseil est déjà naturellement présent dans nos habitudes alimentaires traditionnelles sous la forme entrée/plat/dessert. Et cela, pour une raison physiologique. «La "vidange" gastrique se répète toutes les 30 minutes environ après le repas, explique Sandrine Lasserre, diététicienne ASDD au cabinet Alpha Nutrition et membre de l’Antenne des diététiciens Genevois (ADiGe). Si les glucides arrivent seuls, ils seront très vite dirigés vers l’intestin puis dans le sang, et la glycémie augmentera donc rapidement. Mais la présence de fibres et de protéines va naturellement atténuer l’élévation de la glycémie.»
Plus que d’avoir un effet sur ce pic, commencer le repas avec des légumes (crudités par exemple) comble en partie la faim et aide donc à limiter ensuite l’apport de féculents, protéines et sucres.
«Il n’y a pas de "bon" ou de "mauvais" sucre, tous se valent, quelle que soit leur origine.»
Certes, tous les types de sucre apportent… du sucre. Mais ils sont généralement associés à d’autres aliments et c’est cet ensemble qu’il est important de prendre en compte. Le sucre complet, par exemple, contient des oligo-éléments et des vitamines que le sucre blanc n’a plus. Les fruits, quant à eux, sont certes riches en fructose, mais aussi en fibres. Ils sont donc de bons alliés, comme la cannelle ou la poudre de cacao, pour sucrer naturellement un dessert. Davantage qu’à l’origine, «c’est à la quantité de sucre ingérée globalement qu’il faut veiller», ajoute Sandrine Lasserre.
«Le grignotage d’aliments sucrés peut entraîner anxiété et dépression.»
«Des variations brutales de la glycémie après ingestion de sucre peuvent être ressenties et provoquer une certaine fatigue ou des fringales, concède le Pr Jornayvaz, mais rien à ma connaissance ne permet de corréler ces pics à la dépression.» En cas de fringale, le sucre n’est donc pas à bannir à tout prix, mais à associer à d’autres aliments comme un yaourt ou des noix, ce qui favorisera une digestion plus longue et retardera la sensation de faim. Attention néanmoins aux produits dits «lights» qui ne contiennent certes pas de sucre mais sont parfois riches en graisses.
«Une cuillère de vinaigre avant de manger permet de brûler davantage de graisses.»
«C’est totalement farfelu!» assène François Jornayvaz. Cela ne repose sur aucune donnée scientifique sérieuse. Certes, l’acide acétique contenu dans le vinaigre aurait une action inhibitrice sur l’enzyme chargée de métaboliser le glucose dans la salive, mais rien ne permet d’affirmer que boire une cuillère de vinaigre avant chaque repas a une action sur le diabète ou encore le surpoids… «Les conseils proposés dans ce livre se basent parfois sur des règles de bon sens, mais le plus important est de viser des modifications durables des habitudes de vie, conclut le spécialiste. Retirez par exemple simplement le carré de sucre qui accompagne votre café chaque matin et à la fin de l’année vous aurez déjà perdu un kilo.»
Et le petit-déjeuner?
Pour la plupart d’entre nous, le premier repas de la journée se compose essentiellement d’aliments sucrés (confiture, céréales pour enfant, jus…). Pourtant, le petit-déjeuner suit une longue période de jeûne (la nuit) et il est donc important de rechercher une bonne hydratation et un équilibre nutritif. À moins qu’un exercice physique – qui nécessite une digestion rapide et donc des glucides digestes pauvres en fibres tels que du pain blanc avec un peu de confiture – ne soit prévu peu de temps après, le petit-déjeuner ne doit pas se composer uniquement de glucides. Ajoutez-y protéines, fibres et graisses (fromage, noix, œufs, etc.), qui permettront de ralentir la digestion et de prolonger le rassasiement. Autre astuce: plutôt qu’un verre de jus qui aura nécessité trois oranges, préférez manger une orange entière qui apportera non seulement les fibres contenues dans la chair mais aussi trois fois moins de sucre.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 19/03/2023
[1] Jessie Inchauspé, Faites votre glucose révolution, éditions Robert Laffont, 2022.
[2] Selon la Société Suisse de Nutrition (SSN), pour des adultes en bonne santé.
[3] Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
[4] Debras C, Chazelas E, Srour B, et al. Artificial sweeteners and cancer risk: Results from the NutriNet-Santé population-based cohort study. PLoS Med. 2022;19(3):e1003950.