Les vertus pour la santé de la restriction alimentaire restent à prouver
De quoi on parle?
Les faits
Dans la foi chrétienne, la fête de Pâques marque la fin du Carême, une période de 40 jours durant laquelle les croyants se privent traditionnellement de nourriture, un acte de pénitence et de solidarité avec les pauvres. La pratique du jeûne se retrouve également sous des formes variées dans de nombreuses autres religions, de l’Islam à l’Hindouisme. Elle connaît actuellement un regain d’intérêt dans les pays occidentaux, en raison de ses bienfaits supposés sur la santé.
Doit-on se priver de nourriture si l’on souhaite vivre vieux et en bonne santé? Pratiqué depuis des millénaires à des fins spirituelles, le jeûne est aujourd’hui prôné par divers courants thérapeutiques en Europe et aux Etats-Unis, qui y voient un moyen de soigner certaines pathologies et de prévenir le vieillissement. Des études scientifiques ont en effet montré de spectaculaires bénéfices de la restriction alimentaire sur l’espérance de vie chez des animaux. L’efficacité de cette approche chez l’être humain reste cependant à prouver.
Privez des souris d’un tiers de leur ration alimentaire habituelle, et elles vivront jusqu’à 50% plus longtemps que leurs congénères, tout en développant moins de cancers et de maladies cardiovasculaires. Ce phénomène étonnant a été observé en laboratoire dès les années 1980. Plus récemment, des chercheurs ont soumis des macaques rhésus à un régime analogue. La durée de vie de ces singes ne s’est pas allongée, mais ils ont vieilli en bien meilleure santé que leurs comparses qui se nourrissaient à volonté! Le mécanisme à l’origine de ces effets spectaculaires est mystérieux. «Une des hypothèses est que le stress induit par la privation de nourriture déclenche des mécanismes naturels de résistance de l’organisme», explique Eric Ravussin, un chercheur suisse qui étudie les effets de la restriction alimentaire à l’Université de Louisiane, aux Etats-Unis.
Un corps adapté
Qu’en est-il chez l’être humain? Une chose est sûre: il est lui aussi, dans une certaine mesure, adapté au jeûne. «Le fait de manger chaque jour à sa faim est nouveau dans l’histoire de l’humanité. Notre corps est équipé pour supporter les privations que nos ancêtres devaient régulièrement endurer » affirme Dimitrios Samaras, médecin spécialiste de la nutrition à la Clinique Générale Beaulieu. Ainsi l’être humain peut-il se passer totalement de manger pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, en fonction de sa condition physique de base et de ses réserves en graisse.
Dès 12 heures de jeûne total, l’organisme, en manque de sucre, se met à en fabriquer par lui-même, en dégradant les protéines qui forment nos muscles. Mais ce phénomène, utile pour la survie immédiate, ne peut pas être maintenu sur le long terme. Au bout de quelques jours, le foie utilise la graisse pour fabriquer des molécules appelées «corps cétoniques». Leur avantage est de fournier de l’énergie à notre organisme en lui évitant de trop puiser dans ses protéines. On reconnaît facilement quelqu’un qui en est à ce stade du jeûne: à cause des corps cétoniques, son haleine à une odeur caractéristique d’acétone.
Certains thérapeutes alternatifs proposent à leurs patients de s’essayer au jeûne, afin de soulager, prétendent-ils, diverses pathologies, allant du diabète aux rhumatismes, en passant par des problèmes cardiaques. Les cures durent en général une à plusieurs semaines, pendant lesquelles les seuls aliments autorisés sont quelques bouillons et tisanes. Basée sur le témoignage de personnes qui se seraient senties mieux après un épisode de jeûne total ou «acalorique», cette méthode n’est pas validée scientifiquement. «A ma connaissance, les seules études sur le jeûne acalorique ont été menées chez des obèses. Elles ont montré une perte de poids et une baisse du cholestérol, mais également des effets secondaires comme des crises de goutte», relate Dimitrios Samaras.
Ralentissement du métabolisme
Un autre courant, basé surtout aux Etats-Unis, promeut pour sa part l’adoption sur le long terme d’un jeûne hypocalorique, c’est-à-dire d’un régime alimentaire pauvre en calories, à l’image de celui qui accroît la durée de vie des souris en laboratoire. Là aussi, le bénéfice de la méthode reste à démontrer chez l’être humain, même si la recherche s’est récemment saisie du sujet. Dans une étude dirigée par Eric Ravussin, et qui s’est terminée récemment, plus de 200 personnes en bonne santé ont accepté de manger un quart de moins de calories que ce qu’elles absorbaient normalement, et cela pendant deux ans. Les résultats finaux ne sont pas encore connus, mais le chercheur a d’ores et déjà observé chez les jeûneurs un ralentissement du métabolisme, qui pourrait favoriser un allongement de la durée de vie.
Les éléments en faveur du jeûne, qu’il soit acalorique ou hypocalorique, sont encore trop faibles pour convaincre Dimitrios Samaras de recommander cette pratique, qui comporte aussi des risques: en particulier, celui « de perdre des muscles pendant le jeûne, et de reprendre du poids sous forme de graisse dès la reprise d’un régime normal », détaille-t-il. Plutôt qu’une réduction drastique de l’apport calorique, le médecin recommande d’adopter une alimentation variée et sans excès calorique ainsi qu’une activité physique régulière.
Le jeûne efficace contre le cancer?
Certaines recherches suggèrent que le jeûne pourrait être efficace dans la lutte contre le cancer, en complément de thérapies reconnues. Les travaux du biologiste Valter Longo, de l’Université de Californie du Sud, aux Etats-Unis, ont ainsi montré que de courts épisodes de jeûne complet, avec seulement de l'eau à volonté, permettaient de protéger les souris des effets secondaires de la chimiothérapie, mais aussi d'augmenter l'effet de ce traitement sur certaines tumeurs. «Les cellules cancéreuses ont plus de mal que les cellules normales à s’adapter aux conditions extrêmes du jeûne. Une restriction de l’apport nutritif aurait donc tendance à affaiblir les premières et à protéger les secondes de la toxicité des chimiothérapies», explique Mauro Frigeri, oncologue au CHUV à Lausanne. Ces observations chez l’animal n’ont cependant pas encore été confirmées chez l’être humain. Seule une petite étude a recensé l'expérience d'une dizaine de patients qui ont jeûné volontairement et ont déclaré avoir mieux supporté leur chimiothérapie. «Des essais cliniques de plus grande ampleur sont en cours dans une douzaine de centres aux Etats-Unis et en Europe», relate Mauro Frigeri, «ils devront déterminer si cette pratique est effectivement bénéfique chez l’être humain, et si elle ne présente pas de dangers.» L’une des craintes des médecins est que le jeûne puisse, à l’inverse de ce qui est attendu, favoriser certains types particuliers de tumeurs. La privation de nourriture pourrait aussi entraîner un affaiblissement de l’organisme qui le rendrait plus sensible à la maladie. C’est pourquoi à l’heure actuelle, les médecins recommandent plutôt de manger normalement lorsqu’on poursuit une chimiothérapie. La piste du jeûne en accompagnement des traitements oncologiques n’est cependant pas à écarter, d’après Mauro Frigeri: «Si elle finissait par s’avérer efficace, elle aurait le mérite d’améliorer les soins oncologiques avec une pratique simple à mettre en œuvre», précise-t-il.