Jeûner, c’est chacun à son rythme
Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Même si, avec les privations de la pandémie, les bonnes résolutions ne sont pas très motivantes, il y en a peut-être une qui en vaut la peine: jeûner. Pour le métabolisme et le poids d’abord. En août dernier, dans une étude parue dans Metabolism, une équipe coréenne a montré une réduction significative de l’indice de masse corporelle (IMC) de patients ayant pratiqué une forme de jeûne sur des périodes allant d’un à six mois. Mais le poids n’est pas le seul élément sur lequel agit le jeûne. Selon une autre recherche, parue en 2019 dans le New England Journal of Medicine, ce type de prise alimentaire, plus proche de celles de nos ancêtres humains chasseurs-cueilleurs, améliorerait aussi certaines capacités cognitives ainsi que la résistance au stress. Et, cerise sur le gâteau, elle prolonge la durée de vie chez certains animaux, mais ceci reste à confirmer chez l’être humain.
Une question de fréquence
Finies et dépassées les recommandations qui préconisent de manger trois fois par jour? Pas sûr, mais en tout cas les bénéfices du jeûne semblent de plus en plus évidents. À tel point que la vraie question devient: quelle forme lui donner? Manger un jour sur deux? Alterner 8 heures de nourriture et 16 heures de jeûne? Ou tenter le 12 heures de jeûne et 12 heures de nourriture, voire 6 semaines de jeûne puis manger le reste de l’année? Dans toutes ces variantes (voir en encadré) il s’agit d’alterner les périodes de jeûne et de prise alimentaire selon la fréquence, la quantité ou les rythmes biologiques. Tous ces régimes de jeûne ont toujours plus d’adeptes. Mais chacun a ses avantages et inconvénients.
Pour le docteur Tinh-Hai Collet, médecin adjoint dans l’Unité de nutrition des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), il faut d’abord distinguer les jeûnes longs des jeûnes intermittents sur un cycle de 24 ou éventuellement 48 heures. «Les premiers nous viennent de pratiques traditionnelles ou religieuses millénaires, commente le spécialiste. Ils sont généralement basés sur des périodes de jeûne qui durent plusieurs semaines.» Au niveau physiologique, ces pratiques de jeûne peuvent provoquer une «cétogenèse». Privé de l’apport énergétique classique que représentent les hydrates de carbone (les sucres), le corps crée à partir des graisses des éléments appelés «corps cétoniques» pour alimenter le cerveau en énergie. Après 48 heures déjà, les réserves de glucose de l’organisme sont épuisées et celui-ci utilise alors les graisses. Très astreignant, ce type de jeûne, qui peut entraîner une perte de poids rapide, marche bien dans certaines conditions. Mais il est difficile à suivre et surtout provoque chez de nombreuses personnes un effet rebond: une reprise rapide du poids perdu, voire même un dépassement du poids initial. Ce régime est aussi délétère pour certaines personnes, car il peut consommer les protéines des muscles. Il convient d’en parler à son médecin avant de démarrer.
Des jeûnes plus courts
C’est avant tout en raison de ce phénomène et de la difficulté à bien suivre un pareil régime sur plusieurs semaines que le Dr Collet conseille de privilégier les approches qui reposent sur une période plus courte, de 24 à 48 heures. «Les mécanismes en jeu ne sont pas les mêmes, explique le médecin genevois. L’idée est de jouer sur les rythmes circadiens, ces horloges internes qui suivent le même rythme que celui de la rotation de la Terre et donc du lever et du coucher du soleil.» Chaque cellule de chacun de nos organes dispose de ce type d’horloge. Cette alternance des rythmes sur un cycle de 24 heures régule de nombreuses hormones qui jouent un rôle clé dans le métabolisme, comme le cortisol pour la libération du sucre ou l’hormone de croissance pour la régénération des tissus. Jouer sur ces rythmes biologiques pourrait améliorer notre métabolisme, simplement en rétablissant un équilibre physiologique.
Reste que, comme le reconnaît le Dr Collet, nous sommes loin de comprendre l’ensemble de ces phénomènes. En plus de cette horloge de 24 heures, plusieurs rythmes se superposent et jouent un rôle dans notre métabolisme global. Par exemple, certaines cellules du fond de l’œil permettent à l’organisme d’interpréter la luminosité de manière inconsciente. Or, cette reconnaissance involontaire d’un cycle de luminosité jour/nuit influence le métabolisme de l’organisme, et le rythme imposé par la prise alimentaire interagit avec les horloges internes. «Le carrefour pour le métabolisme, c’est le foie, explique Tinh-Hai Collet. C’est là que se joue le lien entre l’alimentation venant de l’extérieur et la synchronisation des différents rythmes biologiques. Une partie des problèmes métaboliques, et même d’autres maladies, semble avoir ses origines dans le désalignement entre ces différentes horloges et la prise alimentaire.»
Tolérance personnelle
Tout jeûne bien conduit est utile parce qu’il harmonise l’ensemble des rythmes métaboliques: voilà le message. Mais pour l’instant, difficile de faire des recommandations plus précises. Tout est une question de nuances et peu d’études ont comparé les différentes méthodes entre elles. Il faut donc essayer pour évaluer. Lumière, horaire, quantité: à chacun de trouver sa propre musique. «Ce qui compte vraiment, c’est la tolérance personnelle», conclut Tinh-Hai Collet. Manger certains aliments plutôt le matin que le soir, alterner des périodes de jeûne de huit ou douze heures? Il est généralement plus facile de se calquer sur des intermittences d’une journée. Mais le défaut de la plupart de ces régimes, c’est qu’ils sont socialement difficiles à suivre sur le long terme avec le risque d’un effet rebond à leur arrêt. Celui qui a commencé à manger à 7 heures du matin est-il par exemple prêt à s’arrêter à 15 heures? Pas sûr. Une question que le Dr Collet cherchera à mieux comprendre dans des études menées aux HUG et au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) sur les effets des heures de la prise alimentaire en lien (ou opposée) avec les horloges internes. En attendant leurs résultats, avant de se lancer, mieux vaut donc d’abord consulter un spécialiste et se motiver grâce à une bonne compréhension des contraintes et des avantages. Quand on commence à faire attention au contenu de son assiette et à l’heure à laquelle on mange, le chemin est souvent ardu. Mais il est toujours bénéfique pour notre corps...
Définition de quelques variantes de jeûne
Régime |
Description |
Restriction calorique |
Réduction de l’apport total en calories, tout en évitant une dénutrition; parfois combinée avec une restriction de certains nutriments (graisses, sucres). |
Jeûne intermittent |
Terme général couvrant plusieurs des variantes ci-dessous. Restriction de l’alimentation et des boissons caloriques pendant certaines périodes sur un cycle de 24h ou certains jours de la semaine ou du mois. |
Jeûne périodique |
Jeûne (aucun aliment ni boisson calorique) durant 1 ou 2 jours par semaine, alimentation libre les jours restants. |
Restriction calorique périodique |
Restriction calorique (par ex. 500 ou 800 kcal/j) durant 1 ou 2 jours par semaine, alimentation libre les jours restants. |
Régime imitant un jeûne (Fasting-mimicking diet) |
Restriction calorique et distribution spécifique des nutriments pendant 5 jours par mois, les autres 25 jours étant libres; ce cycle est répété sur plusieurs mois (au moins 3). |
Jeûne à jours alternés |
Jeûne 1 jour sur 2 (aucun apport calorique, fasting day), l’autre jour étant libre (parfois nommé jour de «festin», feast day). |
Restriction calorique à jours alternés |
Réduction de l’apport calorique (maximum 25% des besoins énergétiques quotidiens) 1 jour sur 2, l’autre jour étant libre. |
Jeûne intermittent à heures fixes (time-restricted eating, TRE ou TRF) |
Alimentation et boissons caloriques restreintes à une fenêtre horaire sur le cycle de 24h. Exemple: TRE 8/16h = alimentation sur une période de 8h, jeûne de 16h. Variantes selon les heures: TRE 6/18h, 8/16h, 10/14h, 12/12h. |
Tableau repris de Tinh-Hai Collet et Zoltan Pataky, «Jeûne intermittent: une solution pour les maladies métaboliques?», Revue Médicale Suisse, janvier 2021.
Témoignage
Frédéric, 44 ans: «Ne manger qu’une seule fois par jour est simple à mettre en œuvre»
«J’étais en surpoids depuis des années. Je commençais à avoir de l’hypertension et du cholestérol. En janvier 2020, j’ai décidé de me prendre en main. J’allais avoir plusieurs mois de congé, c’était l’occasion de me lancer un challenge. Je me suis acheté un vélo d’appartement, mais je savais que me remettre au sport ne suffirait pas et que je devais aussi revoir mon alimentation. Mes apports caloriques étaient trop élevés par rapport à mes dépenses énergétiques. Je connaissais vaguement la pratique du jeûne intermittent. J’ai un ami qui, depuis des années, ne mange plus qu’une fois par jour. Sa manière de faire semblait correspondre à mes besoins. J’étais dans une période propice de ma vie, où la pression sociale était moindre. Je me suis lancé sans savoir quel serait l’impact sur mon poids et ma santé. Je me suis très vite habitué à ne manger que le soir. Vers 19h30, je prends mon unique repas de la journée. Raclettes, fondue, viande… je ne me prive de rien. Je cuisine, je me fais plaisir. Je mange des quantités plus importantes que celles que j’aurais mangées avant. La journée, je bois de l’eau. Je n’ai pas la sensation de me priver. Il m’arrive de faire des exceptions lorsqu’on est tous en famille, par exemple à Noël. Sans culpabilité. Les résultats ont dépassé mes espérances. J’ai perdu 24 kilos, ma pression artérielle est redevenue normale, mon mauvais cholestérol a chuté et le bon a nettement augmenté. Mon médecin était stupéfait et très intéressé par ma démarche. Mon mental aussi s’est amélioré. J’ai découvert que j’avais beaucoup de volonté. Autour de moi, les gens ont été hyper bienveillants et soutenants. Me rendre compte que mon image auprès des autres s’est transformée m’a mis du baume au cœur. J’ai adopté un mode de vie qui me correspond et n’ai aucune envie de revenir en arrière.»
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Paru dans Le Matin Dimanche le 28/02/2021.