Comment le corps réagit-il à la privation de nourriture?
Quelles sont les étapes que le corps franchit si on le prive de nourriture? Quand on ne mange plus, les vitamines baissent mais ce ne sont pas des pertes critiques. Après 24 heures de jeûne, les stocks de glucose (glycogen) sont épuisés. Puis, pendant les dix jours qui suivent, l’organisme s’attaque à ses réserves protéiques, issues prioritairement des muscles. Enfin, pour économiser ses protéines, il va puiser dans ses lipides.
A noter que cette phase peut atteindre 100 jours chez les manchots, donc presque quatre mois. Certes, l’homme n’est pas un manchot. Mais l’on sait bien que selon certains scientifiques, hommes et animaux connaissent quelques similitudes. En effet, un adulte d’1m 70 et 70 kg compte 15 kg de réserves de graisse, donc il pourrait tenir 40 jours sans manger. «L’avis de ces biologistes qui étudient les pingouins, précise le Dr Dimitrios Samaras, chef de clinique à l’Unité nutrition des HUG, c’est que le jeûne n’est pas dangereux. Mais qu’au contraire, c’est un événement auquel les animaux ont dû s’adapter avec le temps. Ils affirment également que dans l’évolution de l’être humain, la survie dans la nature a toujours rimé avec de périodes de jeûne plus ou moins prolongées, et que si notre espèce à pu survivre dans le temps, c’est parce qu’elle a pu développer des mécanismes adaptatifs pour les périodes sans nourriture.»
Mais revenons à nos étapes. Pour pallier le glucose manquant, le corps fabrique un substitut, grâce aux protéines et aux lipides: les corps cétoniques, appelés aussi le carburant du jeûne. Et à cause de ce changement de mode d’alimentation, le taux d’acidité dans le sang augmente. Le corps doit apprendre à vivre de ses réserves, l’organisme doit s’habituer. Selon les adeptes de la diète, le plus dur ce n’est pas la sensation de faim, qui disparaît peu à peu, mais cette crise d’acidose, qui peut causer nausées, maux de tête, douleurs abdominales, crampes et faiblesse générale.
Comment le jeûne agit-il sur la santé?
Là, c’est un peu plus mystérieux, et plusieurs médecins avouent ne pas comprendre très bien l’effet du jeûne sur certaines affections. On pense que jeûner provoque un stress et relance les mécanismes d’autorégulation du corps, ce qui aurait des effets thérapeutiques. Le jeûne aiguiserait également les forces curatives de l’organisme et agirait en stimulant les organes d’élimination. On pense aussi que les hormones mobiliseraient les réserves du corps et auraient un effet anti-inflammatoire. Des études allemandes sont en cours sur les mécanismes reliant privation de nourriture et maladies comme le diabète, l’hypertension ou le rhumatisme.
Les adversaires du jeûne thérapeutique insistent, eux, sur le danger de trop puiser dans les protéines, donc dans les muscles. Et d’autres avertissent que jeûner de manière extrême peut modifier le fonctionnement du cerveau et affaiblir la capacité de jugement d’une personne.
«Quand on s’interroge sur le rôle du jeûne dans la maladie, il faut se souvenir qu’avoir un frigo bien rempli est une habitude tout à fait récente dans l’histoire de l’humanité et a peu participé à la pérennisation de l’espèce humaine, relève le Dr Dimitrios Samaras. A quel degré notre organisme supporte-t-il mieux la carence de nourriture que son excès, c’est une question complexe. La nature nous a peut-être doté de mécanismes pour supporter la famine, mais elle n’a pas prévu qu’on vive jusqu’à l’âge de 90 ans et qu’on ait ainsi le temps de développer toutes les maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer etc.) qui frappent actuellement les sociétés des pays développés. Je dirais que ces mécanismes ont peut-être bien marché pendant le laps de temps que la nature nous octroie pour procréer, mais est-ce qu’ils sont toujours bénéfiques dans le monde actuel?»
Jeûne et psychisme
Et le psychisme, comment s’adapte-t-il au jeûne? «Contrairement aux diètes restrictives, où la faim persiste et des symptômes tels qu’apathie, fatigue et irritabilité sont au premier plan, le jeûne total se traduit plutôt par une perte d’appétit dans les premiers un à quatre jours, à cause de l’augmentation progressive des corps cétoniques, explique le Dr Samaras. Et une sensation de bien-être est très souvent rapportée par les patients. Le mécanisme sous-jacent n’est pas très clair. Selon certains, cette sensation pourrait être due à l’acide acétoacétique (un type de corps cétonique) qui a un effet sur le cerveau semblable à celui de l’alcool. D’autres mettent en avant plutôt la sécrétion par le corps lui-même de substances identiques à la morphine. Un effet placebo ou l’effet euphorisant de la perte pondérale, surtout pour les patients en surpoids, est également possible.»
Quoi qu’il en soit, le fait est que deux tiers des patients qui jeûnent disent se sentir mieux. «En résumé, conclut le spécialiste de la nutrition, le jeûne est une pratique utilisée depuis la nuit des temps. Son effet de bien-être pourrait expliquer en partie le rôle du jeûne dans des rituels spirituels ou des pratiques religieuses à travers les siècles. Ses effets potentiellement favorables sur la santé de l’individu ont commencé à être explorés depuis environ 150 ans mais la littérature sur le jeûne thérapeutique de l’homme est relativement limitée et loin d’être concluante. En plus, les complications d’une telle épreuve n’étant pas négligeables, la décision ne devrait pas être prise à la légère, ni avant de s’être assuré d’un suivi médical.»