Gluten: quand la science s’en mêle
Il est des raisons à ce trouble: la science de l’alimentation est difficile, et il y a une industrie prête à se lancer dans toute brèche.
Ce bombardement constant sur ce qui est «bon» ou «mauvais» pour la santé provoque une relation névrosée avec l’alimentation, «l’orthorexie nerveuse». Ainsi, 20 millions d’Américains disent souffrir de problèmes digestifs après avoir mangé des aliments contenant du gluten. Et déjà un tiers des Américains se propose de manger moins de gluten; la vente des produits sans gluten explose et devrait atteindre quinze milliards de dollars l’année prochaine. Chez nous, les restaurants Migros proposent depuis octobre des menus exempts de gluten.
Il existe une maladie auto-immune sérieuse, la maladie cœliaque ou cœliakie, caractérisée par une intolérance permanente au gluten qui, ingéré, peut entraîner la destruction des parois de l’intestin. Seul traitement connu: un régime strict sans gluten, à vie. Les estimations varient, mais une étude un peu ancienne situe la prévalence de cette maladie au Royaume-Uni à un sur 100; c’est aussi l’estimation suisse. On s’attendrait donc à trois millions d’intolérants au gluten, et non à 20 millions, avec bientôt cent millions d’Américains qui veulent bannir le gluten de leur alimentation. Perplexité des gastroentérologues devant cette deuxième catégorie d’intolérance au gluten, auto-appréciée par les sujets qui relatent une nette amélioration de leur digestion après avoir banni le gluten de leur alimentation. Hormis quelques observations isolées, il n’y avait en effet aucune étude systématique pour étayer ce syndrome.
Ce n’est qu’en 2011 qu’une première étude clinique de haute qualité (en double aveugle, randomisée, contrôlée par placebo) montrait que le gluten pouvait provoquer des symptômes d’inconfort digestif chez les sujets qui ne souffraient pas de maladie cœliaque. L’anxiété face au gluten qui saisissait la société et les rayons alimentaires pouvait sembler justifiée.
Mais était-ce vraiment la faute au gluten ou un autre facteur confondant existait-il? En bons scientifiques, les chercheurs répétèrent l’expérience de 2011, en renforçant encore le contrôle des sujets, suivis rigoureusement de l’assiette jusqu’aux WC. On prit soin cette fois d’enlever de l’alimentation de base non seulement le gluten, mais aussi des irritants (additifs). En particulier, on retira tout aliment riche en une catégorie de sucres relativement difficiles à absorber par l’intestin (nom de code FODMAP pour Fermentable, Oligo-, Di-, Mono-saccharides And Polyols). Trente-sept sujets qui ne souffraient pas de la maladie cœliaque, mais pour qui un régime pauvre en gluten améliorait le confort digestif, se prêtèrent au jeu. Avec le régime de base (sans gluten ni FODMAP) tout le monde se portait bien. On rajoute du gluten (en double aveugle), l’inconfort revient. Mais résultat surprise: on rajoute un placebo (à la place du gluten), les sujets se portent mal aussi. Une fois ce régime pauvre en FODMAP adopté, toute autre manipulation provoquait des effets indésirables. Le gluten n’était donc pas coupable! Derrière le gluten se cachaient les FODMAP. Choisir un régime sans gluten, c’est indirectement réduire les FODMAP, dont le pain est une source notable.
La médecine a été lente à prendre au sérieux l’intolérance au gluten, le commerce non. Hélas, produit sans gluten ne veut pas dire produit sain: le gluten est souvent remplacé par «n’importe quoi». Gageons que sur la base de cette étude sérieuse, mais faite à petite échelle et à court terme, on se précipitera sur les produits pauvres en FODMAP; préparez donc bananes, myrtilles, parmesan et pousses de bambou, et oubliez pommes, poires, choux de Bruxelles et avocats.
Jusqu’à ce que la médecine, à l’écoute espérons-le des consommateurs-expérimentateurs, confirme, rétracte ou précise le résultat.
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Source
«Gluten: quand la science s’en mêle», Domaine public, http://www.domainepublic.ch/articles/26700