Devenir végétarien: une bonne idée pour la santé?
Lexique au menu
Si le régime omnivore n’est plus le seul en vigueur dans la population, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans l’éventail des profils annoncés à l’heure de planifier un dîner. Suivez le guide!
- Omnivore: régime «de base» de l’espèce humaine, il n’exclut aucun aliment, que son origine soit animale ou végétale.
- Végétarien, ou plutôt ovo-lacto-végétarien: alimentation excluant viande et poisson, mais autorisant œufs et produits laitiers.
- Flexitarien: régime semi-végétarien, il reflète une tendance à limiter l’apport de viande et de poisson, sans qu’il n’existe à ce jour de consensus sur la fréquence exacte de leur consommation (elle est estimée entre une fois par semaine et une fois par mois).
- Pescatarien (ou pesco-végétarien): la consommation de poisson est maintenue, mais la viande est exclue.
- Végétalien: alimentation reposant sur la consommation exclusive de produits d’origine végétale.
- Végan: plus qu’un régime alimentaire, la démarche végane exclut toute utilisation de produits d’origine animale, pour l’alimentation comme pour la vie quotidienne. Exit donc viande, poisson, produits laitiers, miel et œufs, mais également tout objet confectionné à partir de cuir ou de laine.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, ou presque: -45% de personnes en surpoids, -55% de cas d’hypertension artérielle, -75% d’hypercholestérolémie, ou encore -27% de risques d’être atteint d’un diabète de type 2. Issus d’études ayant comparé jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes végétariennes avec des individus omnivores, ces chiffres font partie de ceux présentés lors d’une conférence récemment proposée aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) par les Drs Christophe Larpin et Hannah Wozniak. Tous deux médecins au Service de médecine interne générale des HUG, ils sont eux-mêmes à l’origine d’une vaste étude menée à Genève sur le sujet*.
Alors, tous végétariens? Pas si vite. «L’alimentation est un monde à part dans la recherche médicale, explique la Dre Hannah Wozniak. D’abord parce que ses effets sur l’organisme ne se font souvent sentir que sur le long terme, mais surtout car il est très difficile de procéder à des études dites "interventionnelles". Or seules celles-ci permettraient de conclure mieux que toute autre si tel régime alimentaire est meilleur pour la santé.» Mais pour ce faire, il serait nécessaire d’imposer une alimentation prédéfinie stricte à des groupes d’individus, des mois, voire des années durant, et d’observer les effets physiologiques qui en découlent. Obstacles pragmatiques, éthiques, financiers et même scientifiques: les freins à de tels protocoles sont nombreux. La majorité des études à disposition sont donc "observationnelles", autrement dit, basées sur des données recueillies au sein de la population, par le biais de questionnaires principalement. Mais, en écho à l’intérêt croissant des consommateurs, l’engouement de la communauté scientifique s’intensifie. «Des projets de recherche ambitieux sont en cours, notamment pour évaluer l’influence d’un régime ovo-lacto-végétarien sur l’incidence de pathologies telles que cancer ou infarctus, et sur la mortalité elle-même», poursuit la spécialiste.
Moins de calories et d’acides gras saturés
Pour l’heure, et même si la précaution reste de mise, les premières données laissent bel et bien à bien penser qu’un régime excluant viande et poisson est favorable à la santé, en particulier celle de nos artères. «Les paramètres observés sur le surpoids, la tension artérielle ou encore l’hypercholestérolémie vont clairement dans le sens d’un effet protecteur face aux pathologies cardiovasculaires», note la Dre Wozniak. A l’origine de ces bienfaits, plusieurs hypothèses sont à l’étude. Les plus solides? Moins de calories et d’acides gras saturés ingérés grâce à l’absence de viande et de poissons, mais également davantage de fibres, de vitamines et d’antioxydants consommés en raison d’apports accrus en fruits et légumes.
«A l’origine de l’athérosclérose et de phénomènes inflammatoires, les acides gras saturés – les "mauvaises" graisses, dont la viande regorge –, qui sont particulièrement nocifs pour le système cardiovasculaire», souligne le Pr Claude Pichard, médecin responsable de l’Unité de nutrition aux HUG. Quant aux bienfaits des fruits et légumes: «Outre la présence éminemment précieuse de fibres, antioxydants et vitamines, on peut citer deux pièces bienfaitrices pour nos artères: les acides gras polyinsaturés, présents dans les avocats par exemple, ainsi que les tanins.» Molécules synthétisées par les végétaux pour se défendre des parasites et avaries en tout genre, les tanins sont présents dans les parties exposées des végétaux: écorce, feuille, racine, peau des fruits, etc.
Chiffres clés
4,9% des personnes végétariennes en Suisse selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), et moins de 0,5% de véganes.
Miser sur la variété et la diversité
Autant d’arguments permettant de recommander officiellement le régime ovo-lacto-végétarien? «Absolument, estime la Dre Wozniak. À condition qu’il soit bien mené, ce choix nutritionnel apparaît bénéfique et sans danger». Un point de vue partagé par la Société suisse de nutrition qui estime qu’«une alimentation ovo-lacto-végétarienne peut être mise en œuvre dans le cadre des recommandations de la pyramide alimentaire suisse», ainsi que par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires qui indique: «S’ils adoptent une alimentation ovo-lacto-végétarienne équilibrée, les adultes en bonne santé peuvent absorber suffisamment de nutriments essentiels comme le calcium, le zinc, le fer et les vitamines B.»
Un équilibre savamment ajusté, tout est là. «On pourrait se dire végétarien en ne se nourrissant que de frites, glaces et sodas, note Nicoletta Bianchi, diététicienne, cheffe adjointe au Service d'endocrinologie-diabétologie-métabolisme-nutrition clinique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Mais le péril pour la santé au sens large, et en termes de carences en particulier, serait alors imminent.» Les conséquences sont effectivement concrètes: «Passer brutalement d’un régime omnivore à un régime végétarien, ou plus périlleux encore, végétalien (lire encadré), expose notamment à un risque d’anémie insidieuse, poursuit le Pr Pichard. Les effets ne sont pas immédiats, mais débouchent par exemple, un ou deux ans plus tard, à la prise en charge de jeunes adultes présentant des anémies à des niveaux que l’on ne retrouve habituellement que chez des personnes très âgées.» Et Nicoletta Bianchi de conclure: «Adopter le régime ovo-lacto-végétarien ne se résume donc pas à soustraire de son alimentation viande et poisson, mais à repenser entièrement son alimentation en misant sur la variété et la diversité».
Six clés pour y parvenir:
1. Soigner les deux piliers: œufs et produits laitiers
Les garde-fous du régime ovo-lacto-végétarien sont inscrits dans son nom. Tandis que les œufs sont riches en fer et en vitamine B12, le calcium contenu dans les produits laitiers est pour sa part parfaitement assimilable par l’organisme. Ces deux groupes d’aliments prémunissent donc des carences qui seraient induites par un régime exclusivement basé sur des aliments d’origine végétale. Si la qualité des œufs dépend directement de celle de l’alimentation des poules, les produits laitiers (fromage, yogourt, etc.) sont quant à eux à varier le plus possible, en visant trois portions par jour.
2. Miser sur les bons duos
Même d’excellente qualité, les protéines végétales (à l’exception du soja et du quinoa) ont un défaut: contrairement à leurs homologues animaux, elles ne fournissent pas à elles seules l’ensemble des acides aminés essentiels à l’organisme. Pour rappel, les acides aminés sont les pièces constitutives des protéines, et sont donc impliqués dans tous les processus biologiques du corps. La solution: miser sur leur complémentarité. En effet, toutes les sources végétales de protéines étant dépourvues d’un acide aminé spécifique au moins (la lysine dans les céréales par exemple), leurs manquements peuvent se compenser. Il suffit donc d’associer dans un même repas, ou sur la journée, légumineuses (fèves, haricots, lentilles, etc.) et céréales (blé, riz, etc.).
3. Privilégier le cru
On connaît les méfaits d’une viande trop grillée. La délicatesse des températures est également de mise pour les légumes. Perte considérable de vitamines lors de cuisson à l’eau, dénaturation des «bonnes» graisses lorsqu’elles sont confrontées à des températures trop intenses: l’idéal est d’opter pour une cuisson douce des légumes ou, encore mieux, de les consommer crus quand cela est possible.
4. Opter pour des produits issus des alpages
Parce qu’ils sont généralement exempts de pesticides, pollution alentour, et par ailleurs naturellement riches en substances protectrices, beurre, miel ou encore laitages d’alpage ont tout pour plaire.
5. Optimiser l’absorption du fer
Parfaitement assimilable par l’organisme lorsqu’il provient de la viande, le fer peut être apporté en quantité suffisante dans le cadre d’un régime ovo-lacto-végétarien si celui-ci contient assez d’œufs et de sources protéiques végétales (soja, quinoa, lentilles, pois chiches, etc.). Toutefois, l’apport reste fragile. Une alliée: la vitamine C. Naturellement contenue dans les fruits et légumes (agrumes, fraises, kiwi en tête), elle permet une meilleure absorption du fer lorsqu’elle est consommée lors du même repas. Gare aux ennemis de cette absorption, à savoir les tanins contenus dans le thé, le café ou encore le chocolat. La clé: les consommer à un autre moment de la journée.
6. Penser oméga 3
Puissants alliés de la santé, les oméga 3 dits «à longue chaîne» sont présents presque exclusivement dans le poisson. Mais l’organisme sait les fabriquer à partir de sources végétales, à condition d’être suffisamment approvisionné. Ceux-ci sont présents notamment dans les graines de lin et les noix.
L’option végétalienne: pas pour tout le monde
Même bien mené, même diversifié, le régime végétalien fait courir un risque de carences multiples: principalement en calcium, fer, zinc, iode et vitamines du groupe B. Et parmi les plus certaines, celle en vitamine B12, que seule la consommation d’aliments d’origine animale peut apporter. Si un suivi médical et une supplémentation médicamenteuse s’avèrent nécessaires, ce régime n’est pas envisageable pour tous. Les recommandations de l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires sont effectivement sans appel: «Une alimentation végétalienne n’est pas conseillée aux enfants, aux femmes enceintes ou allaitantes ni aux personnes âgées.» Nicoletta Bianchi, diététicienne-cheffe adjointe au Service d'endocrinologie-diabétologie-métabolisme-nutrition clinique du CHUV, insiste sur les dangers pour les plus jeunes: «Les carences sont redoutables pour le développement cérébral des enfants en bas âge, mais également pour les jeunes filles, lorsque leur cycle menstruel commence». Et d’ajouter: «Les quantités de fruits et de légumes données aux plus jeunes en espérant couvrir leurs besoins sont parfois excessives par rapport à ce que leur organisme peut absorber. Et malheureusement, elles sont vaines, car les apports énergétiques ne sont pas assurés. L’ensemble de ces risques n’est vraiment pas à négliger.»
___________
* Etude menée par le Bus santé des HUG, entre 2005 et 2017, auprès de 11'000 personnes.
Wozniak H, Larpin C, de Mestral C, Guessous I, Reny JL, Stringhini S. Vegetarian, pescatarian and flexitarian diets: sociodemographic determinants and association with cardiovascular risk factors in a Swiss urban population [published online ahead of print, 2020 May 18]. Br J Nutr. 2020;1-9. doi:10.1017/S0007114520001762
Paru dans Le Matin Dimanche le 26/07/2020.