Cannabis: un potentiel stupéfiant
Percer les mystères du cannabis ne peut se faire sans un détour par la biochimie qui s’opère dans l’intimité de nos cellules, car s’il peut agir sur notre organisme, c’est parce que tout un arsenal y est présent pour l’accueillir. Et pour cause: le cannabis appartient à la grande famille des cannabinoïdes, dont nous sommes nous-mêmes des producteurs.
Si ces cannabinoïdes que nous fabriquons – les endocannabinoïdes – n’ont pas encore livré tous leurs secrets, une chose est sûre: sécrétés entre autres lorsque nous nous livrons à des activités physiques, ils viennent réguler nos fonctions vitales, stimuler notre mémoire et notre appétit. Pour ce faire, comme toute molécule agissant dans notre corps, ces substances interagissent avec des récepteurs qui leur sont spécifiques, ce qui débloque toute une série de réactions en chaîne. Il existe deux catégories de récepteurs cannabinoïdes, désignés CB1 et CB2, différents l’un de l’autre de par leur sensibilité et les effets qu’ils induisent.
Vertus miracles
Telle une serrure dupe face à un nouveau jeu de clés, ces récepteurs vont être la cible parfaite des deux autres membres de la famille cannabinoïde: les cannabinoïdes végétaux (ou phytocannabinoïdes), présents dans le chanvre, et les cannabinoïdes synthétiques, fabriqués en laboratoire. Le champ des possibles s’ouvre alors: les uns comme les autres vont exposer l’organisme à une multitude de substances distinctes, dont deux majeures, le tétra-hydro-cannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD).
La première, le THC, naturellement présente dans le cannabis, interagit surtout avec les récepteurs CB1 pour révéler des effets psycho-actifs, tels que désinhibition, euphorie, troubles de la concentration, confusion mentale et dépendance. Il a également un pouvoir antivomitif, mais aussi de décontractant musculaire et de stimulateur d’appétit.
Le second, le CBD, se frottera aux récepteurs CB2 pour déclencher un arsenal d’effets tout droit sortis d’un dictionnaire médical: anticonvulsif, analgésique, anxiolytique, antipsychotique, neuroprotecteur, et même antitumoral.
Autant de vertus dignes, pour une part, d’un produit miracle! Et c’est ce que le cannabis est… aussi. Car avant tout, les cannabinoïdes non fabriqués par notre organisme – qu’ils proviennent du chanvre ou des antres d’un laboratoire illicite – vont présenter trois dangers majeurs:
- le premier: exposer l’organisme à des quantités et des proportions de THC et de CBD potentiellement très toxiques pour l’organisme et à l’origine d’effets psycho-actifs délétères;
- le second: fumés, les cannabinoïdes sont nocifs pour les poumons, plus encore s’ils sont mélangés à du tabac;
- le troisième: illicites, ces cannabinoïdes comportent le risque d’une prise non contrôlée de produits sans aucun garde-fou sur les substances qu’ils contiennent réellement.
Prescriptions médicales strictes
Reste que, modestement encore à ce jour, les vertus anti-inflammatoire, antispasmodique, ou bien encore anti-douleur des cannabinoïdes se déclinent en traitements. Citons notamment le Sativex® (spray), le Dronabinol (THC, solution-gouttes), le CBD (tincture). Ces médicaments, dont une partie existe depuis une quinzaine d’années, sont soumis pour la plupart à des procédures très réglementées, avec des prescriptions médicales strictes et une obligation d’autorisation délivrée par l’Office fédéral de la santé publique. Parmi les pathologies soulagées par ces nouveaux médicaments: spasmes et douleurs musculaires liés à des maladies neurologiques telles que la sclérose en plaque, nausées, vomissements sévères et perte de poids causés par des traitements particulièrement intensifs, tels que les chimiothérapies.
La recherche a encore beaucoup à découvrir sur le champ d’action des cannabinoïdes. Jusqu’ici la plupart des études se sont concentrées sur le THC pur. Or on entrevoit depuis quelques années que le CBD présenterait un potentiel prometteur sur l’immunité, le traitement du cancer et le soulagement de troubles psychiatriques tels que troubles obsessionnels-compulsifs, schizophrénie et psychose. Il se montre de surcroît capable de diminuer en partie les effets indésirables du THC. Des mélanges savamment dosés des deux molécules présenteraient donc un intérêt majeur. L’avenir proche devrait pouvoir le confirmer, puisque l’on sait aujourd’hui dompter ces molécules, et produire en laboratoire des cannabinoïdes inoffensifs aux dosages en THC et en CBD strictement définis.
Jusqu’à pouvoir proposer à chaque patient le dosage idéal, en parfaite adéquation avec sa pathologie, sa personnalité, sa sensibilité? Cela pourrait être l’une des prochaines étapes. Affaire à suivre.
Pour en savoir plus:
- Site de l’Association Internationale pour le cannabis médical: www.cannabis-med.org
- Swiss taskforce for medical cannabis: www.stcm.ch
- Site d’Addiction Suisse avec des documents d’information et de prévention pour les substances psycho-actives: www.addictionsuisse.ch
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Source
«De l’autre côté du cannabis», conférence donnée dans le cadre du salon Planète Santé live, le samedi 15 novembre 2014 à Lausanne, par la Dresse Barbara Broers, responsable de l’Unité Dépendances aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).