Les excès d’alcool provoquent des arythmies cardiaques
DE QUOI ON PARLE
Pour la première fois, une vaste étude allemande s’est intéressée aux effets de l’alcool sur le cœur dans des conditions réelles. Plus de 3000 personnes, âgées de 35 ans en moyenne, se sont soumises à un éthylotest et à un électrocardiogramme lors de la célèbre fête de la bière de Munich. Les résultats, publiés dans l’European Heart Journal, ont montré qu’une alcoolisation massive provoquait une arythmie cardiaque chez environ 30% des personnes testées.
Chaque année, entre fin septembre et début octobre, la bière coule à flots à Munich. L’Oktoberfest réunit, à chacune de ses éditions, des millions de visiteurs. En 2015, des chercheurs allemands ont profité de cet événement pour étudier les effets immédiats de l’alcool sur le cœur. Pour la première fois, les analyses ont donc été menées dans des conditions réelles, soit au moment même de la fête, qui se déroule sur deux semaines. Près de 3000 volontaires, âgés de 35 ans en moyenne, se sont soumis à un éthylotest ainsi qu’à un électrocardiogramme – réalisé à l’aide d’un smartphone. Grâce à ces deux mesures, les chercheurs ont pu établir des corrélations entre le taux d’alcool et la fréquence cardiaque des participants. Résultat: une consommation excessive d’alcool cause des perturbations du rythme cardiaque chez un peu plus de 30% des fêtards, alors qu’une véritable arythmie ne touche que 1 à 4% des personnes dans la population générale. On parle d’arythmie cardiaque lorsque le cœur bat trop vite ou trop lentement ou encore de façon irrégulière. Ce terme générique regroupe toutes sortes de troubles du rythme plus ou moins graves.
Le rythme sinusal
Chez une personne en bonne santé, le cœur bat (au repos) entre 50 et 80 fois par minute. Les contractions du cœur ont pour fonction de pomper le sang et de le redistribuer dans l’organisme. Le rythme cardiaque est modulé par le nœud sinusal, une petite zone située dans l’oreillette droite. Celle-ci contient des cellules spécialisées émettant des impulsions électriques, qui entraînent une contraction coordonnée du cœur un peu comme une vague: «C’est une sorte de métronome qui va stimuler et relâcher le muscle cardiaque de manière réflexe et autonome», résume le Dr Jürg Schläpfer, médecin adjoint au service de cardiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). La fréquence cardiaque varie en permanence selon les moments de la journée, l’activité ou l’état émotionnel. Aussi, après un repas ou lorsqu’on est reposé, elle diminue. À l’inverse, elle augmente sous le coup d’une émotion, d’un stress, ou en cas d’effort. Ces variations sont considérées comme normales.
L’alcool, toxique pour l’organisme, peut engendrer des arythmies cardiaques. Ses effets toxiques dépendent des quantités absorbées et de la manière dont il est ingéré. La vulnérabilité individuelle (cœur sain ou pas) joue aussi un rôle.
L’étude allemande montre pour la première fois une association forte entre une alcoolisation massive et la survenue d’une arythmie. Car jusqu’ici, précise le professeur Dipen Shah, médecin adjoint agrégé au service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), les données allant dans ce sens «n’avaient pu être recueillies que de manière rétrospective, sur la base de récits de patients et non sur celle d’un électrocardiogramme (ECG)». Une majorité des personnes testées ici présentaient une tachycardie sinusale, une forme d’arythmie transitoire qui se traduit par une fréquence cardiaque dépassant les 100 battements par minute. L’apparition de palpitations relève de différents mécanismes. «L’alcool dilate les vaisseaux sanguins et accélère le rythme cardiaque pour compenser la chute de pression artérielle qu’il provoque», explique le professeur Étienne Pruvot, médecin adjoint au service de cardiologie du CHUV. L’accélération du rythme cardiaque est dans ce cas due à une excitation du système sympathique et, parallèlement, à une inhibition du système vagal. Cette stimulation entraîne la libération d’adrénaline et de noradrénaline.
«Holiday heart syndrome»
L’alcool, ce toxique
Une consommation excessive d’alcool est mauvaise pour la santé, car «elle entraîne un surpoids, de l’hypertension, du diabète, qui sont eux-mêmes des facteurs de risque des maladies cardio-vasculaires», déclare le Pr Pruvot, du CHUV. Quant au bénéfice d’une consommation modérée, il reste sujet à controverses. Selon le Dr Schläpfer, «les études démontrant un effet potentiellement protecteur sur le cœur sont remises en cause en raison de leur méthodologie». Par ailleurs, début mai, un comité d’experts français a évoqué les risques encourus dès le premier verre, notamment pour le cancer. Les experts remettent en question les recommandations de l’OMS qui sont de 3 verres par jour pour un homme et de 2 verres pour une femme. Ils préconiseraient de leur côté 10 verres d’alcool maximum par semaine et surtout des jours d’abstinence.
L’étude ne s’intéresse pas aux lendemains de fête, mais on sait par ailleurs que «0,8% des individus sans antécédents cardiaques développent une fibrillation auriculaire dans les 48 heures suivant un abus d’alcool, contre 0,1% dans la population jeune», complète le Pr Pruvot. C’est ce qu’on appelle le «Holiday heart syndrome». Les personnes qui en sont victimes se retrouvent souvent aux urgences où elles font l’objet d’une surveillance médicale étroite, la fibrillation auriculaire étant un trouble potentiellement grave (lire encadré).
Enfin, une consommation aiguë peut irriter les cellules du muscle cardiaque, poursuit le spécialiste: «Normalement, ces cellules se contractent grâce à l’impulsion du nœud sinusal, mais avec l’alcool, elles acquièrent une contraction autonome et plus rapide.» Ces «extrasystoles» sont responsables d’une fréquence cardiaque anarchique et peuvent créer une fibrillation au niveau des oreillettes ou beaucoup plus rarement au niveau des ventricules.
Boire avec modération
Généralement, le cœur retrouve un rythme normal une fois le retour à la sobriété. Pour autant, ces arythmies ne doivent pas être banalisées. Des abus d’alcool répétés restent délétères pour le cœur, c’est pourquoi les spécialistes rappellent qu’il faut boire avec modération. C’est sans compter qu’«une consommation excessive chronique diminue la force de contraction du cœur, augmente la tension artérielle et expose à des risques accrus d’accident vasculaire cérébral», décrit le Pr Shah. L’affaiblissement progressif du cœur (cardiomyopathie) peut, à terme, conduire à une insuffisance cardiaque, une pathologie grave qui nécessite des traitements lourds.
La fibrillation auriculaire, facteur de risque de l’accident vasculaire cérébral
La fibrillation auriculaire est l’arythmie la plus fréquente. L’alcool n’est pas le seul facteur de risque. L’obésité, l’hypertension, le diabète, les apnées du sommeil, mais surtout l’âge en sont d’autres: 10% des plus de 80 ans sont touchés. «En raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des facteurs de risque, cela devient un vrai problème de santé publique», note le Dr Jürg Schläpfer, cardiologue au CHUV. Or cette arythmie multiplie par cinq le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) et représente un risque accru de mortalité. En cas de fibrillation auriculaire, le rythme cardiaque devient anarchique et souvent rapide. La mauvaise contraction de l’oreillette gauche entraîne une stagnation du sang, qui favorise la formation de caillots, à l’origine de 50% des AVC. Si la fibrillation auriculaire peut se traduire par des palpitations, une fatigue, des vertiges et parfois un essoufflement, elle peut aussi être totalement asymptomatique.
À titre préventif, la société européenne de cardiologique recommande de prendre le pouls des patients de plus de 65 ans et, si celui-ci est irrégulier, de réaliser un électrocardiogramme. Le risque embolique peut être prévenu par la prescription d’anticoagulants pour fluidifier le sang.
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Référence:
Paru dans Le Matin Dimanche, numéro du 14 mai 2017.
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