Se mettre au sport connecté: une bonne idée?
Surentraînement et burn-out bientôt détectés par nos téléphones?
C’est une innovation qui pourrait paraître insolite, elle est en réalité hautement scientifique: la détection des états de surmenage – liés à un surentraînement sportif ou à une souffrance chronique au travail par exemple – pourrait prochainement se lire directement sur nos smartphones. La clé: l’analyse de la variabilité cardiaque. «Nous savons que la régularité – ou l’irrégularité – des battements cardiaques au repos reflète la santé de notre système nerveux autonome», explique le Pr Vincent Gremeaux, responsable du Centre de médecine du sport du CHUV. Protagoniste clé des mécanismes internes qui s’activent en permanence pour assurer nos fonctions vitales, ce système est largement influencé par le stress et l’entraînement sportif. Et contre toute attente, plus la variabilité cardiaque au repos est élevée, autrement dit plus les battements cardiaques présentent d’irrégularités (celles-ci étant infimes et s’entendant hors pathologie cardiaque), plus ils reflètent un système nerveux autonome sain, doté d’une bonne capacité d’adaptation. «Si plusieurs applications se concentrent sur ce paramètre, il se glisse déjà, par le biais d’outils adaptés, dans des consultations médicales spécifiques, destinés notamment aux athlètes de haut niveau», précise le médecin.
Se déclinant aujourd’hui à l’infini, les dispositifs connectés rivalisent d’ingéniosité pour mesurer, analyser, comparer tant nos pas que notre vitesse, notre fréquence cardiaque, notre taux de sucre dans le sang (glycémie) ou encore notre sueur. Dès lors, comment s’y retrouver? Et surtout, peut-on encore aller marcher, courir ou s’entraîner sans «se mesurer»? «Bien sûr, et c’est peut-être même paradoxalement l’objectif ultime lorsque l’on expérimente ces dispositifs, exception faite des séances de haute précision des athlètes de haut niveau ou concernant des personnes atteintes de maladies chroniques», estime le Pr Vincent Gremeaux, responsable du Centre de médecine du sport du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Et de préciser: «Le plus souvent, deux défis motivent la pratique sportive: lutter contre la sédentarité et être plus actif physiquement.» Pour rappel, la sédentarité traduit les heures trop nombreuses passées en position assise dans une journée; le manque d’activité physique se devine quant à lui au regard des recommandations officielles préconisant 150 minutes au moins d’activité physique modérée par semaine.
État des lieux
«Dès lors, disposer d’un smartphone ou d’une montre connectée pour faire un état des lieux de ces deux facteurs clés pour la santé peut être précieux, poursuit le médecin. Il peut être plus parlant de voir, sous forme de graphique par exemple, le peu de pas réalisés dans une journée, que d’entendre son médecin répéter combien il est important de marcher… Soudain, ce "verdict" s’affichant sur notre écran peut faire l’effet d’un déclic pour entreprendre des changements.» Et c’est là que les dispositifs connectés deviennent chez certains des coachs incontournables.
Sauf que leurs limites sont nombreuses. Fiabilité, pertinence d’utilisation, coûts potentiellement élevés, questions éthiques soulevées par des données voguant vers le cloud ou encore impact écologique: le Pr Gremeaux s’est penché sur ces nombreux aspects dans un article dont il est co-auteur, récemment paru dans la Revue médicale suisse*. Concernant la fiabilité par exemple: «Selon une recherche réalisée en 2018, seuls 5% de ces outils connectés seraient formellement validés, souligne le médecin. Cela ne signifie pas pour autant que les 95% restants sont inutiles, mais qu’ils sont à choisir selon le degré d’exigence de la pratique. La précision absolue des valeurs sera attendue dans un sport d’élite, bien moins pour un footing du dimanche matin.»
Défi majeur
Plus globalement, un défi majeur apparaît: «Ces appareils fournissent nombre de données que nous ne savons pas encore toutes interpréter dans le détail, note le médecin. Par exemple, des personnes ont pris peur en lisant sur leurs patchs high-tech des glycémies particulièrement élevées durant un effort sportif. L’explication est logique: le sucre est naturellement libéré dans le sang pour nourrir les muscles, sauf que les chiffres de référence dont nous disposons sont ceux d’une activité au repos lorsque nous nous prêtons à une prise de sang.» Et le Pr Gremeaux de signaler un autre écueil: celui des risques psychologiques liés à une surveillance excessive de ses données et performances. Un phénomène appelé «syndrome du cardiofréquencemètre», en référence aux inquiétudes qui peuvent naître face à des valeurs élevées de fréquences cardiaques. «Bien souvent, elles s’expliquent par de simples artéfacts de mesure, mais elles sont à discuter avec le médecin, surtout si elles s’accompagnent de symptômes, à l’effort ou au repos», souligne le Pr Gremeaux. La vigilance s’impose donc. «Nous sommes dans un moment charnière vis-à-vis de ces dispositifs et des nombreuses questions qu’ils soulèvent, estime le spécialiste. L’idée n’est pas forcément de les rejeter en bloc, mais d’en faire des alliés pour mieux percevoir les pistes d’amélioration et changer durablement nos comportements.» L’idéal, selon l’expert: «Les utiliser pour se connaître suffisamment bien et pouvoir ensuite s’en détacher complètement, tant au quotidien que dans le cadre d’une pratique sportive, en particulier lorsqu’il n’y a pas d’objectif compétitif.»
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* Gremeaux V, Saubade M, Besson C, Baggishb A. Le médecin généraliste devant son patient connecté. La quadrature du triangle médecin-patient-coach. Rev Med Suisse. 2023 Jan 25;19(811):126-127.
Paru dans Planète Santé magazine N° 49 – Juin 2023