Plutôt transhumain que mort
Dans votre livre La mort de la mort* vous écrivez: «L’homme qui vivra 1000 ans est peut-être déjà né». Vertigineux au vu de l’espérance de vie humaine qui ne semble pouvoir excéder les quelque 120 ans. Comment l’imaginer?
Laurent Alexandre: L’espèce humaine est ainsi faite que son code génétique la prédestine à une longévité maximale de 120-122 ans. Mais un phénomène est en train de changer la donne: la convergence des technologies NBIC, soit Nanotechnologie – Biotechnologie – Informatique – sciences Cognitives. La synergie de ces puissances va connaître au XXIe siècle une évolution exponentielle, dont nous ne sommes qu’à l’an zéro. Un enfant qui naît aujourd’hui va bénéficier au cours de sa vie de progrès dont la plupart ne sont même pas encore imaginables et, de bond technologique en bond technologique, il va voir son espérance de vie s’allonger sans cesse. Nous allons connaître en médecine un «génotsunami» sans précédent.
Quels en sont les premiers signes?
Les implants cochléaires (du nom de la cochlée, organe de l’oreille interne, ndlr) chez les malentendants, les implants rétiniens pour les non-voyants, les premières thérapies géniques pour lutter contre le cancer et bientôt les organes artificiels, en sont des exemples. Un autre fait majeur est l’effondrement du coût du séquençage de l’ADN, passé de trois milliards de dollars il y a dix ans à 1000 dollars aujourd’hui, ce qui ouvre la voie à une médecine personnalisée d’une nouvelle ère.
Ces perspectives nous affecteront-elles autant sur le plan physique que psychique?
Absolument. Tôt ou tard nous saurons remplacer les organes malades, réparer les anomalies à des échelles de plus en plus petites, mais aussi intervenir aux confins du cerveau. Ce qui va être crucial, c’est ce que nous y ferons! S’il s’agit de soigner la maladie d’Alzheimer, on ne peut que s’en réjouir. Mais s’il devient aussi possible de modifier les états de conscience, d’augmenter le quotient intellectuel jugé trop faible de quelques individus, voire d’une population entière… que feront les grandes puissances avec de tels outils? La Chine vient d’ailleurs de lancer un programme pour séquencer l’ADN de ses surdoués.
Le Dr Alexandre en quelques dates
Né en 1960 à Paris, le Dr Laurent Alexandre devient chirurgien-urologue avant d’entrer à l’Ecole Nationale d’Administration. Egalement diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques et de la Haute Ecole de Commerce, cet entrepreneur né crée le site médical Doctissimo en 1999 avec le Dr Claude Malhuret. En 2009, il rejoint la Belgique pour assurer la présidence de DNAVision, société de séquençage de l’ADN. Scientifique, vulgarisateur, marathonien à ses heures, le Dr Laurent Alexandre est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La mort de la mort, sorti en 2011. Il s’apprête à publier Cancer 2.0 dans lequel il prédit que la fin du cancer est proche.
Sommes-nous préparés à tous ces bouleversements?
Non, et pour cause. Le caractère explosif de ces technologies NBIC engendre un décalage entre ce que l’on pensait possible, et ce qui se passe. Résultat: les experts eux-mêmes n’ont pas vu venir les choses. Le séquençage de l’ADN est, là encore, un parfait exemple. En 1990, les plus éminents biologistes estimaient qu’il faudrait trois à cinq siècles avant de pouvoir faire le séquençage de l’ADN humain. En 2003, soit seulement treize ans plus tard, la première personne voyait son code génétique séquencé! Le code génétique des futures générations sera sans aucun doute connu avant même la naissance: par une simple prise de sang d’une femme enceinte, on sait déjà distinguer l’ADN d’un fœtus de celui de la mère. Avec ces nouvelles technologies, et notamment la puissance croissante des processeurs informatiques, ce qui était impossible devient très vite banal.
Tout cela soulève des questions éthiques majeures. Les politiques suivent-elles ces évolutions?
Jusqu’à maintenant les politiques sont suiveuses de ce qui se passe. Si rien ne change, elles vont être dépassées par ces évolutions ultra-rapides. Les centres d’excellence internationaux, dont fait partie l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), ont un rôle majeur à jouer pour démocratiser ces questions.
On ne peut imaginer de tels bouleversements sans levée de boucliers de la part des populations…
Des bio-conservateurs vont s’opposer à des bio-progressistes, des questions religieuses vont se poser, les gens vont s’émouvoir. Mais l’histoire a aussi montré que les gens finissent par accepter… C’est ce qui s’est passé avec la pilule contraceptive, la transplantation d’organes: ce qui était inacceptable est devenu désirable. Sur l’autel d’une humanité immuable, pourra-t-on dire aux enfants myopathes de rester en chaise roulante, aux personnes atteintes de cancer qu’elles ne peuvent bénéficier des traitements issus des nouvelles technologies? Il y a fort à parier que notre désir de ne pas vieillir, de ne pas souffrir, de ne pas mourir sera plus fort.
Une accentuation des inégalités à travers le monde n’est-elle pas à craindre?
Rien n’est moins sûr. Et pour cause: une autre caractéristique des technologies NBIC est l’effondrement rapide de leur coût. On l’a donc vu avec le séquençage de l’ADN, mais aussi, sur un autre plan, avec la profusion des téléphones portables, y compris dans les pays les plus pauvres de la planète.
Jusqu’où tout cela peut-il aller?
«Nous préférons être plutôt transhumains que morts» sera la devise du XXIe siècle. Il y aura des difficultés conjoncturelles, des blocages techniques, mais ils ne seront que temporaires. D’ici 2015-2020, nous proposerons des thérapies génétiques sans effets secondaires. La pression industrielle va quant à elle s’accentuer. Le géant américain Google vient d’ailleurs de lancer l’entreprise de recherche médicale Calico. Sa mission est de s’attaquer au défi de l’âge et des maladies qui y sont associées. Comme Google, je pense que la mort de la mort est possible.
*La mort de la mort, Dr Laurent Alexandre, Ed. JC Lattès, 2011.