«CRISPR-Cas9 est une technologie révolutionnaire»

Dernière mise à jour 14/12/20 | Questions/Réponses
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Depuis 2012, les biologistes disposent d’un nouvel outil: CRISPR-Cas9. Ces «ciseaux moléculaires» viennent d’être distingués par le prix Nobel de chimie 2020. Yannick Muller, médecin associé au Service d’immunologie et d’allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), revient des États-Unis, pays pionnier dans l’emploi de cette technologie. Il compte l’utiliser pour élaborer de nouvelles thérapies contre les maladies auto-immunes.

Bio express

2 juillet 1982 Naissance à Genève.

2007 Diplôme de médecine à l’Université de Genève (UNIGE).

2011 Thèse à l’UNIGE – Prix Denber-Pinard pour le meilleur travail en diabétologie.

2016 Spécialisation FMH en allergologie et en immunologie clinique.

2017 Spécialisation FMH en médecine interne générale.

2017-2020 Formation post-doctorale à l’Université de Californie, San Francisco.

Septembre 2020 Médecin associé au Service d’immunologie et allergie du CHUV.

      

CRISPR-Cas9 est un outil récent. Diriez-vous que vous êtes l’un des rares médecins suisses à l’utiliser pour vos recherches?

Dr Yannick Muller: L’un des rares, probablement pas, car cette technologie se démocratise à une vitesse fulgurante. Toutefois, il se trouve que je viens juste de revenir en Suisse après avoir fait une formation post-doctorale à l’Université de Californie à San Francisco. Or les États-Unis, comme la Chine d’ailleurs, sont très en avance par rapport à la Suisse dans l’exploitation de cet outil. Je compte donc profiter de l’expérience que j’ai acquise Outre-Atlantique pour mener des recherches en immunologie.

Cette technologie vient d’être mise à l’honneur. Le Prix Nobel de chimie 2020 a été remis aux deux chercheuses qui l’ont élaborée, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna. Quelle a été votre réaction en entendant l’annonce de cette distinction?

Si nous nous étions rencontrés en septembre dernier, je vous aurais dit que cette découverte méritait de recevoir le Prix Nobel. C’est une excellente nouvelle, d’autant qu’il y a peu de femmes qui ont reçu cette distinction. En outre, il est rare que l’Académie de Stockholm couronne des travaux aussi récents – ceux des deux chercheuses ont été publiés dans la revue Science en 2012. Tout est allé très vite avec cet outil. Il a notamment permis de concevoir de nouveaux traitements, dont certains font déjà l’objet d’essais cliniques.

Comment est né CRISPR-Cas9?

Il a été découvert grâce aux bactéries qui l’utilisent pour se défendre contre leurs prédateurs, comme des virus. Quand elles détectent du matériel génétique étranger, elles en absorbent quelques séquences à l’aide d’un segment de leur ADN, CRISPR. Celui-ci sert de guide à une enzyme, la Cas-9, qui fait officede couteau moléculaire et découpe le virus en morceaux. L’outil CRISPR-Cas9 est dérivé de ce mécanisme. Grâce à lui, on peut désormais élaborer facilement des guides qui ciblent de manière spécifique n’importe quel gène. C’est en cela qu’il est vraiment innovant.

Concrètement, que peut-on faire avec cette technologie?

On peut l’utiliser pour couper l’ADN en un endroit précis. Lorsque son ADN est sectionné, la cellule tente de le réparer. Pour comprendre l’une des méthodes qu’elle utilise, imaginez que vous vouliez rafistoler un tuyau coupé en deux. Vous imbriquez donc l’une des parties dans l’autre, mais dans l’opération, vous réduisez la longueur du tuyau et vous en perdez une partie. Il se passe le même phénomène avec l’ADN: au cours de la réparation, on perd quelques éléments d’un gène qui, alors, ne peut plus «s’exprimer» normalement. Ce qui revient à l’inactiver.

Une autre manière de faire est d’aider la cellule à restaurer la continuité de l’ADN en lui fournissant un support, une séquence génétique qui ressemble beaucoup aux deux brins de l’ADN qui ont été coupés et qu’elle pourra aisément glisser dans le «trou». Cela nous permet de corriger des mutations génétiques ponctuelles ou encore d’insérer un gène entier dans un ADN.

Cette méthode est donc très utile à la recherche?

C’est en effet un outil de recherche extrêmement puissant, parce qu’on peut s’en servir pour mieux comprendre la biologie des cellules humaines, interroger la fonction de nos gènes et ainsi découvrir de nouvelles propriétés des cellules humaines. C’est une vraie révolution. L’efficacité de cette méthode est par ailleurs impressionnante. Au fond, l’une des seules limites de cette technologie est celle de notre imagination.

Peut-il y avoir des applications cliniques?

On voit déjà apparaître de premières applications, par exemple dans le domaine de la drépanocytose (une forme d’anémie) ou de l’hémophilie (une anomalie de la coagulation sanguine), qui sont dues à des mutations génétiques. L’objectif est d’effacer ces mutations avec des thérapies très ciblées qui font actuellement l’objet d’essais cliniques.

Une autre application est la thérapie cellulaire.

De quoi s’agit-il?

C’est une méthode qui connaît actuellement un grand développement, en particulier en immunothérapie anticancéreuse. L’idée est de prélever quelques-uns de vos propres lymphocytes T (qui sont des composants du système immunitaire) puis, au laboratoire, de les modifier génétiquement, afin d’y ajouter un récepteur (une «clé de reconnaissance», ndlr) de la tumeur visée. Ensuite, on produit une grande quantité de ces lymphocytes modifiés que l’on réinjecte dans votre sang, avec l’espoir qu’ils pourront lutter beaucoup plus efficacement contre les cellules tumorales. Cette thérapie est déjà utilisée pour traiter des cancers du sang, avec un certain succès pour le moment.

Dans ce domaine, qu’apporte CRISPR-Cas9?

Cette technologie va nous permettre de modifier les lymphocytes avec une précision moléculaire. Grâce à elle, on pourra remplacer les récepteurs des cellules. On pourra aussi attribuer aux cellules des fonctions supra-physiologiques, c’est-à-dire pour lesquelles elles n’ont pas été programmées (par exemple, une résistance à la fatigue), en leur délivrant un code génétique, à la manière d’un codage informatique. On peut aussi imaginer développer des thérapies cellulaires universelles, entre autres choses.

Vos recherches portent sur la thérapie cellulaire, mais cette fois appliquée aux maladies auto-immunes.

En effet. L’auto-immunité est une attaque contre soi. En d’autres termes, quand vous avez une maladie de ce type, votre système immunitaire se trompe de cible et il s’en prend aux cellules de votre organisme. Pour lutter contre ce processus, il existe des lymphocytes spécifiques qui se nomment les cellules T régulatrices. En fait, nous avons deux types de lymphocytes T. Les cellules dites «effectrices», qui luttent contre les pathogènes et parfois contre leur hôte, et celles nommées «régulatrices», qui modèrent les précédentes. La nature est bien faite: notre organisme produit en même temps des cellules T effectrices et régulatrices, pour éviter que les premières dégénèrent et engendrent de l’auto-immunité.

Quel est votre projet dans ce domaine?

Il faut savoir que les cellules T effectrices qui ont échappé à la surveillance de notre corps possèdent en principe un récepteur spécifique lié à l’auto-immunité, que nous sommes maintenant capables d’identifier, de séquencer et de caractériser. Avec les « ciseaux moléculaires », on pourra utiliser les mêmes séquences génétiques et les insérer dans des cellules T régulatrices. Celles-ci auront donc les mêmes caractéristiques que les effectrices, elles s’attacheront aux mêmes cibles, mais auront une activité protectrice. En utilisant CRISPR-Cas9, on pourrait donc aider les cellules de l’organisme à lutter contre l’auto-immunité, sans utiliser de médicaments. Ce serait in fine une manière plus ciblée de traiter ces maladies orphelines.

Il reste que CRISPR-Cas9 peut être mis à profit à des fins beaucoup moins nobles. Un chercheur chinois a d’ailleurs été emprisonné pour avoir modifié génétiquement des embryons de parents séropositifs, afin de rendre le bébé résistant au virus HIV. Ne craignez-vous pas que cette technologie soit utilisée à mauvais escient?

Le côté révolutionnaire de cette technologie est la facilité avec laquelle on peut l’utiliser. Il y a donc un risque qu’on l’emploie trop vite, sans l’approbation des commissions d’éthique et scientifiques. C’est ce qui s’est manifestement passé avec ce chercheur chinois. Il faudra donc être vigilant et garder comme priorité la sécurité de nos patients. Aller aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire. 

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Paru dans Planète Santé magazine N° 39 – Décembre 2020

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