Apps santé: les alliées partielles de nos bonnes résolutions
Choisir une application: à quoi faire attention
Comment choisir parmi les milliers d’applications santé existantes? Pour la Dre Sanae Mazouri, directrice du Centre médical Terre-Bonne et ex-médecin adjointe du service de Cybersanté et télémédecine des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), «il faut privilégier les applications simples, avec des informations faciles à comprendre et à interpréter. Elles doivent aussi correspondre aux besoins personnels et aux objectifs de santé pour être utiles. Malheureusement, les applications ou objets de santé connectés ne font pas tous l’objet d’une évaluation par les autorités sanitaires. Et les distributeurs d’applications de santé ne contrôlent pas toujours l’exactitude ni la fiabilité de leur contenu.» La protection des données n’est d’ailleurs pas garantie: il faut donc se demander lesquelles sont collectées, enregistrées, partagées et à quelles fins. Et plus largement, qui a développé l’application et avec quelles intentions. Et l’experte d’ajouter: «En cas de doute sur le choix d’une application, il est utile de se faire accompagner par des professionnels de la santé.»
Adopter une nouvelle résolution, par exemple changer un comportement ou une habitude pour améliorer son hygiène de vie, demande beaucoup d’efforts. De plus en plus d’applications proposent de nous y aider. Sont-elles utiles? «Certaines permettent de comprendre nos habitudes et de les rendre conscientes en les mesurant et en affichant des statistiques sur un comportement, explique Chantal Martin Sölch, professeure de psychologie à l’Université de Fribourg. Elles peuvent mesurer le nombre de pas réalisés dans la journée, de calories consommées, d’heures de sommeil et sa qualité, etc.». Ces moyens de quantifier différents paramètres, parfois contenus dans un traceur d’activité (bracelet connecté) permettent par exemple de se rendre compte de l’activité physique réalisée dans la journée, en décelant les moments où l’on bouge peu. «Les applications facilitent aussi la planification de notre quotidien selon les objectifs fixés, continue la spécialiste. Par exemple, des applications pour le sommeil peuvent nous rappeler à quelle heure nous coucher pour assurer une régularité ou une certaine durée de sommeil. D’autres permettent de planifier les séances de sport et de suivre ses performances, ou les différents repas pour diminuer la consommation de sucre ou de viande.»
Pour les objectifs sportifs ou de perte de poids notamment, certaines applications ont créé des communautés de personnes qui peuvent interagir. Elles remplacent parfois les groupes de rencontre et permettent de partager les expériences et de renforcer la motivation.
Une partie de la solution
Si les applications apportent un soutien pour les objectifs et la planification, il ne faut toutefois pas les envisager comme la solution complète. Comme le précise la Pre Sölch: «Elles sont efficaces à partir du moment où on a la motivation de changer, ce qui peut déjà être un long processus en soi. Il peut être utile de se faire accompagner par une autre personne (coach, psychologue de la santé, amis), car on sait qu’il est plus facile de s’engager à un changement de comportement quand on est plusieurs.»
Une aide individuelle permet aussi à la personne de mieux percevoir les bénéfices du changement, par exemple: «Si je bouge, j’aurai moins mal au dos.» Pour Bastien Presset, sociologue du sport à l’Observatoire du sport populaire et co-auteur du livre Je bouge… Connecté·e* avec Davide Malatesta, la motivation personnelle n’est pas le seul élément en jeu: «Nous ne sommes pas égaux par rapport aux dispositions à faire du sport, manger sainement, etc. Certaines dispositions ou goûts sont très ancrés et dépendent de nombreux facteurs sociaux qui les influencent (classe et condition sociales, revenus, expériences passées, trajectoires de vie, etc.). Cela dépasse la notion du libre arbitre et de la seule responsabilité individuelle.»
Adopter une résolution: bien s’y prendre
Bien avant de télécharger une application de santé, plusieurs étapes sont nécessaires, comme l’explique la Pre Sölch: «Le premier élément est d’avoir une intention de changer quelque chose, donc une motivation claire. Pour la développer, il faut réfléchir à notre attitude par rapport au comportement en question: est-ce qu’on pense qu’il est bon ou mauvais, est-ce qu’on se sent capable de le changer?» Il faut aussi s’intéresser aux enjeux et barrières concernant la résolution à prendre. En connaissant le contexte dans lequel on se trouve, on peut comprendre ce qu’initie le comportement que l’on veut changer. Comme les habitudes sont ancrées, elles s’imposent automatiquement, sans passer par la réflexion. Il faut donc reprendre un processus conscient pour se demander, par exemple: pourquoi est-ce que je mange des snacks? Est-ce pour me détendre avant de dormir que je passe du temps sur mon smartphone? «Par la suite, il faut réfléchir à la façon de mettre en place la nouvelle résolution, en se fixant des objectifs réalistes et en planifiant concrètement les actions dans le quotidien, continue la psychologue. C’est là que les applications peuvent intervenir. Enfin, comme dans le cas de la cigarette, il faut prévoir la rechute et planifier l’attitude à adopter dans ce cas. »
De la psychologie aux applications santé
Les applications pour promouvoir un changement de comportement reposent notamment sur des concepts établis en psychologie. «Elles fonctionnent souvent sur des modèles de récompense, relève Bastien Presset, sociologue du sport à l’Observatoire du sport populaire et co-auteur du livre Je bouge… Connecté·e* avec Davide Malatesta. Ces applications jouent aussi sur la notion d’objectifs, en signalant dès qu’ils ont été atteints: gagner des points, des badges, ou recevoir des messages de félicitations quand on a couru une certaine distance peuvent renforcer la motivation et le sentiment de satisfaction.» C’est un processus appelé «gamification», qui vise à amener un côté ludique dans une activité. Ainsi, débloquer des niveaux ou écouter une personne nous raconter une histoire quand on est en train de courir peut favoriser le changement de comportement. Ces différents moyens peuvent aussi tendre vers une autre pratique courante et parfois critiquée appelée «nudging», ou encouragement en français. «Il s’agit d’essayer d’induire un changement de comportement sans que la personne en soit totalement consciente, précise le spécialiste. Cela peut notamment passer par des notifications envoyées aux moments les plus propices pour que la personne fasse une activité physique, qui auront été calculés par les données du smartphone. Ces méthodes posent problème car elles nous font penser que nous sommes seuls responsables et ont tendance à invisibiliser les facteurs sociaux (classe sociale, expériences passées, trajectoires de vie, etc.), qui jouent pourtant un rôle central dans l’adoption de comportements. »
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* Davide Malatesta et Bastien Presset, Je bouge… Connecté·e. Mesurer son activité physique grâce aux outils numériques, Ed. Planète Santé, 2021.
Paru dans Le Matin Dimanche le 22/01/2023