Un utérus artificiel pour grands prématurés testé sur des agneaux

Dernière mise à jour 18/10/17 | Article
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Pour la première fois, des chercheurs américains ont fait naître des agneaux qui se sont développés pendant quatre semaines hors de l’utérus de leur mère. L’objectif est d’améliorer la survie des grands prématurés humains.

Un fœtus d’agneau placé dans un sac en plastique transparent relié à divers circuits physiologiques: l’image a fait le tour du monde. Il est vrai que l’incubateur élaboré par des chercheurs de l’hôpital pour enfants de Philadelphie représente un beau succès. «C’est la première fois qu’un système externe parvient à maintenir les fonctions vitales et à assurer le développement d’un fœtus animal pendant aussi longtemps», constate Alan Flake, le responsable de l’équipe américaine. Huit agneaux extraits du ventre de leur mère par césarienne se sont développés ex utero pendant plus de vingt-cinq jours. En outre, l’autopsie des sept agneaux euthanasiés par la suite n’a pas mis en évidence d’anomalies et l’animal qui a été laissé en vie, aujourd’hui âgé d’un an, a toutes les apparences de la normalité. Pour autant, ce dispositif que les chercheurs américains qualifient «d’utérus artificiel» (lire encadré) est en fait «une couveuse très perfectionnée», souligne Henri Atlan, médecin, biologiste et philosophe français, auteur de L’Utérus artificiel (Ed. du Seuil, 2005).

Placenta artificiel

«Le but de ces recherches, explique Alan Flake, est de répondre au défi de l’extrême prématurité». En deçà de vingt-trois semaines de gestation, la plupart des organes se sont développés, mais pas les poumons. L’idée de l’équipe américaine est donc d’offrir une sorte de sas entre l’utérus maternel et le monde extérieur, pendant les quelques semaines nécessaires à la maturation de l’organe respiratoire.

A cette fin, les chercheurs ont élaboré un dispositif extra-utérin imitant la physiologie naturelle. «Le placenta est remplacé par un circuit extracorporel qui fait circuler le sang et lui permet de s’oxygéner», explique Henri Atlan. Cette expérience américaine est «une première, mais elle s’inscrit dans la continuité d’essais antérieurs qui ont échoué», constate-t-il. Dans les années 1990, des chercheurs japonais de Tokyo avaient maintenu en vie des fœtus de chèvres pendant trois semaines, mais aucun n’avait survécu. Dans leur dispositif, «le cordon ombilical était raccordé à deux machines qui éliminaient les déchets et apportaient les nutriments, précise le médecin français. Mais alors que les Japonais utilisaient une pompe cardiaque pour assurer la circulation sanguine, les Américains ont tiré parti des battements de cœur du fœtus».

Des questions éthiques

Fort de sa réussite, Alain Flake souhaite poursuivre ses recherches sur les animaux, puis passer aux essais chez l’humain d’ici «trois à cinq ans». Son objectif est d’adapter ce dispositif afin d’y maintenir des bébés jusqu’à leur 28e semaine de «gestation». Il espère que cela fera chuter le taux de mortalité des grands prématurés (qui est de 90% lorsqu’ils naissent avant vingt-trois semaines) et réduira les importantes séquelles des survivants. «On y arrivera peut-être un jour, commente Henri Atlan, mais il reste de nombreux obstacles à surmonter».

Les défis sont d’abord techniques. «Aucun modèle animal n’est directement transposable à l’homme. En outre, les agneaux n’ont ni la même taille, ni la même anatomie que les fœtus humains». Quant à savoir si cette méthode permettra d’avancer le seuil de la viabilité des prématurés extrêmes tout en diminuant les séquelles, il est, selon lui, beaucoup trop tôt pour le dire.

Entreprendre de tels essais avec des bébés pose aussi des questions éthiques. L’une d’elles, souvent avancée, porte sur la rupture du lien physique et psychologique entre la mère et l’enfant. «C’est un argument curieux, rétorque Henri Atlan, qui a longtemps siégé au Comité consultatif national d’éthique français. On ne l’avance jamais à propos des prématurés mis en couveuse, alors que la période cruciale pour les interactions entre la mère et l’enfant se situe aux derniers stades de la grossesse.» Un lien qui est déjà rompu par le recours aux mères porteuses, interdit en Suisse mais autorisé dans certains pays. Pour Henri Atlan, la principale question est d’une autre nature: «A-t-on le droit de se lancer dans des expérimentations humaines de ce type?», s’interroge-t-il. Si Alan Flake poursuit dans la voie qu’il s’est fixée, les commissions d’éthique devront trancher.

Un pas de plus?

L’incubateur des chercheurs américains renvoie à «l’utérus artificiel» évoqué par Aldous Huxley dans son célèbre roman d’anticipation Le Meilleur des mondes. Il n’y a pourtant rien de commun entre le dispositif élaboré à Philadelphie et la machine imaginée par l’écrivain britannique qui permet l’ectogenèse, c’est-à-dire la gestation entièrement réalisée en dehors du corps d’une mère. Certes, la procréation médicalement assistée permet déjà de féconder un ovule au laboratoire et les couveuses assurent les dernières étapes du développement des enfants prématurés. Mais entre ces deux phases, «l’implantation de l’œuf fécondé dans l’utérus d’une femme reste une nécessité absolue pour que l’embryon puis le fœtus se développent et qu’une naissance puisse s’ensuivre», souligne Henri Atlan, médecin, biologiste et philosophe français.

Avant de pouvoir totalement se passer du ventre féminin, il faudra donc surmonter de nombreux obstacles, le principal étant de pouvoir fabriquer un placenta. Ce dernier –qui se développe normalement après l’implantation de l’embryon dans l’utérus et qui est indispensable pour le fœtus– est en effet «un lieu d’échanges physiologiques très compliqué». C’est pourquoi Henri Atlan n’est «pas sûr que l’utérus artificiel soit disponible un jour». Si c’est le cas, il estime que ce sera dans «cinquante ou cent ans».

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Paru dans Planète Santé magazine N° 27 - Septembre 2017

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