L’imagination pour surmonter les séquelles d’un AVC
Négliger la moitié de son champ visuel, ne pas reconnaître une partie de son corps ou ne percevoir que la moitié d’un objet, alors qu’on ne souffre d’aucun trouble ophtalmologique, est courant après un AVC. Ce phénomène, dont souffre une personne sur trois ayant subi une attaque cérébrale, est appelé «négligence spatiale» et touche la région du cortex pariétal, la partie du cerveau qui régule notre interprétation de l’espace. Le cortex occipital, responsable de la vision, n’est quant à lui pas atteint, ce qui explique pourquoi on peut avoir une vue fonctionnellement parfaite tout en souffrant de ce handicap.
Les nombreuses victimes de ce trouble pourraient, à l’avenir, voir leur vie changer grâce à une équipe de six chercheurs suisse-romands, dont le projet vient d’être récompensé par le Prix scientifique 2016 remis par la Fondation Leenaards. Ces recherches sont dirigées par le neuropsychologue Arnaud Saj (Hôpitaux universitaires de Genève et Université de Genève) en collaboration avec Andrea Serino, collaborateur scientifique à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), et Dimitri Van De Ville, professeur de bio-ingénierie à l’EPFL et à l’Université de Genève.
Une innovation technique et humaine
La méthode développée par l’équipe du neuropsychologue Arnaud Saj est doublement novatrice. Sur le plan technique, elle s’appuie sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et l’électroencéphalographie (EEG), des outils très rarement utilisés dans la rééducation de la négligence spatiale. La méthode a l’avantage de rendre le patient autonome: entraîné à faire appel aux processus cérébraux lui permettant de surmonter son handicap, il peut appliquer chez lui et à son rythme les techniques apprises lors de la quinzaine de séances de physiothérapie cérébrale. «Notre but, c’est que le malade reconstitue la partie manquante de son espace transmise par son cerveau», explique Arnaud Saj.
Faire appel à l’imagination
Lorsqu’ils utilisent l’IRMf, les chercheurs en appellent à l’imagination, car voir quelque chose ou se l’imaginer produit les mêmes effets sur le cerveau, et active les parties lésées par l’AVC. Ainsi, Arnaud Saj demande à ses patients de se représenter, yeux ouverts, une scène se déroulant dans le champ visuel qui pose problème. Et alors que l’IRMf est d’habitude utilisée en deux temps –examen puis analyse des résultats– les personnes sont dans ce cas immédiatement informées de leurs performances. «Cela permet de montrer au patient ses progrès, ce qui l’encourage dans une démarche somme toute très difficile», souligne le spécialiste.
Exercer la concentration
Avec d’autres patients, les chercheurs font recours à l’électroencéphalographie (EEG), qui permet d’enregistrer les ondes cérébrales électriques du cerveau. Ces ondes, impliquées dans le processus attentionnel, sont en effet plus hautes chez les personnes souffrant de négligence spatiale. «Pour les diminuer, le patient effectue un exercice lors duquel il fait avancer un objet sur un écran d’ordinateur grâce à sa concentration, mesurée à l’aide d’une électrode placée au niveau du cortex pariétal», explique Arnaud Saj. A moyen terme, il s’agirait de faire en sorte que le patient puisse s’exercer seul sur une tablette. Afin de pouvoir, là aussi, progresser de façon totalement autonome.
Un large champ d’exploration
Les premiers patients ayant suivi ces exercices de physiothérapie cérébrale se sont déclarés satisfaits des résultats. Reste à savoir précisément si leur impact est durable et perceptible dans la vie quotidienne. Pour ce faire, l’équipe d’Arnaud Saj s’apprête à effectuer le suivi de patients sur plusieurs mois. L’exploration d’autres domaines de recherche liés aux accidents vasculaires cérébraux est aussi au programme. «Il faudrait pouvoir corriger les troubles de l’équilibre après les AVC, en rééduquant les structures cérébrales qui dysfonctionnent. Par ailleurs, il serait très intéressant de proposer ces techniques chez les enfants victimes d’un AVC ou prématurés, car leur rééducation reste très limitée», conclut le chercheur.
Témoignage: «J’explosais de colère pour un rien»
Victime d’un AVC il y a cinq ans, Michel Cusin, 64 ans, a passé quatre jours dans le coma. «J’ai fait de petits voyages, rencontré ma grand-mère paternelle que je ne connaissais pas, mangé dans une synagogue avec des juifs…», raconte-t-il en riant. Lorsqu’il se réveille, il réalise rapidement à quel point il est désorienté. «Lorsque je mangeais, je voyais une main étrangère piquer dans mon assiette!» Le Valaisan est désormais incapable de mémoriser un itinéraire – «Je me perdais tout le temps» – ou de lire un livre en suivant les lignes de façon cohérente. Pire, il est totalement privé de vision latérale gauche. «Je ne supportais pas que les gens me surprennent en arrivant sur ma gauche et j’explosais de colère pour un rien». Les séances d’IRMf effectuées sous la supervision du neuropsychologue et chercheur Arnaud Saj lui sont d’un précieux secours. «Cette méthode est géniale. Ma vision n’est pas parfaite, mais elle s’est améliorée. Je peux désormais deviner la présence de quelqu’un, même si je ne le vois pas. Cela m’a aidé à me détendre», conclut Michel Cusin en riant.
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Accident vasculaire cérébral (AVC)
L'AVC, ou "attaque cérébrale", est la conséquence d'un manque d'apport de sang dans le cerveau (obstruction ou rupture d'un vaisseau). Les symptômes ne sont pas toujours réversibles.