CRISPR: «éditer» le génome comme un texte

Dernière mise à jour 14/06/16 | Article
CRISPR: «éditer» le génome comme un texte
Faire de l'édition génétique, en «coupant-collant» le code génétique de nos cellules, est désormais possible avec la technique CRISPR, découverte il y a quelques années. Les chercheurs qui l’utilisent sont chaque jour plus nombreux. Ils l’appliquent pour modifier le génome de bactéries, de plantes, d’animaux. Mais aussi pour mieux comprendre les maladies humaines et mettre au point de nouveaux traitements, en particulier contre les maladies génétiques, le cancer et les maladies infectieuses.

Un très grand coup d’accélérateur génétique. Depuis 2015, la technique de génie génétique CRISPR fait les gros titres, en écho à l’explosion de son utilisation par les scientifiques et aux nombreux questionnements éthiques qu’elle suscite. Sur le principe, la technique de CRISPR n’apporte pourtant rien de nouveau: les corrections du code génétique qu’elle permet de faire étaient déjà possibles auparavant. Sauf que CRISPR est beaucoup plus rapide, efficace, facile et en même temps meilleur marché que ses prédécesseurs. Les chances de succès thérapeutique semblent donc s’accroître, mais les risques de dérive également. Quatre questions pour mieux comprendre cette révolution génétique et ses applications.

1. CRISPR, c'est quoi, en résumé?

CRISPR est une technique de modification génétique découverte il y a quelques années et largement employée depuis. CRISPR fonctionne comme une paire de ciseaux à ADN  (voir «Comment CRISPR édite le génome»). Dans le système CRISPR-Cas9, la protéine Cas9 joue le rôle des ciseaux: elle est capable de couper exactement au même endroit les deux brins de l'ADN d'un organisme, et cela exactement à l’endroit souhaité sur un chromosome. C'est un brin d'ARN associé à Cas9 –appelé ARN-guide– qui s'en charge. Quand Cas9 trouve la séquence d'ADN qui est complémentaire à cet ARN, il opère sa coupure. Cette coupure peut servir à inactiver un gène. Mais elle permet aussi d’introduire d’autres séquences d'ADN, qui sont incorporées lors de la «réparation» du chromosome après sa coupure. Avec CRISPR-Cas9 on a donc un moyen commode d’incorporer des séquences d'ADN étrangères à la cellule. On peut donc faire du «couper-coller» génétique, comme on le pratique avec un texte.

2. En quoi est-ce révolutionnaire?

Comme l’explique le Pr Didier Trono, à la tête du Laboratoire de virologie et de génétique de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), «c'est une méthode beaucoup plus simple, plus facile et plus efficace que d'autres. Nous réalisons en quelques semaines des manipulations qui prenaient parfois jusqu'à un an auparavant. De même, les éléments utilisés dans les techniques précédentes, par exemple une nucléase à doigts de zinc, demandaient soit de débourser plusieurs milliers de francs, soit de lui consacrer des mois de travail.» Avec CRISPR, l'achat d'un ARN guide –que l'on peut d’ailleurs synthétiser soi-même– ne coûte que quelques centaines de francs. Et qui dit technique économique, facile et efficace, dit adoption très large par les chercheurs. Le nombre de publications scientifiques faisant référence à CRISPR s'est ainsi multiplié à vitesse grand V. CRISPR accélère donc la recherche en génétique et la démocratise. Il ravive l’espoir de découvertes thérapeutiques… et fait craindre les actions d'apprentis-sorciers.

3. Qu'attend-on de cette technique en médecine?

CRISPR commence à transformer les espoirs en médecine. D’abord dans le domaine de la thérapie génique. On connaît en effet aujourd’hui près de 4000 maladies génétiques dont la cause est une modification d’un seul gène, détaille la Dresse Ariane Giacobino, généticienne aux Hôpitaux universitaires de Genève. Pourquoi donc ne pas imaginer que l'on puisse, demain, corriger à l’aide de CRISPR ces «fautes de frappe»? «Cela ravive l’espoir d’un type de recherche dans lequel on ne croyait plus qu’à moitié», commente la généticienne. La thérapie génique a été expérimentée dans les années 1990 avec des virus qui permettaient de modifier des défauts génétiques, mais sans que ces premiers traitements ne puissent se généraliser à grande échelle. Depuis, des succès avaient toutefois été enregistrés dans la lutte contre certains cancers ou pour soigner des maladies génétiques du système immunitaire. Deux défis attendent cependant les chercheurs dans la voie de l’application de CRISPR à la thérapie génique: obtenir que la technique soit efficace mais également sûre.

Viser les bonnes cellules

Modifier le génome de cellules individuelles –pour les «corriger»– et les injecter au patient ne suffit en effet pas: il faut que cette modification «se propage au reste de l’organe concerné, voire à l’organisme entier, continue la Dresse Giacobino. C’est pour cela que l’on vise souvent des cellules souches multipotentes: elles pourront donner naissance à plusieurs cellules filles dotées de la bonne "correction".»

Beaucoup de travail reste à accomplir pour obtenir une telle colonisation de l’organisme par les cellules traitées avec CRISPR. La technique, aujourd’hui, a d’ailleurs «une relative inefficacité quand on a besoin de modifier beaucoup de cellules à la fois pour une thérapie génique», précise le Pr Trono. Par conséquent, les premières applications de CRISPR en thérapie génique concerneront sans doute des maladies pour lesquelles on peut obtenir un résultat thérapeutique même si 100% des cellules ne sont pas modifiées. Cela pourrait concerner des maladies du sang comme l’hémophilie ou la thalassémie, postule la Dresse Giacobino.

Vérifier l’innocuité

L’autre question à régler pour pouvoir utiliser CRISPR en thérapie génique découle de sa très grande efficacité. On le rappelle, c’est la séquence portée par l’ARN-guide «attelé» à la protéine Cas9 qui détermine où celle-ci coupera l’ADN. Le problème est qu’il n’est pas exclu qu’on retrouve cette séquence ailleurs sur le génome. Et que, donc, se produisent des coupures non voulues. «S’il est facile de vérifier que la modification génétique souhaitée a eu lieu au bon endroit, il est difficile d’exclure une modification ailleurs parmi des millions de cellules», résume le Pr Trono. Les chercheurs devront donc également montrer l’innocuité de la technique. Le danger est grand: une telle modification non souhaitée pourrait donner des propriétés cancéreuses aux cellules touchées.

Encore de nombreuses possibilités

Cette approche très mécanique –la correction directe d’un gène problématique–  est toutefois loin d’être la seule application possible de CRISPR en médecine. La technique est aussi employée dans l’immunothérapie du cancer, explique le Pr Trono: on modifie des cellules pour qu’elles tuent les cellules cancéreuses. La Dresse Giacobino cite, elle, des travaux sur le SIDA: on cherche à «immuniser» les cellules des patients touchés par le VIH pour que le virus ne puisse plus y pénétrer.

4. Quelles craintes suscite cette technique?

On l’a dit, la commodité de CRISPR et son coût réduit font peur car ils ouvrent à tous et en grand les portes de la manipulation du génome  (voir «Du nouveau dans la production d’humains OGM»). Un monde eugéniste où l’on choisirait sur catalogue les qualités de son bébé n’est pas encore pour demain, mais l’avènement de CRISPR pose de manière nouvelle les questions de bioéthique liées aux manipulations du génome humain, mais aussi aux transformations génétiques des animaux et des plantes.

Changer la descendance

Le printemps 2015 a d’ailleurs vu une saisissante conjonction d’événements. En avril, on apprenait que des chercheurs chinois avaient manipulé le génome d’embryons non viables dans le cadre de leurs recherches sur la thalassémie, une maladie génétique du sang. Cette publication, refusée par les prestigieuses revues scientifiques Nature et Science, a suscité de très nombreuses critiques. Quelques mois avant, des scientifiques de premier plan –dont Jennifer Doudna, codécouvreuse de CRISPR-Cas9– s’étaient réunis à Napa en Californie pour discuter des implications éthiques de la technique. Parmi leurs recommandations, on trouvait la proposition d’un moratoire sur les manipulations de la lignée germinale (touchant les spermatozoïdes ou les ovules) ou de l’embryon humain au stade le plus précoce de son développement. Pourquoi une telle crainte? Parce que toute transformation du génome des cellules de la lignée germinale se transmet ensuite à la descendance, donc modifie l’espèce et non plus seulement l’individu.

Des alternatives existent

En intervenant sur l’ensemble des cellules d’embryons (y compris les cellules germinales), les scientifiques chinois ont donc brisé un tabou. «Moratoire ou pas, il est largement admis qu’on ne touche pas à la lignée germinale, insiste la Dresse Giacobino. On en reparle d’ailleurs à chaque fois qu’il y a une nouveauté en génétique. L’équipe chinoise a fait précisément ce qu’il ne fallait pas faire et effrayé le public. Alors qu’il est possible de profiter des multiples utilisations de cette technique, sans toutefois l’appliquer aux cellules germinales.» Pratiquer une correction de maladie génétique sur les cellules germinales permettrait pourtant de l’éliminer définitivement. «Oui, certains parents que je reçois voient ce type de maladie comme une "malédiction", reconnaît la généticienne. Mais si nous agissions sur la lignée germinale, ce serait à l’aveugle et avec un impact sur plusieurs générations. Nous avons déjà des moyens de contourner la transmission de ces maladies avec le diagnostic préimplantatoire».

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