N’hésitez pas à marcher: cet exercice stimule la créativité

Certaines études scientifiques poussent à relire les grands auteurs. C’est le cas de celles que viennent de publier deux chercheurs américains dans le Journal of Experimental Psychology: Learning,Memory, and Cognition1.
«Ayant donc formé le projet de décrire l’état habituel de mon âme dans la plus étrange position où se puisse jamais trouver un mortel, je n’ai vu nulle manière plus simple et plus sûre d’exécuter cette entreprise que de tenir un registre fidèle de mes promenades solitaires et des rêveries qui les remplissent quand je laisse ma tête entièrement libre, et mes idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne. Ces heures de solitude et de méditation sont les seules de la journée où je sois pleinement moi et à moi sans diversion, sans obstacle, et où je puisse véritablement dire être ce que la nature a voulu.»
On aura reconnu le genevois Jean-Jacques Rousseau. Il décrivait ainsi, dans sa deuxième Rêverie du promeneur solitaire (1776-1778), les bienfaits de la marche sur sa créativité. Ces bienfaits sont un constat partagé par nombre d'autres randonneurs à travers les siècles. Ils font aujourd'hui l'objet d'une publication signée par Marily Oppezzo (doctorante en psychologie de l'éducation) et le Pr Daniel Schwartz de l'Université de Stanford (Etats-Unis).
Pensée divergente
Ces chercheurs ont réalisé quatre expériences distinctes auxquelles ont participé 176 volontaires. Ces derniers ont passé un test de créativité dans diverses situations: position assise, en marchant sur un tapis roulant, en étant poussé dans un fauteuil roulant ou en marchant à l'extérieur.
Trois de ces quatre expériences ont été associées à des tests de créativité basés sur la «pensée divergente», un processus qui nous permet de générer des idées créatives en envisageant le plus de solutions possibles. On demandait ainsi aux participants d'imaginer les différentes utilisations possibles d'un objet donné. Une réponse était considérée comme «créative» lorsqu'elle n'était utilisée que par un seul participant.
La quatrième expérience avait pour but d'évaluer la production créative en mesurant la capacité des participants à élaborer des analogies complexes à partir d'un groupe nominal. Ce test exclut toute abstraction ou paraphrase. Exemple: les chercheurs proposent le groupe nominal «un coffre-fort dévalisé»: les réponses «une boîte vide» et «quelqu'un retire quelque chose d'un endroit sécurisé» n'ont pas été considérées comme intéressantes.
Les résultats de l'étude sont sans appel: une grande majorité de participants se sont montrés plus créatifs en marchant lors des tests de pensée divergente. Mieux: la totalité d'entre eux sont parvenus à imaginer au moins une analogie originale et de bonne qualité en marchant à l'extérieur, ce qui ne fut le cas que pour 50% de ceux qui se trouvaient en position assise à l'intérieur.
Excellents résultats
Le fait de marcher à l'intérieur (sur un tapis de course, face à un mur blanc) ou à l'air libre a généré deux fois plus de pensées créatives que la position assise chez les participants. «Je pensais que la marche en extérieur battrait toutes les autres situations à plate couture, mais la marche sur tapis roulant –dans une petite pièce sans âme– a tout de même produit d'excellents résultats, ce qui m'a surprise», raconte Marily Opprezzo.
«Nous ne prétendons pas qu'il serait bon de travailler exclusivement en marchant, explique-t-elle, mais ceux qui souhaitent acquérir une nouvelle perspective ou éveiller de nouvelles idées ont tout à y gagner.» De fait, si l'étude a mis en évidence les bienfaits de la marche sur la pensée divergente, elle a également souligné l'inutilité manifeste de celle-ci lorsqu'il s'agit de stimuler la pensée convergente – celle qui utilise les connaissances et les capacités de raisonnement du sujet pour trouver l'unique réponse à une question donnée.
Corps et pensée
Pour le Pr Schwartz, «il faut poursuivre les recherches pour mieux comprendre les mécanismes de ce phénomène. C'est là un paradigme des plus solides, qui va permettre aux chercheurs de commencer leurs manipulations pour découvrir de quelle manière le corps influence la pensée».
Marily Oppezzo conclut de manière pratique: «Nous savons déjà que l'activité physique est importante, et que le fait d'être trop souvent assis est mauvais pour la santé. Notre étude constitue une raison de plus pour introduire des moments d'activité physique dans notre emploi du temps quotidien. Nous serions à la fois plus en forme et –peut-être– plus innovants». Chacun, bien chaussé, peut en faire l’expérience.
1. Cet article de recherche est disponible ici (en anglais)

Comment se (re)mettre à la course à pied

(Re)sortir ses baskets pour contrer la dépression?
