Une prothèse pour pallier les troubles de l’équilibre
Marcher droit, fixer un point alors que la tête est en mouvement, mais aussi s’orienter dans l’espace… tout cela est rendu possible grâce au système vestibulaire, une structure complexe nichée dans l’oreille interne.
Lorsqu’un déficit vestibulaire s’installe, la qualité de vie des patients se dégrade très rapidement. Or il n’existe toujours aucune prise en charge spécifique pour les personnes souffrant d’une atteinte vestibulaire bilatérale. Dans ce contexte, depuis une dizaine d’années, des scientifiques tentent de mettre au point une prothèse qui pourrait rétablir la fonction vestibulaire. Les résultats des premiers tests, réalisés en partie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), viennent d’être publiés dans la revue Frontiers in Neurology.
Des symptômes peu spécifiques
Bien que décrits depuis longtemps et touchant un grand nombre de personnes, les troubles de l’équilibre restent en partie mystérieux. Leurs causes et les mécanismes physiologiques qui en sont responsables sont encore mal connus. Ceci contribue à en rendre le diagnostic difficile.
Dans les cas d’atteintes vestibulaires unilatérales, les symptômes sont souvent aigus, les personnes ressentant subitement des vertiges rotatoires intenses (sensation que «tout tourne»), ainsi que des nausées, voire des vomissements. Ce tableau clinique peut être suffisamment évocateur pour que les patients soient alors orientés rapidement vers un spécialiste de l’oreille interne. Dans la plupart des cas il leur sera proposé des séances de «réhabilitation vestibulaire».
Les atteintes vestibulaires bilatérales sont, quant à elles, plutôt liées à des processus de dégénérescence, et les symptômes apparaissent donc de manière progressive. «Les patients qui consultent leur médecin de famille décrivent des symptômes peu spécifiques, voire même parfois bizarres, tels que la sensation de "sortir" de leur corps, explique Jean-Philippe Guyot, ORL aux HUG, responsable du projet de neuro-prothèse vestibulaire. Il y a de quoi dérouter les praticiens, et ralentir le diagnostic.» La faute également à certaines lacunes dans la formation médicale, selon le professeur Guyot: «Il y a très peu d’enseignement au sujet de ces troubles, mais ce qui est mal connu n’est pas aisé à enseigner.»
Une étude menée parmi un petit groupe de patients a montré qu’avant que le diagnostic du déficit vestibulaire bilatéral soit posé il pouvait s’écouler jusqu’à neuf années, et que certaines personnes avaient dû consulter jusqu’à vingt médecins. «C’est très dur pour les patients, car non seulement leurs symptômes sont très handicapants mais ils ont en plus l’impression d’être incompris, et il n’est malheureusement pas rare qu’ils développent parallèlement des symptômes dépressifs.»
L’implant cochléaire comme modèle
Il existe aux Etats-Unis un registre qui recense les cas d’atteintes vestibulaires bilatérales. Celui-ci a permis d’estimer que, parmi les populations américaines et européennes, un demi-million de personnes seraient concernées. «Il est très difficile de développer des traitements pour des maladies dont on ne sait pas grand chose, explique Jean-Philippe Guyot. Nous ne sommes guère plus de trois ou quatre équipes de recherche dans le monde à nous intéresser à cette thématique.»
Dès 2002, des chercheurs de l’Université de Harvard prennent contact avec l’équipe du professeur Guyot: ils ont l’idée de s’inspirer de la technologie qui existe pour restaurer la fonction auditive dans certains cas de surdité afin de tenter de restaurer la fonction vestibulaire. «Les implants cochléaires existent depuis plus de 25 ans, et l’idée de nos collègues paraissait sensée, ils avaient besoin de notre expertise de cliniciens, et c’est ainsi que notre collaboration a démarré.»
Un défi chirurgical
Il aura fallu cinq ans pour développer un prototype qui puisse être testé chez un patient. Son fonctionnement repose sur le même principe que les implants cochléaires: grâce à un capteur de mouvements et des électrodes, il transmet les signaux externes au cerveau via le nerf vestibulaire. L’utilisation d’un protocole spécifique de stimulation électrique permet de réhabiliter la fonction perdue. «L’obstacle majeur n’a pas été technologique mais bel et bien chirurgical, raconte Jean-Philippe Guyot. Nous avons dû développer des approches chirurgicales spécifiques, car rien n’existait, et le positionnement des électrodes est fondamental.»
Depuis la première implantation en 2007, dix autres personnes ont reçu cet implant. Pour tester l’efficacité du dispositif, les médecins ont évalué le réflexe qui permet, lorsque le système vestibulaire fonctionne correctement, de fixer un point lors d’un mouvement. Les résultats montrent que l’implant permet de restituer ce réflexe. «Nous sommes très heureux d’avoir pu prouver qu’il existe un moyen d’améliorer la fonction d’équilibre dans les atteintes vestibulaires bilatérales, mais nous n’en sommes encore qu’au début et nous avons encore beaucoup de travail. La prochaine étape sera d’évaluer l’apport de la stimulation électrique non plus en laboratoire, mais à l’extérieur, dans les conditions réelles de vie des patients», souligne Jean-Philippe Guyot.
Des améliorations encore nécessaires
Pour l’instant, seules des personnes qui présentaient à la fois une atteinte vestibulaire bilatérale et une surdité, au moins d’un côté, ont été implantées. «Il existe encore un risque de déclencher une surdité en implantant les électrodes, explique Jean-Philippe Guyot. Ce sera un des points majeurs sur lesquels progresser dans les années à venir.»
Le médecin constate cependant que les patients concernés par une atteinte vestibulaire bilatérale sont tellement handicapés par leurs symptômes que beaucoup se déclarent prêts à tenter l’opération. «La procédure devra de toute façon être approuvée par un comité d’éthique, ce qui nécessite de démontrer et d’évaluer le bénéfice de l’opération par rapport aux risques», rappelle Jean-Philippe Guyot.
La réhabilitation vestibulaire
Cette approche est proposée aux personnes atteintes de troubles de l’équilibre, le plus souvent aigus. Ceux-ci peuvent être dus à des pathologies différentes, vertiges de Mesnières, atteinte virale du nerf vestibulaire (névrite ou neuronite), ou atteintes vasculaires, souvent liées au vieillissement. «Quand le déficit vestibulaire est unilatéral, une compensation physiologique se met en place assez rapidement grâce au système vestibulaire sain qui reste de l’autre côté», explique Gilles Besombes, physiothérapeute, spécialisé en réhabilitation vestibulaire.
Les exercices pratiqués par les patients pendant les séances de réhabilitation permettent d’accélérer ce processus de récupération naturelle. Cette approche n’est pas utilisable lors d’atteintes bilatérales car il n’existe plus de structure saine pour permettre cette compensation.
Chez certains patients, les plus jeunes généralement, un déficit unilatéral peut être compensé sans réhabilitation, alors que d’autres patients ne récupéreront jamais totalement leur fonction vestibulaire d’origine, et devront refaire régulièrement des séances de réhabilitation. «Il y a une grande variabilité inter-individuelle en ce qui concerne les troubles de l’équilibre, constate Gilles Besombes. Tant dans le niveau d’intensité des symptômes, que dans les possibilités de récupération. Chaque cas est donc unique et nécessite des évaluations très précises, réalisées par un spécialiste.»