Dans les yeux des enfants

Dernière mise à jour 23/03/21 | Article
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Parce qu’ils peuvent passer inaperçus et devenir irréversibles avec le temps, les problèmes de vue des plus jeunes sont au cœur d’un dépistage crucial. Parmi les acteurs essentiels: pédiatres, infirmiers et infirmières scolaires, ophtalmologues, bien sûr. Mais également les parents eux-mêmes, témoins clés d’un quotidien et d’une histoire familiale à prendre en compte.

Place au test

Bébé voit-il la même chose des deux yeux? Un test tout simple peut être réalisé à la maison.

  • Cacher un œil quelques secondes.
  • Puis l’autre.
  • Et observer.

Si l’enfant réagit de façon «asymétrique», par des pleurs ou une gêne manifeste toujours pour le même œil masqué, un contrôle par un pédiatre ou un ophtalmologue est recommandé.

Pour les enfants plus grands, sur le même principe: cacher un œil puis l’autre et comparer les performances de chacun des deux yeux face à des images de plus en plus petites, en regardant à distance, puis de près.

Attention : nul besoin de faire le test trop souvent au risque de braquer l’enfant et de générer, côté parents, une anxiété délétère. La bonne formule? Une expérience sous forme de jeu, simplement de temps en temps, quand le moment s’y prête.

Un œil qui s’égare de temps en temps, un front qui se plisse face à une image, une drôle de lueur dans la pupille sur un portrait, ou encore, après l’école, une phrase glissée l’air de rien: «Margot m’a prêté son cahier, je n’arrivais pas à lire les mots au tableau.» Ce peut être le hasard: un appareil photo mal orienté, un maître d’école à l’écriture imparfaite ce jour-là… mais dans le doute, mieux vaut s’y arrêter et consulter si besoin. La raison? «Les enfants s’accommodent de beaucoup de choses sans se plaindre, note le Dr Pierre-François Kaeser, responsable de l’unité de strabologie et ophtalmologie pédiatrique à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin. En cas de gêne, ils vont pencher la tête, se frotter les yeux, rien de plus.» Le problème est double. Le premier: si une pathologie sous-jacente est bel et bien présente, alors il faut agir. Et vite parfois. Un cas extrême: le rétinoblastome. Tumeur enfantine se développant en arrière de l’œil, elle peut se découvrir au travers d’une pupille apparaissant blanche sur une photo prise au flash, et nécessite une prise en charge sans délai. Second problème: les troubles précoces de la vue, qui peuvent avoir des conséquences irréversibles. En effet, se jouent dans les premières années de vie certains processus majeurs pour lesquels aucun retour en arrière n’est possible s’ils sont empêchés. Deux phénomènes inquiètent particulièrement. La tendance du cerveau à occulter l’un des deux yeux s’il s’avère défaillant, avec pour conséquence une perte de vision en provenance de ce «mauvais œil». On parle d’amblyopie. Et la construction de la vision 3D, possible uniquement si les deux yeux collaborent correctement.

Agir très tôt

Dans le détail, l’amblyopie d’abord. Touchant 5 à 10 % des enfants, elle survient souvent en cas de strabisme ou de problème réfractif (hypermétropie, myopie ou astigmatisme). Qu’ils soient légers ou sévères, ces troubles induisent une compétition entre les deux yeux vis-à-vis du cerveau. Si en temps normal tous deux s’ajustent sur un même objet pour renseigner le cortex visuel, en cas d’amblyopie, la situation est tout autre. Impossible pour le cerveau de jongler entre deux images divergentes, alors il choisit. Et l’heureux élu est immanquablement l’œil le plus fiable, celui apportant la meilleure vision de l’objet souhaité. Est-ce si grave pour l’autre? «Malheureusement oui, répond le Dr Kaeser. Car si l’on ne fait rien, cet œil va être définitivement occulté par le cerveau et perdra sa fonctionnalité.»

L’amblyopie n’est aujourd’hui plus une fatalité. Lunettes adaptées, patch occultant placé sur le «bon œil» pour obliger l’autre à fixer correctement, intervention chirurgicale si besoin en cas de strabisme: l’arsenal thérapeutique à disposition permet une action ciblée et progressive. «L’idéal est d’agir très tôt pour pouvoir faire du cerveau un allié. L’enjeu est de miser sur la plasticité neuronale, autrement dit sur la faculté du cerveau à agencer et réagencer les connexions nerveuses», explique la Dre Nathalie Voide, médecin hospitalière à l’unité de strabologie et ophtalmologie pédiatrique. Spectaculaire durant les premières années de vie, «cette plasticité neuronale est donc à la fois le problème et la chance à saisir pour traiter l’amblyopie, ajoute le Dr Kaeser. Le problème, car le cerveau va privilégier les connexions nerveuses stimulées par le bon œil, et en même temps la chance, car le phénomène est réversible, un certain temps.» L’âge fatidique? «On avance souvent la tranche d’âge de 7 à 10 ans, la vision atteignant alors sa maturité, indique l’expert. Dans les faits, des évolutions sont encore possibles dans les années qui suivent.»

Un délai bien moins généreux pour l’autre phénomène sous la loupe des experts: le développement de la vision 3D. S’élaborant principalement au cours de la première année de vie, ce processus nécessite une parfaite synergie entre les deux yeux. Fixant le même objet tout en étant situés à quelques centimètres l’un de l’autre, les yeux transmettent au cerveau deux images parfaitement complémentaires, permettant de déceler relief et profondeur de champ. Le problème: cette vision binoculaire est mise à mal en cas de strabisme ou de défaut de vision de l’un des deux yeux. Et la plasticité neuronale atteint ici une limite. «En cas de strabisme apparu dans les premiers mois de vie, l’aptitude à percevoir en trois dimensions est le plus souvent définitivement perdue», indique le Dr Kaeser. Et c’est un trouble qui, comme d’autres, peut passer inaperçu. C’est là qu’entre en jeu l’expertise des pédiatres, infirmiers et infirmières scolaires, et ophtalmologues. «Nous avons la chance, notamment dans le canton de Vaud, de bénéficier d’un réseau de dépistage particulièrement performant et complémentaire à ce que les parents peuvent observer au quotidien», se réjouit le spécialiste.

Faisceau d’indices

Un réseau s’ajoutant donc à tout ce que les parents peuvent observer. «L’idée n’est pas de faire une fixation, mais d’être attentifs, note le Dr Kaeser. Car c’est souvent un faisceau d’indices qui dénote un dysfonctionnement.» Se mêlent ainsi les signes directs (difficulté évidente pour voir), indirects (strabisme, mouvements oculaires frénétiques, paupière tombante sur l’un des yeux), les comportements de l’enfant (tête souvent penchée sur le côté, torticolis, gêne provoquée par la lumière ou l’obscurité), ses mots («Les objets bougent», «Je vois double»), certains symptômes physiques (maux de tête, nausées) ou encore des difficultés scolaires lors de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. À cela s’ajoutent les antécédents familiaux de problèmes de vue durant l’enfance, à bien indiquer aux soignants (strabisme, glaucome et cataracte apparus tôt dans la vie par exemple).

«Quel que soit le problème, plus le traitement est précoce, meilleurs et plus rapides sont les résultats», insiste la Dre Voide. Si les yeux des enfants sont davantage exposés à certaines pathologies, comme le strabisme ou l’hypermétropie, l’une d’elles connaît une évolution explosive : la myopie. «Les chiffres actuels indiquent une prévalence chez les jeunes atteignant 30 à 50 % en Europe et dépassant les 80 % en Asie, précise l’experte. Nous sommes face à une véritable épidémie.» Constat supplémentaire: la myopie apparaît également de plus en plus précocement. «Elle touchait surtout les adolescents. On constate aujourd’hui une apparition dès l’âge de 6-7 ans».

En cause? Les écrans surtout, c’est indéniable. «Pour être totalement juste, il faudrait généraliser à toutes les situations dont notre quotidien regorge et qui contraignent nos yeux à forcer la vision de près sur de longues périodes», indique le Dr Kaeser. Travail sur ordinateur, visionnage de film sur tablette et même lecture de vrais livres, en papier, demandent ce même effort d’accommodation, mais ce sont bien les écrans qui sont pointés du doigt. La raison? «Comparez le temps passé par un enfant avec un livre ou un écran dans les mains, le résultat est édifiant. S’il va assez rapidement se lasser du premier, il serait capable de ne jamais lâcher le second. Car les écrans hypnotisent.» Loin d’être anodine, la myopie apparaissant durant l’enfance doit être traitée dès que possible. «En évoluant, la pathologie fragilise l’œil. Dans les cas graves, le globe oculaire s’allonge excessivement dans le sens de la longueur, à l’image d’une pâte à gâteau que l’on étirerait, illustre la Dre Voide. À terme: un risque accru de développer glaucome ou décollement de la rétine. Or pour les enfants, des traitements efficaces existent pour désamorcer le processus.»

Et puis il y a l’hygiène de vie. Au-delà des saines limites à poser concernant l’usage des écrans, le meilleur antidote à la myopie se joue à l’extérieur. «Passer une à deux heures dehors par jour limite son évolution, indique le Dr Kaeser. À cela deux raisons principales: un repos spontané des yeux ainsi qu’une exposition au spectre lumineux naturel, dont les bénéfices sont désormais prouvés. Ceci ne doit bien sûr pas conduire à éviter le port de lunettes de soleil, indiqué si la luminosité est intense, au bord de l’eau ou à la montagne, par exemple.» Et le spécialiste de conclure: «Prendre soin des yeux des enfants allie donc une réelle vigilance et une hygiène de vie empreinte de bon sens au quotidien.»

Un développement étape par étape

Immature à la naissance, la vision des enfants se développe au fil des mois et des années. Voici quelques repères.

  • Naissance-2 mois: La vision est floue, partielle et principalement en noir et blanc. L’enfant voit surtout les objets contrastés, situés à proximité et dans un champ de vision limité.
    Performance visuelle: 5 % de la vision adulte.
         Parmi les signes à surveiller: une pupille blanche sur une photo prise au flash, tandis que l’autre est bien rouge; une paupière tombante et occultant la pupille.
  • 2-3 mois: Le nourrisson commence à pouvoir fixer et suivre un objet, ainsi que le visage de sa mère, qu’il distingue très tôt de tous les autres. Il perçoit les couleurs, les changements de luminosité et répond aux sourires.
         Parmi les signes à surveiller: strabisme permanent et/ou concernant toujours le même œil. 
  • 3-12 mois: Phase durant laquelle les deux yeux apprennent à collaborer pour permettre au cerveau de créer la vision binoculaire. La vision 3D se met en place.
         Parmi les signes à surveiller: persistance d’un strabisme passé l’âge de 3-4 mois; yeux instables bougeant sans cesse. 
  • 1 an: La vision est encore floue, mais la coordination entre les yeux et les mains de l’enfant s’améliore.
    Performance visuelle: 30-40 % de la vision adulte.
         Parmi les signes à surveiller: apparition d’un strabisme. 
  • 4 ans: La maturation se poursuit, la vision reste floue mais la rétine est désormais complètement développée.
    Performance visuelle: 60 % de la vision adulte.
         Parmi les signes à surveiller: apparition d’un strabisme, clignement fréquent des yeux, larmoiement, tendance à s’approcher pour voir distinctement. 
  • 7 ans: La vision parvient à maturité, mais certains processus de développement se poursuivent.
    Performance visuelle: 100 % de la vision adulte.
         Parmi les signes à surveiller: difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, maux de tête. 
  • 9-10 ans: L’œil atteint sa taille définitive. L’hypermétropie (trouble de la vision causé par un œil jusque-là trop court) peut se résorber d’elle-même, mais une myopie peut apparaître.
         Parmi les signes à surveiller: vision floue de loin.

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Pour aller plus loin:

Édité par l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin en huit langues, avec le soutien du Fonds Ingvar Kamprad.

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Paru dans Bien vu!, le magazine de la Fondation Asile des aveugles, Mars 2021.

Article repris du site  BienVu!

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