Mails (professionnels): pensez à vous désintoxiquer
Avez-vous déjà songé que petit à petit vous deveniez prisonnier de vos courriels? Victime d’un tas de sable en croissance perpétuelle qu’il faut sans cesse passer au tamis, êtes-vous parfois las(se) de cette nouvelle tâche quotidienne? Si oui, vous êtes sur le bon chemin. Si non, cela ne tardera plus guère. C’est que les immenses vertus de l’écran et de la Toile ne sont pas toujours sans dangers. Internet a ses revers. Et sans faire de catastrophisme, on peut d’ores et déjà, raisonnablement, commencer à prendre garde.
Une équipe de chercheurs de l’armée américaine et de l’Université de Californie (basée à Irvine) vient de nous aider à prendre garde. Et comme ce travail a été mené dans le double temple de la sécurité des Etats-Unis et du retour rapide sur investissement, il ne s’agit nullement, ici, de ruiner la productivité des employés de bureau. La méthode et les résultats de cette recherche ont été présenté le le 7 mai, à la Conférence «Computing Machinery» organisée à par l’Université du Texas à Austin. Et c’est peu dire qu’ils ont intéressé les participants. On les trouvera résumé ici sous la forme d’un communiqué de presse à en-tête de l’Université californienne.
Imaginez un instant que vous êtes l’un des participants à ce travail; ou que l’on va vous demander bientôt de participer à une recherche similaire. Les utilisateurs d'ordinateurs de bureau ont ici été équipés de moniteurs de fréquence cardiaque. Un logiciel mesurait d’autre part le nombre de passages de ces utilisateurs d’une fenêtre à une autre de leur ordi. On a alors pu établir que les utilisateurs qui consultent leurs boîtes de mails changent deux fois plus souvent de fenêtre que ceux qui ne sont pas accrocs au courrier. On peut le dire autrement: ils se mettent dans un état constant d'«alerte maximale», ce qui se traduit par des rythmes de pulsations cardiaques constamment élevés. Plus précisément, les utilisateurs qui consultent régulièrement leurs mails commutent (changent de fenêtre) 37 fois par heure. Vous avez bien lu: plus d’une fois toutes les deux minutes (qu’en est-il pour vous qui lisez ces lignes?). Pour ce qui est des mails non plus professionnels mais privés (encore que les frontières soient parfois bien floues), les commutations se font à un rythme deux fois moindre: 18 par heure.
Est-ce sans espoir? Nullement: privés de mails durant cinq jours (ouvrables ou non), ces utilisateurs accros retrouvent des fréquences cardiaques revenues dans le champ de la normalité. La pompe cardiovasculaire retrouve les caractéristiques qui étaient les siennes avant l’arrivée des ordis dans notre vie quotidienne. «Nous constatons que lorsque vous supprimez les e-mail de la vie de vos collaborateurs, ces derniers deviennent plus multitâches et éprouvent moins de stress», explique Gloria Mark, professeur d’informatique à l’Université de Californie et co-auteur de l'étude. Au terme de leur période de privation de mails les participants à cette étude déclarent se sentir plus en mesure de reprendre leur travail; et ce avec moins de stress et de la substantielle perte de temps qui est immanquablement liée aux interruptions constantes que réclame la consultation récurrente des e-mails.
Ces résultats apparaissent doublement utiles: pour la santé au travail mais également pour stimuler la productivité. A ce titre, ils devraient être rapidement pris en compte par tous ceux qui managent le travail de leurs semblables. On peut d’ores et déjà prendre des paris: à quand un contrôle sur le temps de connexion des employés? A quand des messages d’alerte ou de prévention (adressés… par mail)? A quand le concept revendiqué par le patronat et les syndicats de «vacances de courriels»? A quand, en somme, les micros-cures de désintoxications? Plutôt que de cliquer sans arrêt tête baissée, on redécouvrira les joies ineffables qu’il y a à se lever et à marcher vers le bureau d’un/d’une collègue voisin(e) qui interrompra également sa machine à messages. Ceci est nettement plus agréable et bon pour la santé; alors que les taux d’«alerte maximale» cardiaques correspondent à des taux significativement plus élevés de cortisol circulant, hormone liée au stress, le stress au travail étant lui-même lié associé à toute une série de troubles organiques.
Au fait pourquoi cette étude salvatrice a-t-elle été menée par les militaires américains (à qui ont doit déjà, dit-on, l’existence d’Internet)? C’est que cette armée réfléchit aujourd’hui à l'utilisation des smartphones et de leurs multiples applications (dont la messagerie électronique) par les soldats en première ligne sur les champs de bataille. Telle est du moins l’explication qui nous est aujourd’hui fournie par David Accetta, porte-parole pour la recherche de l’armée américaine. M. Acetta, qui doit en savoir beaucoup, n’en a pas dit plus.
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