La fatigue dans tous ses états

Dernière mise à jour 24/01/22 | Article
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Lorsque le moindre effort laisse flapi, que l’épuisement dure ou qu’il s’accompagne d’autres symptômes, la fatigue est considérée comme anormale. Elle ne doit alors pas être banalisée, car elle peut cacher une affection organique ou psychique.

Après avoir fourni un gros effort physique ou intellectuel ou vécu des journées stressantes, on se sent épuisé. C’est tout à fait normal. Dans ce cas, la fatigue est une réaction saine, une façon pour notre organisme de nous signaler que nous devons nous reposer. Il suffit alors souvent d’une période de repos ou d’une bonne nuit de sommeil pour retrouver la forme.

Mais il en va tout autrement quand un petit effort laisse flapi, que l’on n’arrête pas de bâiller, que l’on n’arrive plus à se concentrer sur sa tâche, que l’on a l’impression d’entendre moins bien, etc. La fatigue est alors considérée comme anormale ou «non physiologique». On la qualifie ainsi «lorsqu’il existe un décalage entre une performance requise et l’effort qui doit être fourni pour l’accomplir, précise le Pr Gérard Waeber, chef du Département de médecine du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Dans ce cas, on manque d’énergie et de force d’initiative, ce qui a une influence négative sur notre capacité de fonctionnement».

La fatigue – à ne pas confondre avec la somnolence, cette tendance à s’endormir à tout moment dans la journée – est une appréciation subjective. Elle n’est pas mesurable et ne peut être évaluée qu’à l’aide d’une échelle analogue à celle utilisée pour estimer l’intensité de la douleur. Elle présente aussi de multiples facettes et peut être physique, intellectuelle, mentale ou émotionnelle.

Si nous avons tous et toutes des moments de «bonne» fatigue après avoir fait une tâche harassante ou passé une nuit blanche, nous sommes nombreux à être frappés par une fatigue non physiologique. Les généralistes constatent d’ailleurs que 50 à 60% de leurs patients consultent parce qu’ils se sentent épuisés. Selon une étude réalisée par des médecins vaudois dans le cadre de la cohorte CoLaus (qui suit l’état de santé d’un échantillon de la population lausannoise âgée de 45 à 86 ans), un participant sur cinq souffre de fatigue anormale. «Les facteurs cliniques significativement associés à ce symptôme sont l’excès de poids, l’insomnie, une dépression ou éventuellement une anémie», indique Gérard Waeber. La fatigue anormale peut être le signe d’une maladie sous-jacente. C’est loin d’être toujours le cas et il est très rare qu’il s’agisse d’une pathologie grave. Malgré tout, ce symptôme ne doit pas être banalisé.

Quand consulter?

Lorsque pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines on se sent épuisé sans raison apparente, il faut s’en préoccuper, car cela n’est pas normal. Il est en effet fort possible que l’on souffre d’une fatigue dite « pathologique », qui peut cacher l’existence d’une maladie sous-jacente. Cela reste rare. Toutefois, cette fatigue ne doit pas être pour autant banalisée. Si elle est associée à d’autres symptômes, comme une perte de l’élan vital, des troubles du sommeil, un manque d’appétit ou au contraire une prise alimentaire excessive, des problèmes digestifs, des douleurs osseuses ou articulaires, des maux de tête, une abondante transpiration pendant la nuit, etc., mieux vaut consulter un médecin.

Symptôme prédominant

Elle est d’ailleurs le symptôme prédominant dans le bien nommé «syndrome de fatigue chronique» ou dans une autre affection, encore mal connue et dont l’existence est, elle aussi, controversée: la fibromyalgie. Ce syndrome, qui touche principalement les femmes, «provoque des douleurs autour des articulations et une fatigue pouvant aller jusqu’à l’épuisement. Certes, il n’engage pas le pronostic vital, mais il est très pénible à supporter et peut perturber les activités quotidiennes au point de devenir handicapant», explique le Dr Iohn Michael Norberg, médecin-chef au Centre médical de Lavey-les-Bains.

On est aussi épuisé, physiquement et mentalement, quand notre organisme manque de fer. Cet oligoélément, qui permet le transport de l’oxygène par le sang, nous est uniquement fourni par la nourriture. La carence en fer, qui peut être, ou non, accompagnée d’une anémie, peut donc provenir «d’apports alimentaires insuffisants ou mal équilibrés, mais aussi d’une perte de sang (lors d’hémorragies par exemple) ou d’une mauvaise absorption du fer par l’organisme (dans le cas notamment de troubles digestifs, d’une maladie cardiovasculaire chronique, de troubles de la fonction rénale ou de la prise de certains médicaments)», précise le Dr Bernard Favrat, médecin-cadre au Département vulnérabilité et médecine sociale d’Unisanté. Fort heureusement, la consommation d’aliments riches en fer et surtout la prescription de médicaments oraux ou l’apport direct de fer dans l’organisme par voie intraveineuse permettent généralement de pallier la carence et, de ce fait, de mettre un terme à la fatigue.

Dans un tout autre domaine, les traitements de substitution donnent aussi d’excellents résultats dans le cas de l’hypothyroïdie, qui se caractérise par une production insuffisante d’hormones thyroïdiennes engendrant une intense fatigue. Celle-ci disparaît «quand on traite sa cause en substituant les hormones manquantes par des médicaments. Le traitement est facile à administrer et il est bien toléré. Mais il doit être réservé aux personnes qui en ont réellement besoin et qui doivent le prendre le plus souvent à vie», constate le Pr Waeber.

Mauvaises nuits

Quand on se sent à plat, cela peut être aussi parce que l’on ne dort pas assez ou que nos nuits sont perturbées, en particulier pendant les phases de sommeil profond, les plus réparatrices. Les personnes insomniaques en savent quelque chose et elles sont nombreuses, puisqu’elles représentent un tiers de la population suisse, à en croire l’étude HypnoLaus (volet de CoLaus consacré au sommeil).

«L’insomnie correspond en fait à un état d’hyperactivité qui nous empêche de nous endormir, nous réveille pendant la nuit ou trop tôt le matin», précise le Pr Raphaël Heinzer, directeur du Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV.

D’autres troubles du sommeil, moins fréquents, laissent eux aussi flapi pendant la journée. C’est notamment le cas du syndrome des jambes sans repos, qui se traduit par des mouvements incontrôlés des jambes (ou parfois des bras) lorsque l’on est couché – ce qui oblige à se lever – ou pendant le sommeil. C’est aussi le cas des apnées du sommeil qui se manifestent, pendant la nuit, par de multiples arrêts brusques de la respiration. «Les personnes concernées suspendent involontairement leur respiration pendant au moins 10 secondes, parfois 30 ou plus longtemps encore. Cela peut se produire de cinq à quinze fois par heure, voire plus, provoquant à chaque fois un microréveil», explique Raphaël Heinzer.

L’inflammation épuise

La fatigue se manifeste aussi chez toutes celles et ceux qui souffrent de maladies s’accompagnant d’une inflammation. Ce processus biologique naturel se déclenche lorsque le système immunitaire lutte contre une bactérie, un virus ou un parasite. «Sa première réaction est de sécréter des "médiateurs de l’inflammation", en particulier des cytokines qui sont chargées d’assurer la connexion entre les divers composants de notre système de défense», explique le Dr Michel Obeid, médecin-adjoint au Service d’immunologie du CHUV. Les divers composants du système immunitaire communiquent alors et «libèrent à leur tour d’autres cytokines, lesquelles amplifient la réponse inflammatoire», ce qui engendre un état similaire à celui de la grippe : de la fièvre, parfois des douleurs et toujours de la fatigue.

C’est ce mécanisme qui est à l’œuvre lorsque nous souffrons d’une infection qui, on en a tous fait l’expérience, laisse à plat. Généralement, une fois l’agent pathogène éliminé, on retrouve son entrain. Mais ce n’est pas le cas lorsque l’infection devient chronique ou encore dans ce que l’on nomme le Covid long (lire encadré).

La production de cytokines et l’éreintement qui lui est associé se manifestent aussi dans d’autres pathologies. Notamment dans les maladies rhumatismales dites inflammatoires, qu’il s’agisse de la polyarthrite rhumatoïde (qui affecte les articulations), du lupus (qui crée souvent des rougeurs sur la peau mais peut aussi toucher des organes), du Syndrome de Sjögren (une maladie auto-immune qui rend la bouche et les yeux secs), de la spondylarthrite ankylosante (qui forme des « ponts » osseux entre les articulations) et de quelques autres.

La fatigue associée au cancer

Les cytokines interviennent aussi dans le cancer car, en tentant de lutter contre les cellules tumorales, le système immunitaire libère ces messagers de l’inflammation. «La quantité de cytokines circulant dans l’organisme dépend en partie du volume de la tumeur. Plus celle-ci est grande, plus "l’orage cytokinique" est violent et plus il faut du temps pour le calmer, souligne la Pre Solange Peters, médecin-cheffe du Service d’oncologie médicale du CHUV. Ce qui explique la durée de l’épuisement.»

Si le cancer lui-même provoque de la fatigue, ses traitements contribuent aussi à mettre à plat. Cela est vrai pour la chimiothérapie et la radiothérapie, «qui détruisent aussi des cellules saines que l’organisme doit ensuite reconstituer, ce qui requiert de l’énergie», indique l’oncologue. Cela l’est aussi pour l’immunothérapie (qui stimule le système immunitaire) et l’hormonothérapie (qui crée un déficit hormonal). La chirurgie engendre généralement moins de fatigue, au-delà de la cicatrisation et de la récupération immédiate.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de constater que «les enquêtes menées auprès de personnes souffrant de cette maladie révèlent que la plainte la plus fréquente qu’elles avancent est la fatigue, quelle que soit la nature de leur tumeur et du traitement suivi», constate Solange Peters. L’épuisement peut même devenir chronique. C’est ce que les médecins nomment «la fatigue associée au cancer», qui se traduit par une sorte de lourdeur, de manque d’entrain et d’initiative pouvant durer des mois, voire des années après la guérison de la tumeur.

L’épuisement oriente le diagnostic

Dans la liste – non exhaustive – des multiples pathologies qui laissent fourbu figurent aussi les maladies pulmonaires: quand on a du mal à respirer, le moindre effort essouffle et fatigue, physiquement mais parfois aussi psychiquement. On y trouve également plusieurs maladies neurologiques, en particulier la sclérose en plaques, une affection auto-immune qui s’accompagne le plus souvent d’un épuisement cognitif et émotionnel. Dans ce cas, «la fatigue est même l’un des éléments qui orientent le diagnostic, constate le Pr Renaud Du Pasquier, chef du Service de neurologie du CHUV. Il arrive en effet que des patients qui viennent consulter n’aient, apparemment, que peu de manifestations neurologiques. Mais le fait qu’ils se plaignent d’être continuellement éreintés peut mettre sur la piste de cette maladie.»

Aux pathologies organiques, il faut aussi ajouter les troubles psychiatriques, en particulier la dépression et le burn-out, qui baissent et ralentissent toutes nos fonctions vitales, nous font perdre le goût de vivre et engendrent une grande lassitude. Quant aux addictions, elles peuvent entraîner une fatigue liée à la fois à la substance consommée ou au comportement adopté et à l’énergie déployée pour satisfaire l’addiction. Sans oublier que certaines classes d’âge sont particulièrement sujettes à l’épuisement. C’est le cas de l’adolescence, période de profonds bouleversements sur les plans physique, psychique et émotionnel, ainsi que du troisième et du quatrième âge, au cours desquels on souffre souvent de maladies chroniques générant de l’épuisement et, en outre, on manque d’activité physique.

Car l’exercice contribue grandement à soulager la fatigue. Certes, il faut d’abord tenter d’identifier une éventuelle maladie sous-jacente et, lorsque c’est possible, la traiter. Mais même lorsque l’origine de l’épuisement n’est pas identifiée – ce qui arrive dans environ un tiers des cas – le seul remède réellement efficace contre la lassitude reste l’activité physique, associée à une alimentation saine et à une bonne hygiène du sommeil.

Une fréquente séquelle du Covid-19

«J’ai été contaminé par le Covid-19 et j’ai dû être hospitalisé, témoigne Martin, 81 ans. J’étais très malade. Dire que j’étais fatigué est bien au-dessous de la réalité. J’étais tellement épuisé que je ne pouvais plus parler aux médecins, je m’exprimais avec mes mains.» Corine, une femme d’une quarantaine d’années, ressentait, elle aussi, «de la fatigue et une immense faiblesse, accompagnées de fièvre, de toux, d’un léger essoufflement, de maux de tête, d’hypertension, d’insomnies, de difficultés de concentration, ainsi que d’une perte du goût et de l’odorat». Le Covid-19 peut se manifester par toute une série de symptômes dont le nombre, la nature et l’intensité varient selon les personnes. Toutefois, quasiment toutes sont éreintées, non seulement dans la phase aiguë de l’infection mais aussi bien après s’être débarrassées du virus. On parle alors de «Covid long». Huit mois après avoir été diagnostiquée, Corine ressentait toujours «une fatigue constante».

Elle est loin d’être la seule. Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et l’Université de Genève (UNIGE) ont suivi à long terme plus de 400 personnes qui avaient été contaminées par le coronavirus mais n’avaient pas été hospitalisées. Leur étude, publiée en juillet dernier dans la revue Annals of Internal Medicine, a révélé que, sept à neuf mois après le diagnostic, quatre personnes sur dix avaient toujours des symptômes. Le plus fréquent d’entre eux était la fatigue, toujours présente chez plus de 20% des cas analysés, suivie par la perte du goût et de l’odorat, l’essoufflement et les maux de tête. Les médecins genevois constatent toutefois que, hormis les maux de tête, l’intensité et la sévérité des symptômes diminuent au fil du temps.

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Paru dans le hors-série «Votre santé», La Côte/Le Nouvelliste, Novembre 2021.

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