Le réchauffement climatique nuit à notre santé
Lorsqu’on évoque les conséquences du réchauffement climatique, on pense aussitôt à la multiplication et à l’intensification des vagues de chaleur, cyclones, sécheresse, ou encore au recul des glaciers et à la fonte des glaces polaires qui provoquent une montée du niveau de la mer. On oublie souvent que les dérèglements climatiques ont un autre impact important: ils affectent notre santé.
Le lien entre environnement et santé est en effet mal perçu dans la population et le monde médical commence à prendre conscience de son existence. Les auteurs du rapport 2019 du Lancet Countdown, qui mènent chaque année une analyse consacrée à ce sujet, ont par exemple constaté que parmi les recherches faites sur Wikipedia, très peu associent ces deux termes. L’explication tient au fait que «des décennies de sciences médicales ont largement réduit la santé à quelques paramètres biochimiques», affirme Nicolas Senn, chef du Département de médecine de famille à Unisanté (Centre universitaire de médecine générale et santé publique à Lausanne). Cela n’a pas toujours été le cas. «Il y a plus de 2500 ans, Hippocrate recommandait aux médecins de tenir compte de la qualité du sol, de l’air, de l’alimentation, etc., avant de soigner un patient.» On se rend compte aujourd’hui que le médecin grec avait au moins raison sur un point: les soignants doivent se préoccuper de l’environnement.
Multiplication des canicules
Cobénéfices: un concept gagnant-gagnant
Certains de nos comportements ont un impact positif sur l’environnement tout en étant bénéfiques pour notre santé. On gagne donc sur les deux tableaux. Cette constatation est à l’origine d’un nouveau concept, les «cobénéfices santé-environnement», sur lequel s’appuient désormais certains médecins.
L’alimentation en fournit une illustration. D’un côté, souligne Nicolas Senn, chef du Département de médecine de famille à Unisanté, «les secteurs de l’agriculture et l’élevage sont responsables de 20 à 30% des émissions globales de gaz à effet de serre [GES]», le second en produisant beaucoup plus que le premier. De l’autre, «plus de deux milliards de personnes à travers le monde souffrent de surpoids et d’obésité liés à des régimes qui deviennent trop riches en calories, en sucres raffinés ainsi qu’en viande et graisses d’origine animale». Ce qui s’accompagne d’un risque de pathologies chroniques : maladies cardiovasculaires, cancer et diabète de type 2. Une conclusion s’impose: en consommant moins d’aliments d’origine animale et de produits transformés, on préserve à la fois l’environnement et notre santé.
Le même constat est valable dans le secteur de la mobilité. Les véhicules à moteurs thermiques «émettent non seulement des gaz à effet de serre mais aussi divers polluants responsables de maladies respiratoires et cardiovasculaires», rappelle Nicolas Senn. Selon l’Office fédéral du développement territorial, la pollution de l’air en Suisse provoquerait ainsi 2200 décès prématurés par an. L’utilisation de voitures renforce par ailleurs la sédentarité, dont on connaît les nombreux méfaits sur la santé – elle favorise notamment le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, les pathologies respiratoires, certains cancers et l’obésité –, sans compter les accidents de la route. Choisir, quand on le peut, la marche ou le vélo, c’est faire de l’activité physique tout en ayant un comportement écoresponsable. Dans ce domaine aussi, le cobénéfice est évident.
L’effet le plus direct et le plus visible du réchauffement climatique concerne les vagues de chaleur qui augmentent en fréquence et en intensité. Avec pour conséquence une surmortalité, notamment «chez les personnes souffrant d’une maladie respiratoire qui les rend particulièrement vulnérables», souligne Jean-Paul Janssens, médecin consultant au Service de pneumologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Pour elles, la pollution ne fait en plus qu’aggraver la situation (lire encadré). Outre la déshydratation, les canicules peuvent entraîner divers troubles cardiovasculaires. «Une vague de chaleur induit une augmentation du débit et de la fréquence cardiaques», écrivent des médecins des HUG dans la Revue Médicale Suisse[1]. Elle change aussi la répartition du volume sanguin et de la viscosité du sang, ce qui entraîne «un risque accru d’arythmies, d’hypotension, de syncopes, de thromboses et d’embolies».
Sans compter que, dès que la température dépasse 28 °C, le risque d’insuffisance rénale aiguë augmente chez les personnes âgées.
Les fortes chaleurs semblent même être l’une des causes (avec les pesticides) d’une nouvelle forme d’insuffisance rénale, la néphropathie d’étiologie inconnue, qui affecte de jeunes agriculteurs, en particulier en Amérique latine.
Intensification des allergies et de l’asthme
L’augmentation de la température modifie le cycle de croissance des végétaux et allonge la saison de pollinisation. «Actuellement, on a l’impression que celle-ci dure toute l’année, constate Camillo Ribi, médecin-chef au Service d’immunologie et d’allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Les pollens arrivent très tôt et certaines personnes sensibles les ressentent déjà en décembre.» En outre, avec la sécheresse qui augmente, les particules restent plus longtemps en suspension dans l’air. «On peut donc craindre que les individus souffrant du rhume des foins et qui vivent chaque année le même calvaire seront encore plus importunés à l’avenir.»
Une autre inquiétude vient du fait que le réchauffement favorise le développement de certaines plantes, notamment l’ambroisie. Cette espèce invasive est originaire des États-Unis où «elle est l’une des premières causes d’allergies respiratoires», précise l’allergologue. Ce n’est pas encore le cas en Suisse, bien qu’elle y soit déjà présente, «mais nous ne sommes pas à l’abri».
Les allergiques et les asthmatiques ont aussi tout à craindre de la plus grande fréquence des événements climatiques violents, notamment des orages. Peu après qu’ils éclatent, il se crée dans l’air des courants qui «dispersent les allergènes dans l’atmosphère, souligne Jean-Paul Janssens. En outre, l’orage fragmente les pollens, ce qui accroît leur pouvoir de pénétration dans les voies aériennes, augmentant donc la susceptibilité des gens fragiles à faire une crise d’asthme».
De nouvelles maladies infectieuses
L’empreinte carbone du secteur de la santé
Le secteur de la santé n’échappe pas à la règle générale: il émet du CO2 et autres gaz à effet de serre [GES] et contribue donc, lui aussi, au réchauffement climatique.On estime que les activités liées – directement ou indirectement – aux soins seraient, selon les pays, à l’origine de 6 à 10% des émissions de ces gaz dangereux pour l’avenir de la planète. Parmi elles, selon une étude menée aux États-Unis, «95% proviennent des hôpitaux et des services spécialisés», précise Nicolas Senn, chef du Département de médecine de famille à Unisanté. Ces grands établissements consomment en effet beaucoup d’énergie pour l’éclairage, le chauffage, la ventilation, etc. En outre, le personnel, les patients, les visiteurs et les fournisseurs doivent parfois faire de longs trajets pour s’y rendre. Sans compter que les gaz utilisés, notamment dans les blocs opératoires, sont eux-mêmes de puissants gaz à effet de serre. Le secteur des médicaments arrive quant à lui en deuxième position, avec 14% des émissions.
La médecine générale, elle, serait responsable de moins de 1% de rejets, d’après une étude réalisée par Nicolas Senn et son équipe, qui ont calculé le nombre de kilogrammes d’équivalent-CO2 émis par consultation. «Les deux-tiers de ces émissions ne sont pas liés aux activités médicales. Ils sont dus aux infrastructures [lumière, chauffage, eau chaude, appareils de radiologie etc.] et au transport des soignants et des patients.»Globalement, en Suisse, le secteur de la santé émet en moyenne une tonne d’équivalent-CO2 par habitant et par an, si l’on en croit le rapport 2019 du Lancet Countdown sur la santé et le changement climatique qui a comparé la situation dans différents pays. «C’est le chiffre auquel nous devrions arriver en 2050, tous secteurs d’activité confondus, si nous voulons respecter l’Accord de Paris », constate le médecin vaudois. Il y a donc des efforts à faire. Certains pays, comme le Royaume-Uni ou la Nouvelle-Zélande, ont pris une longueur d’avance et ont déjà réussi à réduire les émissions des GES dans le domaine des soins. En Suisse, le secteur médical commence à prendre conscience du problème et l’Académie des sciences médicales réfléchit aux mesures qu’elle pourrait préconiser pour diminuer ces émissions.Un climat plus chaud, plus humide ou plus sec, modifie la répartition géographique des vecteurs de maladies infectieuses, comme on appelle ces animaux véhiculant des agents pathogènes qu’ils peuvent transmettre aux êtres humains. À commencer par les moustiques. Habitués aux zones chaudes, certains d’entre eux migrent vers le nord et sont maintenant présents en Europe. C’est le cas du moustique tigre, Aedes albopictus, originaire de Madagascar, «qui est arrivé en Italie, puis dans le sud de la France, et que l’on a retrouvé sur le pourtour du lac Léman puis, en 2019, en Valais», souligne Gilbert Greub, chef du Service de microbiologie médicale du CHUV. C’est d’autant plus inquiétant que ces insectes sont susceptibles de transmettre le virus de la dengue, du chikungunya, qui a provoqué une épidémie en Italie en 2017, ainsi que le virus Zika qui, deux ans plus tard, a infecté des habitants du département du Var dans le sud de la France. «En Suisse, les cas d’infections dues à ces trois agents pathogènes ont tous été importés, aucun n’était autochtone, constate le microbiologiste du CHUV. Mais certains de ces virus sont déjà parmi nous et la menace se rapproche.»
Les tiques gagnent du terrain
L’élévation de la température permet aussi aux tiques de vivre à plus haute altitude et de conquérir ainsi de nouveaux espaces. Les acariens Ixodes ricinus en ont largement profité. «En neuf ans, entre 2009 et 2018, la proportion du territoire suisse sur lequel on les trouve est passée de 16% à 25%», souligne Gilbert Greub. Ces tiques sont maintenant présentes en nombre dans des régions où elles étaient auparavant relativement rares, en particulier dans la zone frontalière du Jura et dans la vallée du Rhône. L’inquiétude vient du fait que 20 à 30 % d’entre elles sont porteuses de différents agents pathogènes pour l’être humain. Il s’agit principalement des bactéries du genre Borrelia, responsables de borrélioses, appelées aussi maladie de Lyme, de bactéries apparentées aux Chlamydia et du virus de l’encéphalite à tiques.
Dans un autre domaine, les changements climatiques ont aussi contribué à favoriser la prolifération des cyanobactéries dans des lacs de Suisse Romande. Deux d’entre elles, Tychonema et Microcoleus, qui produisent des toxines agissant sur le système nerveux, ont entraîné la mort de six chiens qui avaient lapé l’eau du lac de Neuchâtel durant l’été 2020. «Pour l’être humain, qui va tout au plus “boire la tasse” en se baignant, le risque est toutefois modéré», rassure le microbiologiste du CHUV.
La résurgence d’anciennes épidémies
Il reste une dernière crainte, suscitée par le dégel du permafrost. Ce sol glacé renferme en effet des agents pathogènes qui peuvent y vivre de très longues années à l’état latent. Une augmentation de la température pourrait réveiller certains d’entre eux logés dans les cadavres de nos ancêtres ayant été victimes d’une maladie infectieuse. Gilbert Greub craint par exemple le retour de la variole. «Cette maladie a eu un effet dévastateur dans le passé. La vaccination nous a alors sauvés, mais depuis qu’elle est éradiquée, plus personne n’est immunisé contre elle.» D’autres pathogènes qui ont sévi dans le passé, mais que l’on ne connaît pas, pourraient eux aussi ressurgir, provoquant de nouvelles épidémies.
Autant de menaces qui devraient nous pousser et inciter la médecine «à relever le défi de l’urgence climatique», conclut Nicolas Senn.
Les retombées de la pollution
Les particules fines pénètrent dans le système respiratoire et exacerbent les pathologies qui lui sont liées. Elles augmentent aussi la fréquence et l’intensité des crises d’allergie.
Parmi les atteintes que l’être humain porte à la planète, il y a aussi la pollution atmosphérique, qui est «la principale cause environnementale de décès», souligne Jean-Paul Janssens, médecin consultant au Service de pneumologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Les activités humaines produisent des polluants «primaires» (dioxyde de soufre, dioxyde d’azote, particules fines), qui sont directement émis dans l’air par les carburants automobiles ou résultent de l’usure des pneus par exemple, et d’autres dites «secondaires», qui se forment à partir de la transformation chimique et de la combinaison de polluants primaires.
Les plus fines sont les plus nocives
Les particules fines sont particulièrement nocives pour le système respiratoire et leur impact croît quand leur taille décroît. Les plus grosses – elles dont le diamètre est supérieur à 10 microns (0,01 millimètre) – restent bloquées dans le nez, la gorge et la trachée, «qui constituent des filtres efficaces», précise le pneumologue des HUG. Elles irritent alors localement ces voies aériennes supérieures. En revanche, celles qui font moins de 10 microns pénètrent plus avant, allant dans les bronches et «jusqu’à la périphérie des poumons. Elles produisent localement un stress oxydatif qui modifie la muqueuse de la trachée et des bronches et favorise la libération de facteurs pro-inflammatoires», poursuit le spécialiste.
Quant aux particules ultrafines (d’un diamètre inférieur à 0,1 micron), elles s’insinuent dans les alvéoles pulmonaires. De là, elles peuvent passer dans le sang «où elles sont distribuées à l’ensemble de l’organisme». Elles peuvent alors modifier la membrane interne des artères et, par ce biais, «augmenter la morbidité et la mortalité cardiovasculaires et cérébrovasculaires», précise Jean-Paul Janssens. Ces deux dernières catégories de poussières pourraient même, selon certaines études, accroître le risque de cancer du poumon.
On l’imagine aisément, ces polluants – auxquels s’ajoute l’ozone, produit par le dioxyde d’azote sous l’effet combiné du rayonnement solaire et de la chaleur – sont particulièrement néfastes pour les personnes qui souffrent d’une maladie pulmonaire comme l’asthme ou la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive). Leurs crises se font alors plus fréquentes, plus longues et plus intenses.
Plus de crises d’allergie
Les particules issues des processus de combustion augmentent aussi la fréquence et l’intensité des crises d’allergies respiratoires. En effet, «elles stimulent le système immunitaire et engendrent un processus inflammatoire», explique Camillo Ribi, médecin-chef au Service d’immunologie et d’allergie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). C’est spécialement vrai pour des poussières issues des moteurs diesel qui, de plus, «se collent aux pollens. Comme une étincelle qui ferait repartir un feu, elles conduisent les défenses immunitaires à réagir de manière trop importante aux pollens, qui sont pourtant inoffensifs, ce qui potentialise la survenue d’allergies». La pollution «participe donc à l’émergence de l’allergie et, très probablement, elle l’entretient», conclut Camillo Ribi. Certes, ce n’est pas elle qui provoque les maladies respiratoires. Du moins chez les adultes, car chez les enfants «elle semble contribuer à la survenue de l’asthme», selon Jean-Paul Janssens. Toutefois, à tout âge, elle exacerbe ces pathologies.
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Paru dans Planète Santé magazine N° 41 – Juin 2021
[1] Carballo D, Carballo S, Martin PY. Changement climatique et enjeux cliniques. Rev Med Suisse 2021 ; 17:258-262.