Les doigts et les organes génitaux ont la même origine génétique
On les appelle les gènes Hox et ils sont «les architectes de notre corps et de notre histoire», selon les termes de Denis Duboule, généticien à l’Université de Genève (UNIGE) et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui est déjà à l’origine de très nombreuses découvertes à leur sujet. Au cours de l’évolution et du développement embryonnaire, ils orchestrent le «plan de développement» de tous les animaux à symétrie bilatérale. Ce sont eux qui ont fait pousser nos doigts à l’extrémité de nos mains et de nos pieds et non pas au milieu de notre front.
Plus étonnant encore, Denis Duboule et ses collègues ont constaté que les mêmes gènes Hox sont en fait responsables de la croissance des doigts… et des organes génitaux externes.
Comment expliquer que les mêmes plans architecturaux soient à l’origine d’édifices aussi différents? Cela provient, précise le généticien, «d’une séquence d’ADN qui est située en amont et qui agit comme une tour de contrôle». Celle-ci renferme en effet des «centaines d’interrupteurs» qui activent ou inhibent le fonctionnement des gènes Hox. Selon les boutons qui sont poussés, ces gènes déclenchent différentes réponses qui conduisent à la formation d’organes distincts. Denis Duboule résume ce mécanisme en une image: «tout ce passe comme si, dans une usine fabriquant des matières plastiques, on changeait un détail dans la chaîne de production et que les ateliers se mettaient à produire du verre».
Pour marcher et se reproduire
Si l’on se place du point de vue de l’évolution, cela s’explique aisément. Ces mécanismes ancestraux ont été mis en place il y a environ 400 millions d’années, lorsque les animaux marins sont sortis de l’eau. Pour s’adapter à leur nouveau milieu, il leur fallait des doigts«pour pouvoir marcher sur la terre ferme», explique Denis Duboule. En outre, pour pouvoir se reproduire, ils devaient avoir des organes génitaux comme le pénis, puisqu’ils ne pouvaient plus, comme le font généralement les poissons, recourir à la fertilisation «externe» (les cellules mâles et femelles se rencontrant dans l’eau).
Les systèmes faisant pousser les doigts et les organes génitaux ont donc pris naissance au cours de la même période. On ne sait pas lequel a précédé l’autre, mais le premier qui est apparu «a été dérouté», précise le généticien, pour donner naissance au second.
Changement de paradigme
Quoi qu’il en soit, cette découverte permet de mieux comprendre pourquoi certains syndromes génétiques conduisent à la fois à des malformations des doigts et du pénis.
Elle pourrait aussi avoir une implication beaucoup plus générale. Lorsqu’ils sont confrontés à une affection héréditaire, les chercheurs tentent d’identifier les gènes fauteurs de troubles et d’y repérer des mutations. «Or, il apparaît aujourd’hui que de nombreuses maladies d’origine génétique ne sont pas liées à des mutations dans les gènes eux-mêmes, constate Denis Duboule. Certaines études indiquent déjà que le problème pourrait venir des séquences d’ADN régulatrices qui se trouvent en amont». Si cette intuition se confirmait, cela conduirait à un véritable changement de paradigme qui pourrait bouleverser la recherche biomédicale.