Les troubles mentaux écourtent la durée de vie
Les spécialistes de la santé mentale le savent: leurs patients atteints de troubles psychiques ont une espérance de vie raccourcie. Une étude menée au Danemark1 sur plus de 7 millions d’habitants a permis de chiffrer ce phénomène et a démontré que les personnes souffrant d’une combinaison de plusieurs troubles mentaux voyaient leur vie écourtée de 5 à 17 ans. De tels résultats, inédits de par l’ampleur de l’étude, ne surprennent toutefois pas les spécialistes suisses. «Ces travaux confirment à quel point la combinaison de plusieurs troubles mentaux entraîne une surmortalité, explique Martin Preisig, professeur au Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Nous savions déjà que les personnes présentant certains troubles psychiques (psychoses, troubles de l’humeur, consommation de substances psychoactives, principalement) sont plus à risque de souffrir d’autres maladies, comme des problèmes cardiovasculaires, certains types de cancer, des pathologies des reins, entre autres, et que cela a un impact sur la longévité. Le suicide est aussi un facteur qui entre en ligne de compte, mais il n’est clairement pas la cause principale.»
Moins bonne hygiène de vie
Les chercheurs danois ont aussi démontré que la diminution de l’espérance de vie est plus marquée chez celles et ceux qui souffrent d’une addiction à une substance. «Il serait intéressant de savoir quelles substances sont responsables de ce phénomène, poursuit le Pr Preisig. Malheureusement, l’étude danoise ne fait aucune distinction entre les différents types de troubles mentaux et de drogues. L’héroïne et la cocaïne font beaucoup de dégâts à la santé, mais elles ne sont pas consommées par le plus grand nombre, contrairement à l’alcool, au tabac et au cannabis.»
Schizophrénie, bipolarité, dépression, troubles anxieux sont souvent responsables d’une moins bonne hygiène de vie. Les malades sont moins actifs, se nourrissent moins bien, ont tendance à consommer davantage de tabac ou d’alcool. «Environ une personne sur deux avec un diagnostic de trouble bipolaire consomme du cannabis ou d’autres substances et peut-être aussi de l’alcool en trop grande quantité, précise le Pr Jean-Michel Aubry, chef du Département de psychiatrie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Cela a un impact important sur les soins et certains traitements sont moins efficaces si le patient boit ou fume quotidiennement. Ce dernier est aussi plus à risque d’oublier de prendre ses médicaments ou de rater un rendez-vous avec ses soignants.»
Lors de la première consultation, l’équipe du Pr Aubry se renseigne toujours sur les habitudes de consommation des patients: «À défaut de parvenir à leur faire arrêter de consommer, nous les aidons à diminuer les doses. C’est d’autant plus important que nous savons qu’une consommation d’alcool ou de substances est un facteur aggravant le risque de suicide.»
Système immunitaire perturbé
Et ce n’est pas tout: «Le système immunitaire des patients qui ont des troubles psychiques chroniques est souvent perturbé dans son fonctionnement, ce qui représente un des facteurs pouvant expliquer qu’ils sont plus à risque de développer certains cancers, explique Jean-Michel Aubry. Les antipsychotiques, qu’ils prennent parfois pendant des années, peuvent également entraîner des problèmes métaboliques qui ne sont pas sans conséquence sur la mortalité.»
Daniel Schechter, médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV, souligne de son côté le rôle joué par le stress chronique: «En travaillant à réduire ce dernier, on parvient à atténuer notablement la sévérité d’un trouble psychotique. Les programmes de prévention, les groupes de parole et la psychothérapie peuvent clairement prolonger la vie des patients. Une importante méta-analyse menée en 2015 aux États-Unis a montré que 14,3% des décès sont directement ou indirectement liés aux maladies mentales.»
À Lausanne, une recherche prospective2 menée depuis 2003 par les départements de psychiatrie et de médecine du CHUV auprès de 6734 personnes âgées de 35 à 75 ans (tirées au hasard dans la population générale) a mis en évidence que celles qui présentaient, au moment de la première évaluation, un épisode dépressif, avaient trois fois plus de risques de mourir dans les cinq ans suivant ce diagnostic que celles n’ayant pas présenté ce type de problème. «Le suicide n’est de loin pas la cause principale de ce résultat, précise le Pr Preisig. Ce sont surtout les maladies cardiovasculaires qui sont responsables de ces décès prématurés.»
Aider les enfants en souffrance est essentiel
Les troubles psychiques peuvent avoir des causes génétiques, mais pas uniquement. Une exposition à la violence, un divorce, un décès, de la maltraitance ou la survenue de catastrophes naturelles sont autant de facteurs qui ont une incidence sur la santé mentale des enfants. «Le stress précoce augmente le risque de développer une maladie mentale plus tard, explique le Dr Daniel Schechter, médecin adjoint au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV. La plasticité cérébrale est très importante en début de vie et diminue après l’âge de 25 ans. Plus tôt on intervient pour aider un enfant en souffrance psychologique, mieux c’est.»
Parents, thérapeutes, enseignants peuvent aider l’enfant à s’adapter aux situations difficiles qu’il rencontre afin d’éviter que des maladies mentales graves ne s’installent durablement. «Il faut être attentif et reconnaître les difficultés auxquelles sont confrontés les enfants à certains moments sensibles de leur vie», insiste Daniel Schechter. Penser qu’un trouble alimentaire, une soudaine agressivité ou des crises d’angoisse vont finir par passer toutes seules est souvent illusoire. «Isolement, rêverie, changements de comportement, problèmes scolaires, mauvais sommeil sont autant de drapeaux rouges qui doivent alerter les parents, continue le spécialiste. Une dépression passée sous silence peut aboutir à un passage à l’acte suicidaire!»
Le résultat d’une étude3 menée en Angleterre sur plus de 17’000 personnes nées en 1958 a montré que celles qui ont été confrontées à des problèmes affectifs pendant leur enfance et adolescence ont un risque plus élevé de mort prématurée. Cette étude a également mis en avant le rôle protecteur que peut avoir une intervention médicale précoce.
«Une recherche4 menée au printemps par mes collègues du CHUV, Dominik Moser, chercheur à l’Université de Berne, et moi-même a permis de démontrer l’impact de la crise sanitaire actuelle sur les enfants, conclut Daniel Schechter. Cette pandémie crée un grand stress qui dure. Nous estimons que les jeunes les plus vulnérables sont d’autant plus à risque de développer une maladie mentale pendant ces mois anxiogènes et qu’ils pourraient perdre jusqu’à dix années de vie».
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Paru dans Le Matin Dimanche le 19/09/2021.
1 Plana-Ripoll O, Musliner KL, Dalsgaard S, et al. Nature and prevalence of combinations of mental disorders and their association with excess mortality in a population‐based cohort study. World Psychiatry 2020:19(3):339-349. Doi: 10.1002/wps.20802.
2 Lasserre AM, Marti-Soler H, Strippoli MPF, et al. Clinical and course characteristics of depression and all-cause mortality: a prospective population-based study. J Affect Disord 2016;189:17-24. Doi: 10.1016/j.jad.2015.09.010.
3 Ploubidis GB, Batty GD, Patalay P, et al. Association of early-life mental health with biomarkers in midlife and premature mortality: evidence from the 1958 British Birth Cohort. JAMA Psychiatry 2020;e202893. Doi: 10.1001/jamapsychiatry.2020.2893.
4 Moser DA, Glaus J, Frangou S, Schechter DS. Years of life lost due to the psychosocial consequences of COVID-19 mitigation strategies based on Swiss data. Eur Psychiatry 2020;63(1):e58. Doi: 10.1192/j.eurpsy.2020.56.