Le mépris de soi aggrave les troubles bipolaires
La bipolarité, cette affection grave et chronique qui se manifeste par la succession d’épisodes dépressifs et maniaques, n’est pas rare dans le monde. Entre 0,3 et 1,5% des gens en sont affectés et jusqu’à 8% de la population présente des troubles associés à cette maladie mentale. Grâce entre autres à des films et à divers témoignages, la bipolarité est désormais bien connue du grand public, et se soigne toujours mieux grâce au développement de programmes de psycho-éducation et de psychothérapie spécifiques complétant la prise de médicaments.
Une pathologie perçue comme une menace
Malgré ces progrès, les personnes touchées sont toujours fortement dénigrées. La bipolarité, comme toute maladie mentale, est en effet perçue comme une menace par la société. Diverses peurs y sont associées comme celle d’être agressé par une personne atteinte ou de perdre soi-même l’esprit. Par ailleurs, on s’imagine le malade comme une personne faible, inadaptée et incapable de s’intégrer: sa pathologie peut ainsi être ressentie par les membres d’une société comme un péril pour les idées et le système de valeurs qu’ils partagent les uns avec les autres.
Ainsi, une personne souffrant d’un trouble bipolaire qui dévoile sa pathologie prend le risque d’être stigmatisée, voire discriminée, même si elle ne présente aucun symptôme psychique. Ce dénigrement a des effets très graves; certains malades estiment qu’il est pire encore que la bipolarité elle-même, selon la Société pour les troubles de l’humeur du Canada. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime quant à elle que la stigmatisation est «l’obstacle le plus important à surmonter dans la communauté » pour soigner efficacement les maladies mentales. La stigmatisation s’articule autour de trois axes: les stéréotypes, les préjudices et la discrimination.
La double peine
Chez les personnes souffrant d’un trouble bipolaire, ce rejet sociétal s’ajoute à un autre phénomène, moins connu mais tout aussi destructeur: l’autodénigrement, qui serait aussi important que pour les personnes souffrant de schizophrénie, selon certains auteurs. Les malades imaginent qu’ils ne sont pas dignes d’être bien traités. Ils acceptent le rejet dont ils sont victimes, allant jusqu’à l’anticiper et éprouvant honte et culpabilité.
Ce rejet de soi-même, que les malades peinent souvent à identifier, a des conséquences destructrices. Sur le plan médical, les rechutes et les hospitalisations sont plus fréquentes, les symptômes sont plus intenses, les traitements sont mis en place plus tardivement et ils sont moins bien suivis. Sur le plan social, la construction de l’identité est fragile et le sentiment d’impuissance, diffus. Le malade peut alors s’autocensurer, s’empêcher de mener des projets personnels ou professionnels importants, comme s’engager durablement avec un partenaire, fonder une famille ou accepter une promotion, en se repliant sur lui-même. Certains médecins et chercheurs avancent d’ailleurs que l’anxiété sociale ressentie par les personnes souffrant de bipolarité pourrait être une conséquence de l’autostigmatisation. Et les symptômes s’aggravent encore lorsque l’entourage les tient pour responsables de leur maladie.
Deux approches pour faire face
L’autodénigrement est donc une souffrance qui s’ajoute à celles, déjà importantes, de la maladie et du regard de la société. Diverses approches peuvent aider à surmonter cette difficulté. Tout d’abord, celles basées sur la pleine conscience qui permettent d’observer les expériences vécues sans jugement et avec compassion pour soi-même. Dans un contexte psychothérapeutique, les personnes touchées peuvent aussi recourir à des méthodes dites de restructuration cognitive, c’est-à-dire des méthodes visant à réajuster leurs croyances, leurs attitudes, leurs perceptions et leurs buts.
Surmonter l’autodénigrement passe aussi par le fait de croire en soi et de vivre pleinement son existence: la bipolarité n’est pas une identité. Connaître ses réactions face à la maladie, s’assumer en faisant le nécessaire pour garder une humeur stable, se défendre en faisant valoir ses droits et pouvoir recevoir et donner du soutien, sont autant de moyens efficaces pour lutter contre ce trouble.
________
Références
Adapté de «Troubles bipolaires et autostigmatisation», Dresse Hélène Richard-Lepouriel, Unité des troubles de l’humeur Service des spécialités psychiatriques Département de santé mentale et de psychiatrie, HUG, 1211 Genève 14, In Revue Médicale Suisse, 2015:11:1969-701. En collaboration avec l’auteur.