Suicide: prévenir le risque grâce à une bonne santé physique
Être en bonne forme physique à l’âge de 18 ans est associé à une diminution du risque ultérieur de tentative de suicide. Telle est la peu banale conclusion à laquelle est parvenu un groupe de chercheurs suédois.1 L’étude a été menée par des médecins et des spécialistes de différentes disciplines travaillant notamment dans le département de psychiatrie et de neurochimie de l’Institut des neurosciences de l'Université de Göteborg. Ces chercheurs ont travaillé à partir des données recueillies auprès de près d’1,150 million de personnes.
Une telle approche d’un phénomène aussi complexe que le suicide s’inscrit dans un contexte national bien particulier. Selon un rapport sur la santé des enfants et adolescents, émis par l'Office national suédois de la santé, on observerait dans ce pays les effets de la crise économique sur la santé mentale des plus jeunes avec notamment une augmentation du nombre de suicides. Il convient toutefois ici d’être extrêmement prudent: les statistiques officielles comparées sur le suicide placent la Suède dans la moyenne des pays de l’Union européenne.
Ces chiffres sont en opposition avec une idée largement répandue selon laquelle il existerait une sorte de tendance naturelle des Suédois au suicide plus prononcée que la moyenne. Certains observateurs estiment qu’il s’agit là d’une rumeur récurrente historiquement datée. Elle trouverait son origine dans un discours tenu en 1960 par le président des États-Unis, Dwight D. Eisenhower (1880-1969). Selon lui, la politique sociale «excessive» menée en Suède aurait conduit la population de ce pays «au péché, au nudisme, à l’alcoolisme et enfin au suicide». Il faut sans doute aussi tenir compte de l’impression fréquemment ressentie par les immigrants laissant penser que les Suédois ne connaîtraient pas de véritable «joie de vivre»; une impression qui peut s’expliquer par leur peu de goût à manifester ostensiblement leurs sentiments –à l’opposé des comportements méridionaux. Il faut enfin tenir compte de l’impact climatique et des variations saisonnières qui pourraient jouer sur les humeurs de la population –comme sur celles des populations des pays nordiques en général.
Les chercheurs suédois ont mené une étude de cohorte longitudinale à partir d’une population de conscrits masculins. Ont été retenus ceux ne présentant pas de signes ou d’antécédents de maladie mentale. Soit au total 1 136 527 personnes, et ce au cours d’une période allant de 1968 à 2005. Différentes précautions méthodologiques ont été prises pour éliminer les possibles biais statistiques. Au final les auteurs expliquent avoir recensé une tentative de suicide pour 12 563 hommes. La mort par suicide sans tentative préalable a d’autre part été observée dans 4814 cas. Après ajustement avec les résultats des examens physiques (et notamment ceux des tests cardiovasculaires) menés lors de la conscription d’individus supplémentaires, il apparaît que de mauvais résultats sont associés à un accroissement important (multiplié par un facteur allant jusqu’à cinq) du risque ultérieur de tentative de suicide ou de décès par suicide.
Les auteurs se refusent toutefois à établir un lien direct de cause à effet. Ils soulignent notamment que la relation entre la santé cardiovasculaire et le comportement suicidaire est inconnue. Pour autant ils estiment désormais nécessaire, au vu de leurs résultats, de savoir si des interventions visant à améliorer la condition physique des adolescents sont de nature à réduire le risque ultérieur de comportement suicidaire. D’autres études ont démontré à l’inverse, et de manière plus globale, les effets bénéfiques que l’exercice physique pouvait avoir sur la santé mentale – et cette observation peut prendre une dimension particulière au moment de l’adolescence, période critique pour le développement personnel et la construction de sa propre image.
Il faut enfin tenir compte de l’impact (qui reste encore largement à démontrer) de la crise économique sur les équilibres psychologiques et la santé mentale des populations des pays les plus touchés. En toute hypothèse, autant d’éléments qui justifieraient, comme le soulignent les auteurs suédois, d’accorder une bien plus grande attention au développement des programmes d’exercice et d’éducation physique chez les adolescents; comme d’ailleurs chez les personnes plus âgées où on démontre chaque jour un peu plus l’étendue des bienfaits.
1. On trouvera ici un résumé (en anglais) de ce travail qui vient d’être publié dans la revue Psychological Medicine.