Covid-19: comment ce virus a transformé notre sexualité
Une sexothérapie, pourquoi pas?
Cette période extraordinaire peut être l’occasion de mettre de l’ordre dans ses problématiques de vie, et pourquoi pas de s’atteler aux éventuelles difficultés sexuelles.
Dans quel cas? Lors de dysfonction érectile, de baisse ou d’absence de désir ou de plaisir, d’anorgasmie, de douleurs durant les rapports sexuels, etc. ou si des conflits autour de la sexualité persistent ou s’exacerbent.
Comment ça se passe? En couple ou en individuel, en présentiel ou à distance, les formules sont diverses. Il est néanmoins très important d’être en confiance avec le thérapeute.
Vers qui se tourner? Un spécialiste en santé sexuelle via son médecin traitant ou un centre reconnu (Hôpitaux universitaires, Profa par exemple). Vérifier que le sexologue choisi ait une certification sérieuse*.
Combien de temps? Quelques séances de conseils peuvent parfois suffire pour débloquer une situation. En cas de trouble sexuel, une évaluation sérieuse avec un bilan médical et un diagnostic sont nécessaires avant de s’engager dans une sexothérapie.
*Certification Société européenne en médecine sexuelle, www.essm.org, par exemple.
L’intimité, un lieu de transmission?
«Déconseillés», à «adapter» ou «sans risque», les rapports sexuels font l’objet de recommandations floues qui diffèrent selon les pays. Ce que l’on sait, c’est que le Covid-19 se transmet essentiellement par contact interhumain via des gouttelettes respiratoires. Se toucher, s’embrasser ou même discuter de façon rapprochée sont depuis un an des habitudes dont nous avons dû nous défaire. Certains pays, comme le Canada, invitent explicitement les partenaires ne vivant pas ensemble à «réduire les contacts physiques incluant les rapports sexuels» et, le cas échéant, à envisager «le port d'un masque qui recouvre le nez et la bouche». D’autres recommandent le choix de certaines positions moins risquées ou encore le recours au sexe «indirect» (masturbation simultanée, sex-toys télécommandés…), qui n’implique pas de se toucher.
Quant à savoir si le virus peut se transmettre via le sperme ou les sécrétions vaginales, difficile encore de l’affirmer. Aucune étude validée scientifiquement ne permet d’établir qu’il existe une transmission par voie sexuelle comme c’est le cas par exemple pour le VIH ou le virus Zika. Quelles règles respecter? Retrouvez ci-contre nos conseils.
Le désir, à quoi ça tient?
Outre le fait que l’on puisse par ce biais transmettre le virus, avons-nous encore envie de faire l’amour? D’après une étude de l’Institut français d'opinion publique (Ifop), il semblerait que non. Durant le premier confinement, plus d’un couple sur quatre a déclaré n’avoir eu aucun rapport sexuel, contre un sur dix en temps normal. La libido, de pair avec notre vie sociale, culturelle ou professionnelle, s’est éteinte. Du moins chez certains. «Il n’y a pas de consensus ni sur la fréquence ni sur la satisfaction des rapports. Chez certains couples, le confinement augmente l’érotisation, pour d’autres, ça la diminue», tempère Alain Giami, directeur de recherche émérite à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), auteur de l’article «Covid-19 et sexualités: l’émergence d’un nouveau paradigme des sexualités».
La faute à quoi? À un cumul de facteurs, d’après les spécialistes. L’anxiété liée à la situation sanitaire, les difficultés financières engendrées par la crise, la dépression en augmentation, le repli sur soi… 40% des Suisses déclarent par exemple se sentir plus stressés qu’avant le début de la pandémie. «Alors que la sexualité peut être un lieu de ressourcement et de développement personnel, les difficultés actuelles (manque de sorties, espaces de vie restreints, accès aux moyens de contraception limité, pouvoir d’achat réduit) ont fait reculer les territoires de l’intime, explique Jacqueline Fellay-Jordan, co-présidente de Santé Sexuelle Suisse*. Le dernier lieu où il nous reste de l’autonomie, c’est le sexe virtuel, sur une session privée avec un code d’accès.»
Célibataire au temps du Covid, abstinence forcée?
Il n’a peut-être jamais été aussi compliqué qu’en 2020 de rencontrer un partenaire amoureux et/ou sexuel. Car à la fermeture des lieux publics (bars, restaurants, discothèques) et la restriction des rassemblements amicaux ou professionnels, s’est ajoutée la crainte de la contamination. D’après l’étude Ifop citée précédemment, 35% des célibataires déclarent que la peur du virus les a contraints à «ne pas faire l’amour avec quelqu’un qui (leur) plaisait».
Cette situation a notamment impacté les jeunes générations, un âge où l’exploration de la sexualité et le rapport au corps sont centraux. Parmi ces personnes, «celles personnes dont les préférences sexuelles ne correspondent pas à celles de la majorité de la société ont particulièrement souffert durant la pandémie, explique Ferdinando Miranda, directeur exécutif du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités (CMCSS) de l’Université de Genève (UNIGE). Elles se sont parfois retrouvées enfermées dans un cercle familial et amical peu compréhensif et peu bienveillant.»
Mais si 87% des célibataires n’ont pas eu de rapports sexuels lors du premier confinement, pour autant, les rencontres ne se sont pas arrêtées durant la pandémie. «De nombreuses enquêtes font état de la créativité qui se met en place dans les rapports à distance, explique Alain Giami, aussi membre du Conseil d’orientation du CMCSS. Il y a probablement une réécriture des scénarios érotiques.»
Car c’est peut-être le point positif de la situation: nous pouvons bénéficier, à notre époque, d’une myriade de réseaux sociaux, de sites de rencontres et autres forums.
Vers un changement des habitudes?
Comme face à toute crise qui bouleverse sa manière de fonctionner, l’être humain s’est réinventé. Les rapprochements physiques sont interdits? Il se tourne vers les sites de rencontre. Le contact physique avec autrui n’est pas recommandé? Il privilégie la masturbation. En panne de désir? Les films X ou la littérature érotique viennent le rallumer. Reste à savoir si ces changements seront pérennes. «Ce fut le cas lors de la crise du VIH dans les années 80, suite à laquelle nos pratiques ont profondément évolué, notamment avec la notion de "Safe sex", explique Ferdinando Miranda. On peut parler de résilience sexuelle: face à une situation qui marque une pause, voire une frustration sexuelle, on saisit l’occasion d’imaginer une relation différente à son propre corps ou à celui de l’autre.»
Pour Jacqueline Fellay-Jordan, il s’agit simplement d’un recours momentané à de nouvelles ressources: «Nous sommes des êtres de contact et de toucher. Le porno n’a jamais remplacé les relations réelles, il agit plus comme une sorte de décharge efficiente qui devient un calmant passager.»
L’infidélité sur pause, vraiment?
Selon une enquête, 36% des infidèles auraient bravé les restrictions pour aller rendre visite à leur partenaire illégitime. Est-ce que la promiscuité liée au confinement a, de son côté, mené à l’infidélité ceux qui ne l’étaient pas avant cela, en révélant les dysfonctionnements du couple? «Le fait de se retrouver dans le même bocal a parfois révélé tout ce qu’on ne sait plus de l’autre, une certaine intimité qu’on a perdu dans la frénésie de l’hyperactivité sociétale, estime Jacqueline Fellay-Jordan. Cela a pu mettre certains couples face à ses vides à remplir.»
Mais dans une période d’incertitude, où les contacts sociaux sont restreints au minimum, le besoin de rencontres physiques ou intellectuelles vient brouiller la définition de la fidélité communément acquise. «Le fait d’avoir un rapport sexuel avec quelqu’un d’autre suffit-il à nous rendre infidèle? Que penser alors d’un rapport virtuel? D’une communication qui se tisse, d’un dialogue? questionne Alain Giami. On voit naître de nouvelles formes de fidélité ou de "cyber infidélité".»
Quand le «Covid long» s’en mêle
C’est aussi d’un point de vue purement «technique» que le virus est venu perturber notre sexualité. Une étude menée sur des patients à Rome a observé la persistance de symptômes 60 jours après le début de la maladie. Plus d’une personne sur deux décrit ainsi trois symptômes et plus après ce laps de temps. Les complications les plus fréquemment ressenties: une importante fatigue (chez 53% des patients), de la dyspnée (difficultés à respirer) et des douleurs articulaires. Un contexte qui peut impacter la qualité ou la fréquence des rapports, voire même générer une certaine appréhension.
Par ailleurs, bien que des études manquent encore sur le sujet, certains s’interrogent quant aux répercussions du SARS-CoV-2 sur les fonctions érectiles de l’homme. Le virus semble parfois entraîner des dommages vasculaires susceptibles d’affecter la circulation sanguine, et donc potentiellement l’érection. Affaire à suivre.
Raviver le désir dans son couple
La pandémie est-elle synonyme de rapprochement ou de sensation d’étouffement? «Tous les couples ne perdent pas le désir. Ceux qui fonctionnent bien se sont souvent vite adaptés. D’autres, en revanche, vivent cette proximité nouvelle comme une menace», commente le Pr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de l’Unité de médecine sexuelle et sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Le stress ambiant peut mettre à mal le désir dans le couple, mais il est possible de rallumer la flamme. En tant qu’être humain, «notre besoin d’attachement et d’affection est vital», rappelle le spécialiste, pour qui la sexualité joue un rôle important de régulateur émotionnel.
Pour commencer, il est capital de définir et de respecter les espaces de chacun, surtout si l’on est amené à être davantage à la maison. On profitera bien sûr d’être ensemble, mais il s’agit aussi de permettre à l’autre d’avoir ses moments de liberté, sans critiquer ses choix. Ensuite, dans l’esprit d’une communication bienveillante, on essaiera d’exprimer ses sentiments et ses besoins plutôt que d’être dans le jugement, même si cela demande un effort. «Les reproches sont un problème majeur dans le couple», assure le spécialiste. Sur le plan physique, il faut éviter à tout prix le laisser-aller. Ce n’est pas parce qu’on télétravaille que l’on doit négliger son apparence ou passer ses journées dans des habits, certes confortables, mais informes et peu sexys. Continuer à prendre soin de soi et à se parfumer même si l’on ne sort pas, à chercher à être séduisant pour soi et pour son partenaire. Veiller également à sa santé, en pratiquant une activité physique régulière (pourquoi pas en couple), éviter les excès d’alcool et de tabac, des toxiques sur le plan sexuel. On ne peut plus aller ni au restaurant, ni au cinéma, ni aux spectacles? Peu importe, on peut très bien se donner rendez-vous à la maison, mettre une tenue de sortie et sonner à la porte de son propre domicile pour retrouver son partenaire pour un déjeuner ou un dîner, par exemple. Mais ceci n’est qu’un scénario parmi d’autres. Retrouver les photos de sa première rencontre, rire ensemble, imaginer des jeux érotiques, danser en tenue de soirée au milieu du salon… Surtout, ne pas considérer l’être aimé comme acquis, mais penser à lui, lui faire plaisir, le surprendre, être dans la générosité et la réciprocité, qui alimentent le désir. Dans le vif du sujet, explorer ensemble sa sexualité, échanger à propos de ses fantasmes, parcourir à deux un guide sexuel, s’enthousiasmer pour de la littérature érotique ou se passionner pour une histoire de la sexualité… Enfin, ne pas oublier les sentiments. «L’amour est intemporel et n’a pas d’âge, conclut le sexologue. S’écrire des mots d’amour n’est pas réservé aux adolescents.»
Faire l’amour au temps du Covid-19
«Le Covid-19 est une infection socialement et sexuellement transmissible», déclare le Pr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de l’Unité de médecine sexuelle et sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Quant aux mesures de distanciation sociale, elles sont a priori incompatibles avec la sexualité. Pourtant, il n’est pas question de renoncer à faire l’amour à cause de la pandémie. Comment faire pour s’aimer sans (trop de) danger? Les risques de contamination sont en principe moindres lorsqu’on est dans un couple stable et heureux, ils sont plus importants si l’on a plusieurs partenaires sexuels. Quelle que soit la configuration de la relation, il est important d’être honnête avec soi-même et avec son partenaire quant au degré de protection que l’on respecte par rapport au Covid-19, aux risques auxquels on a été exposés et aux symptômes éventuels que l’on présente. Autrement dit, communiquer et surtout dire la vérité. En cas de doute, si on ne se sent pas bien ou si on est soi-même positif au Covid-19 évidemment, le sexologue préconise une quarantaine sexuelle. Hors du couple, il conseille de se tourner plutôt vers quelqu’un que l’on connaît et avec qui on peut échanger sur les mesures de protection. Pour les utilisateurs des applications et sites de rencontre, apprendre à découvrir l’autre et avoir une discussion franche sur le sujet avant d’aller plus loin. Faire un test PCR et demander à son partenaire occasionnel d’en faire un à son tour est également recommandé.
En ce qui concerne les pratiques sexuelles à proprement parler, il faut faire attention au baiser, pratique la plus à risque. L’anulingus est à proscrire en raison de la forte présence du virus dans le tube digestif. Tenir bien présentes les recommandations générales en régime Covid-19: laver et se désinfecter les mains avant et après un rapport sexuel, prendre une douche avant et après en se savonnant. Enfin, ne pas oublier que les infections sexuellement transmissibles n’ont pas disparu et donc que les recommandations restent les mêmes qu’en temps normal: ce qui veut dire mettre un préservatif lorsqu’on n’est pas dans une relation stable. La masturbation est quant à elle sans danger.
______
Paru dans L’Illustré le 17/02/2021.