Quelle réalité dans les expériences de mort imminente?
Depuis qu’elles ont été décrites par Raymond Moody, dans La vie après la mort (1975), les expériences de mort imminente (EMI) font partie de notre imaginaire. De nombreux films en déroulent les fameuses étapes: décorporation, passage par un tunnel pour arriver dans un endroit lumineux et plein d’amour, passage en revue de la vie, réunion avec des proches décédés, accueil par des entités célestes correspondant aux croyances de la personne vivant cette expérience, etc. Les écrits sur le sujet connaissent en général un succès immense. C’est le cas de celui de Jeffrey Long, radio-oncologue de Louisiane, dont le livre La vie après la mort, les preuves, vient d’être traduit en français, aux Editions Jean-Claude Lattès. Pour l’auteur, qui revendique avoir réalisé la plus grande enquête sur le sujet, pas de doute, les EMI sont la preuve de l’existence de Dieu. Et les scientifiques, qu’ont-ils à nous dire sur le sujet? Le point avec le psychologue Sebastian Dieguez, du Laboratoire des sciences cognitives et neurologiques à l’Université de Fribourg.
Peut-on considérer que le travail de Jeffrey Long est scientifiquement fondé?
Sebastian Dieguez: Il a recueilli ce qu’il appelle des «données», en collectant des témoignages sur internet. Ce qui pose un problème d’échantillonnage: les personnes qui témoignent sont évidemment celles que le sujet intéresse et dont l’expérience colle avec les critères attendus. Toutes les autres sont autocensurées. Si bien que l’une des «preuves» de la véracité de cette expérience, soit la concordance des témoignages, tombe. De plus les gens peuvent mentir, il n’y a aucun contrôle.
L’an passé, une étude de l’EPFL sur la décorporation a été primée par la Ligue suisse sur le cerveau. Une piste pour expliquer les EMI?
Il est impossible, pour des raisons déontologiques évidentes, de reproduire les expériences de mort imminente. Le travail réalisé à l’EPFL a permis de reproduire les sorties de corps chez des sujets sains. Et de montrer que cette sensation était liée à un dysfonctionnement d’une partie du cerveau (jonction temporo-pariétale) où différents signaux corporels qui nous aident à localiser notre corps dans l’espace sont traités: sens du toucher, de l’équilibre, vue. La moitié des sujets chez lesquels cette zone a été stimulée ont signalé des changements de perspective, du haut vers le bas, alors qu’ils étaient couchés sur le dos, avec le sentiment d’être transporté dans un corps virtuel.
Les expériences rapportées dans cette étude sont un peu floues. Dans l’EMI, les gens rapportent des faits très précis. Comme dans l’étude parue dans le journal médical Lancet, où un patient avec un électroencéphalogramme plat aurait vu un infirmier ranger son dentier. Ce qui aurait permis de retrouver l’objet par la suite… En fait, il s’agissait d’une anecdote étrangère à l’étude, basée sur le seul témoignage d’un infirmier. On n’a jamais retrouvé le patient pour la confirmer, mais on s’est aperçu qu’elle datait de 1979, alors que l’étude est parue en 2001! De telles «preuves» abondent dans la littérature.
Et les aveugles de naissance qui voient soudainement lors d’une EMI?
L’étude, réalisée par Kenneth Ring, se base sur trente témoignages, elle a été survendue. Elle est mal documentée et un des témoignages au moins est inventé de toutes pièces. Par ailleurs, il n’est pas impossible pour un aveugle de naissance d’avoir une expérience visuelle en rêve.
Comment progresser dans la connaissance des EMI, dont environ 5% de la population fait état?
Il serait important que les scientifiques se réapproprient ce terrain. Malheureusement, il a été largement discrédité par une approche mystique. Il faudrait inverser notre approche. Au lieu de se dire que ces EMI sont la preuve de l’existence de l’au-delà –comme l’a déjà fait Platon dans la République–, il faudrait plutôt considérer que ces expériences sont en fait à l’origine des mythes de l’au-delà.
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Extrait de : Check-Up. Les réponses à vos questions santé |
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