«Nourriture et émotions sont indissociables»
P.S.: La nourriture est notre carburant, mais quelles autres fonctions remplit-elle?
A.C.: La nourriture est indissociable de l’homme. Elle est au cœur de toutes les mythologies du monde. Elle fait partie intégrante de la ritualité, comme au temps des pharaons où elle accompagnait le «grand départ». Elle est constamment en lien avec des valeurs sociales, culturelles et familiales. Autrement dit, elle n’est pas qu’une somme de calories.
En quoi notre façon de nous nourrir parle de ce que nous ressentons?
La nourriture a quelque chose de très archaïque et illustre des situations émotionnelles. On peut déduire d’un comportement alimentaire le bien-être (ou le mal-être) de quelqu’un. Pour savoir si un bébé va bien, on demande à sa maman comment il mange.
Beaucoup de choses se jouent autour des repas, qui sont un point de rencontre. Pour prendre un exemple, à Noël, il arrive dans certaines familles qu’un de ses membres refuse de prendre part au repas. Un tel refus est une façon d’exprimer un conflit familial profond. On remarque également que lorsqu’un couple va mal, l’homme et la femme arrêtent de manger ensemble. De manière plus générale, notre humeur peut altérer notre rapport à la nourriture.
Voulez-vous dire que si on se sent mal, on ne mange pas?
Pas forcément. L’équation émotions et nourriture n’est pas linéaire. On communique nos émotions à travers notre façon de manger, mais la traduction sera totalement individuelle. Une personne dépressive peut très bien moins s’alimenter ou à l’inverse manger avec excès. L’anxiété coupe l’appétit à certains tandis qu’elle pousse d’autres à trouver du réconfort dans des aliments sucrés. Autre exemple: un adolescent qui mange moins communique quelque chose, mais quoi? Est-il amoureux, subit-il du racket, a-t-il des problèmes scolaires, découvre-t-il sa sexualité? Il ne faut pas tirer des conclusions uniques à un comportement, quel qu’il soit, parce que ses causes peuvent être multifactorielles.
Une variation pondérale doit-elle inquiéter?
Pas forcément. La façon de s’alimenter et la relation à la nourriture sont des éléments plus objectifs que le poids. Une personne boulimique est en proie à une grande détresse psychologique. Elle mange par crise, mais comme elle se fait vomir, son poids ne changera pas ou très peu. Plus qu’au poids, il faut être attentif aux changements de comportement alimentaire et repérer le moment où cela bascule. Souvent, il est plus facile de faire remarquer à un proche qu’il mange peu (ou beaucoup) plutôt que de lui demander s’il est triste.
Quand faut-il s’inquiéter face à un comportement alimentaire inhabituel?
Nous avons tous des périodes où l’on consomme plus de certains aliments, du café, du chocolat, des douceurs, etc. Ce sont des stratégies d’adaptation et de réconfort banales et tout à fait normales. Mais quand on a l’impression que ces stratégies sont insuffisantes ou que nos réflexes alimentaires ne nous appartiennent plus, il est bon d’accorder de l’attention à nos émotions et au mal-être sous-jacent. Si un sentiment de souffrance persiste, c’est une bonne idée de consulter un spécialiste.
Ce n’est pas nécessairement grave de manger beaucoup de chocolat par exemple?
L’appréciation du «problème» dépend du contexte, des habitudes de la personne, de ses normes, de ses représentations et de sa santé. L’orthorexie a des limites, il faut s’écouter. Si une personne sans problèmes de santé ou de poids particuliers mange une plaque de chocolat par jour, ce n’est pas si grave. Par contre, c’est une autre histoire si elle est diabétique. Il est important de donner du sens à un comportement alimentaire. Si le chocolat est associé à une tristesse, il faut s’occuper de cette tristesse.