Les mauvais rêves nous aident à affronter nos peurs
Tour à tour agréables, terrifiants, le plus souvent surprenants, les rêves échappent à notre compréhension. Si la science s’y intéresse depuis longtemps, les neurosciences consacrées au rêve ont explosé ces dernières années, grâce à l’électroencéphalogramme à haute densité (EEG) et à l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), en collaboration avec l’Université du Wisconsin, viennent de publier des travaux sur les mauvais rêves dans la revue Human Brain Mapping.
Ces scientifiques se sont intéressés aux rêves émotionnels, ceux qui nous font ressentir des émotions fondamentales, comme l’explique Virginie Sterpenich, chercheuse au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et co-auteure de ces travaux: «Ce sont les rêves où la menace et le danger sont très présents. C’est la peur de tomber dans un trou ou de se faire poursuivre par un ours.» Lors d’une première recherche, les 18 participants ont dormi dans un laboratoire, équipés d’électrodes sur le crâne (EEG). Les sujets ont été réveillés plusieurs fois pendant le sommeil pour être questionnés sur leur activité onirique: «Que s’est-il passé avant leur réveil? Avaient-ils rêvé? Quel était le contenu de ces rêves? Etaient-ils neutres ou chargés en émotions?» Les réponses à ces questions, appuyées par l’EEG, ont permis aux chercheurs d’identifier deux régions cérébrales, l’insula et le cortex cingulaire, impliquées dans la peur ressentie durant le rêve. Or, les chercheurs ont pour la première fois pu démontrer que «ce sont les mêmes réseaux qui s’activent lorsque nous ressentons de la peur à l’éveil, décrit le Dr Lampros Perogamvros, chercheur au Département de neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’UNIGE et chef de clinique scientifique au Centre de médecine du sommeil des HUG. Tandis que l’insula s’active systématiquement en cas de peur, le cortex cingulaire joue un rôle dans la préparation des réactions motrices et comportementales qui se mettent en place en cas de danger».
Le rêve, un terrain d’entraînement
Pour compléter leur découverte, les scientifiques ont voulu savoir s’il y avait une corrélation entre les émotions ressenties pendant les rêves – en l’occurrence la peur – et les réactions émotionnelles à l’éveil. Ils ont alors demandé à près de 90 participants de remplir un carnet de rêves durant une semaine pour y relater leurs songes, et de spécifier les émotions ressenties, dont la peur. Une tâche à la portée de tous puisque «plus on porte d’attention à nos rêves, plus on s’en souvient», note Virginie Sterpenich. Au terme de la semaine, les sujets, éveillés, se sont prêtés à une séance d’imagerie par résonance magnétique (IRM) durant laquelle on leur a présenté tantôt des images neutres, tantôt des images émotionnellement négatives, comme des agressions, des animaux effrayants, etc. Les chercheurs ont concentré leur attention sur les régions cérébrales impliquées dans la gestion des émotions, à savoir l’amygdale, l’insula, le cortex préfrontal médial et le cortex cingulaire. «Nous avons constaté que les personnes qui avaient plus souvent fait des rêves empreints de peur, réagissaient beaucoup plus efficacement, c’est-à-dire de manière plus mesurée, à la vue d’images effrayantes à l’éveil», explique la chercheuse. En effet, plus une personne avait ressenti de la peur dans ses rêves, moins l’insula, le cortex cingulaire et l’amygdale étaient activés lorsqu’elle était confrontée à des images négatives pendant la veille. De plus, l’activité du cortex préfrontal médial, connu pour inhiber l’amygdale en cas de peur, augmentait proportionnellement à la quantité de rêves empreints de peur. «Il semble donc qu’avoir des émotions fréquentes durant les rêves permet une meilleure régulation interne de ses émotions, ce qui fait du sommeil un véritable allié pour l’humeur», se réjouit Virginie Sterpenich, qui rappelle l’importance d’avoir un sommeil suffisant en termes de quantité et de qualité.
Malgré la sensation désagréable que les mauvais rêves nous laissent parfois au réveil, ceux-ci se révèlent donc utiles. Mais attention, ce bénéfice ne vaut que pour eux et pas pour les cauchemars. Plus intenses, ces derniers entrent dans la catégorie des troubles du sommeil en raison des perturbations qu’ils provoquent (réveils, irritabilité, difficultés d’endormissement, etc.).
Autre fait intéressant: jusqu’alors on associait le rêve au passé, dans la mesure où les scénarios qui s’y jouent sont souvent une combinaison d’éléments récents et plus lointains de notre mémoire, qui conduisent à une compréhension nouvelle de nos expériences. Mais cette recherche les relie à l’avenir. En effet, elle soutient l’idée que «les rêves nous permettraient de mieux préparer nos futures réactions à des dangers une fois éveillés», souligne Lampros Perogamvros.
Le sommeil comme thérapie
Que peut-on retirer de ces travaux? Ils pourraient servir de fondement à de nouvelles thérapies contre l’anxiété, les phobies, la dépression et le syndrome de stress post-traumatique, où les cauchemars sont récurrents. L’idée n’est pas de provoquer des mauvais rêves, mais de mieux exploiter les songes, en renforçant la mémoire positive du dormeur et en la consolidant pour diminuer les sensations négatives qui y sont associées. «Par exemple, en lui présentant des sons ou des odeurs agréables pour influencer le contenu des rêves, décrit Lampros Perogamvros, qui poursuit les recherches dans ce domaine. Les processus de mémoire étant accélérés durant le sommeil, ces traitements pourraient offrir une amélioration plus rapide des symptômes que les traitements courants». Ils pourraient par ailleurs être utilisés en appui d’autres options thérapeutiques, comme les thérapies d’exposition, en cas de phobie en tout genre, aussi bien par exemple des araignées que de la crainte de s’exprimer en public. En attendant que la recherche confirme ces nouvelles voies, prenons soin de notre sommeil, précieux allié de notre humeur et de notre capacité à gérer nos émotions.
Terreur dans la nuit
Le sommeil des enfants peut aussi être perturbé par ce qu’on imagine être de la peur. Vous avez peut-être déjà retrouvé votre enfant assis dans son lit, hurlant les yeux ouverts et pleins de larmes, l’air effrayé et en proie à une forte agitation physique. Ces épisodes, très marquants pour les parents, ont lieu généralement en début de nuit, deux heures environ après que l’enfant se soit endormi. Il s’agit d’une parasomnie qui survient entre le sommeil profond et le sommeil paradoxal. Les terreurs nocturnes touchent les petits entre 2 et 6 ans, avec un pic autour de 3 et 4 ans. «C’est une sorte de réveil sans conscience, explique la Dre Russia Ha-Vinh Leuchter, pédiatre responsable de la consultation sommeil au Centre du développement de l’enfant des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Certaines parties du cerveau dorment, tandis que d’autres sont réveillées.» C’est la raison pour laquelle l’enfant, malgré les apparences, ne réagit pas lorsqu’on lui parle. Contrairement aux cauchemars, ce ne sont pas des rêves organisés, et les enfants ne s’en souviennent pas au réveil. Les terreurs nocturnes n’auraient pas non plus le même rôle thérapeutique que les cauchemars: «L’agitation est physique et les fonctions supérieures (cognition, mémoire) ne sont pas activées», justifie la spécialiste.
On ignore d’où vient cette parasomnie, mais on sait que le facteur génétique est important. Une grande fatigue, du stress, un changement de rythme, un état de maladie peuvent les favoriser. Sur le moment, les tentatives de calmer l’enfant ou de le réveiller sont parfois vaines. Que faire alors? Consciente qu’il est difficile pour les parents de rester les bras croisés, la pédiatre conseille de «s’assurer qu’il soit en sécurité. Si l’épisode se prolonge, on peut essayer quelques stratégies simples (le prendre dans les bras ou le changer de pièce), tout en sachant que souvent ça ne marche pas et qu’il faut juste attendre». Si les terreurs nocturnes entraînent de la fatigue ou s’il y a d’autres signes d’alerte, mieux vaut consulter un pédiatre.
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Paru dans Le Matin Dimanche le 19/04/2020.
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